La jeune autrice cachée derrière ce mystérieux patronyme Ellie S. Green a d’abord inventé cette histoire de pirates pour ses petits frères et sœurs, avant de la coucher sur papier dans un roman qui émerveillera les jeunes lecteurs.
Dans « L’Héliotrope », il y a tous les ingrédients pour que la magie opère : des pirates, repopularisés par le succès de la saga de Disney « Pirates des Caraïbes » [1], un monde aérien pour ajouter une touche steampunk, au même titre que les membres mécaniques qui remplacent crochets et jambes de bois, même si c’est purement cosmétique. On retrouve la triade asiatique et son khan, alliés des pirates puis n’hésitant pas à les trahir, et la flotte royale, avec son jeune officier idéaliste et son rival brutal et sans scrupules. Et bien entendu, le trésor oublié, avec ses indices et sa prophétie aptes à pousser les plus timorés à affronter les dangers des cieux, tempêtes de glace ou électriques...
Je suis très partagé à propos de ce roman, parce que pour le coup, à aligner tous les passages obligés du genre, ou des genres qu’il mêle, je me suis senti soudain bien vieux. Vieux et fatigué de voir, de lire toujours la même chose, les mêmes clichés sans nuances, sans subtilité, car hélas, cette jeune autrice est meilleure scénariste que conteuse.
Il n’y a rien de neuf dans ce premier tome de « Steam Sailors », avec ses pirates bourrus-sympa, cette héroïne qui ignore son lourd secret, cet heureux hasard qui va la pousser « à la rencontre de son destin » et tous ces rebondissements si attendus : oh, le traître nous a trahi, oh, notre chemin nous entraine dans la gueule du loup, oh, nous allons devoir retourner dans la famille de celui qui a tourné le dos à son passé, oh, notre avenir se joue sur un match à quitte ou double, oh, mon pouvoir est plus puissant que tout ce qu’on a jamais vu... Etc.
L’univers nous est dès le début présenté en bloc, lourd à digérer (sans compter que tout ce qui concerne le Bas-Monde ne sert plus dès le chapitre 2), loin des techniques développées par les auteurs jeunesse des 20 dernières années pour faire passer la pilule et intégrer le lecteur en douceur, généralement en suivant les découvertes de son héros (Harry Potter) ou en saupoudrant l’info en temps utile (Tobie Lolness). Et les contradictions fleurissent parfois.
Je passe aussi sur des clichés qui m’ont fait lever les yeux au ciel, comme le cuistot enlevé à 6 ans et qui n’a pas perdu son accent russe malgré 20 ans (minimum) d’acculturation sur le navire, au milieu de personnages avec pour seule épaisseur psychologique de taire leur passé et cacher Leur Secret (oui, tadam, avec des majuscules) aux autres.
J’ai tiqué aux quelques notes sur du vocabulaire, totalement superflues, ou aux coquilles un peu plus nombreuses qu’à l’accoutumée chez Gulf Stream, jusqu’à ce paragraphe répété page 183-184 ou ces « boucles de geai » (au lieu de jais) un peu plus loin.
Voilà tout ce que j’ai vu avec mes yeux d’adulte, de lecteur boulimique. Des effets spéciaux, de l’esbroufe pour cacher du déjà cent fois lu et vu.
Alors j’ai remis mes yeux (et mes lunettes) de pré-ado, souriant aux gesticulations de Johnny Depp ;
encore émerveillé, comme sans doute les petits frères et sœurs de l’autrice, du destin qui se révèle peu à peu au lecteur/spectateur avant de faire son chemin dans les pensées de l’héroïne ;
époustouflé par des décors grandioses, îles volantes, combats navals/aériens, bals victoriens en grande tenue, ruines noyées ou cité engloutie.
Je me suis laissé emporté par ce monde fantastique, sans trop gratter la surface, à comparer la couverture de Vaderetro, aux illustrations de Laurent Gapaillard pour « La Passe-Miroir ». Prenant ce « Steam Sailors » pour ce qu’il est, et jouant très bien ce rôle : un récit merveilleux, captivant, à couper le souffle, pour les plus jeunes.
Et je ne doute pas mes enfants, déjà grands lecteurs mais encore innocents des divertissements hollywoodiens à la trame toujours pareille, y prendront grand plaisir et réclameront la suite, « Les Alchimistes », qui sort ces jours-ci.
Une grande aventure riche en rebondissements, à réserver plutôt aux 10-13 ans ou aux collégiens bon public. Les plus grands risquent de rester sur leur faim.
MAJ Mai 2021 : Le roman remporte le Grand prix de l’imaginaire Jeunesse francophone ! Comme quoi, certains ont su garder leurs yeux d’enfants...
Et Vaderetro remporte le prix de l’illustration ! Félicitations !
Titre : L’Héliotrope
Série : Steam Sailors, tome 1
Autrice : Ellie S. Green
Couverture : Vaderetro
Éditeur : Gulf Stream
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 376
Format (en cm) : 22 x 14 x 2.5
Dépôt légal : mars 2020
ISBN : 978-2-35488-775-9
Prix : 17 €