Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




H. P. Lovecraft contre le monde, contre la vie
Michel Houellebecq
Gallimard, écoutez lire, livre audio, essai, environ 2H45, novembre 2020, 18,90€

Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) s’avère un écrivain fascinant à plus d’un titre, mais aussi controversé par son racisme. Il n’a pas connu le succès de son vivant, ne courant pas après la reconnaissance, ni après l’argent dont il était détaché. Depuis les choses ont bien changé, impossible de nier l’importance de son apport au fantastique qui peut être qualifié d’essentiel, sa mythologie est toujours bien vivante : les noms des Grands Anciens tel Cthulhu sont ancrés dans les esprits, le livre « Necronomicon » semble réellement exister, les villes d’Innsmouth ou Dunwich terrifient...



Aujourd’hui encore, le personnage et ses écrits fascinent. Dans la première moitié du XXè siècle, il y a eu les continuateurs, tel August Derleth, qui se sont battus pour le faire connaître du grand public, et les décennies passant, il n’a rien perdu de son pouvoir. Combien de livres s’en inspirent ? On peut citer, entre autres, Kij Johnson avec « La quête onirique de Vellitt Boe » inspiré de “La quête onirique de Kadath l’inconnue”, « La ballade de Black Tom » de Victor Lavalle s’appuyant sur “L’horreur à Red Hook” avec la dédicace “À H. P. Lovecraft, avec tous mes sentiments contradictoires” qui traduit bien le sentiment controversé envers l’homme et son œuvre. En 2018, la bande dessinée « Howard P. Lovecraft : celui qui écrivait dans les ténèbres » retrace sa vie. Et que dire des études sur l’écrivain, des nombreuses rééditions de ses écrits dans des livrées plus ou moins élégantes (par exemple, les Carnets Lovecraft « Dagon », « La Cité sans nom »), la reprise de nouvelles hors recueil chez Bragelonne (« L’Appel de Cthulhu » et « l’Horreur de Dunwich »...) et Points , des adaptations en manga (« Les montagnes hallucinées », « Dans l’abîme du temps »...)... Il s’agit d’un véritable phénomène et la sortie du présent livre audio de l’essai « H. P. Lovecraft contre le monde, contre la vie » de Michel Houellebecq dont la première version remonte à 1991, n’en est que plus pertinente.

Il est à noter que cette biographie précède les premiers romans de Michel Houellebecq : « Extension du domaine de la lutte » (1994) et « Les particules élémentaires » (1998) qui le révélèrent au public.
Au premier abord, écouter un essai peut sembler fastidieux, même contre productif, car on est emporté par les mots, par la voix du narrateur, sans que l’on puisse ou veuille revenir en arrière pour approfondir certains passages. Peut-on vraiment suivre, ne pas manquer certains morceaux par manque d’attention ? « H. P. Lovecraft contre le monde, contre la vie » est bien mené et il est facile de se croire dans un roman narrant la carrière d’un écrivain qui a marqué les générations et créé sa propre mythologie toujours aussi prégnante.
Michel Houellebecq décortique brillamment l’homme et son œuvre.

« Howard Phillips Lovecraft constitue un exemple pour tous ceux qui souhaitent apprendre à rater leur vie, et éventuellement, à réussir leur œuvre. Encore que sur ce dernier point, le résultat ne soit pas garanti. »

Voilà qui décrit bien l’écrivain qui apparaissait particulièrement inadapté à la société. Houellebecq nourrit son propos avec des extraits de nouvelles ou de lettres, retrace la vie du Reclus de Providence du début à la fin, insistant sur les aspects les plus importants en leur consacrant des chapitres dédiés. C’est vraiment bien fait, il reste clair tout du long, donnant une analyse fine du personnage. Il montre comment son expérience a nourri son imaginaire, comment les deux années passées à New-York l’ont profondément transformé. Il s’est révélé incapable d’y trouver un emploi, s’indignant de ne pas être mieux traité que les habitants du coin qu’il a pris en aversion. Son racisme y a pris une autre forme, plus extrême, dicté par la haine, et ses grands textes sont nés de ce traumatisme, de son incapacité à se fondre dans la société.
Lovecraft était détaché des contingences économiques, comme des affaires de sexe. Deux paramètres essentiels étrangement absents de ses textes, mais reflétant sa personnalité. L’architecture le passionnait, il entretenait une correspondance énorme. Sa vie ressemble à un sacrifice, tant elle a été dédiée à son œuvre qui n’a pas reçu le succès méritée de son vivant. Il suffit d’entendre une lettre accompagnant un de ses manuscrits pour saisir son inaptitude au compromis.
H. P. Lovecraft ne peut être qualifié de personne recommandable, il était profondément raciste, mais c’est ce qui a donné naissance à sa prose si fascinante.
Écouter les mots de Michel Houellebecq revient à découvrir l’homme que l’existence a métamorphosé en écrivain majeur au prix du sacrifice de sa vie. Il a abandonné la voie du bonheur aux côtés de sa femme au profit de son art.

Parfaitement orchestré, limpide dans son propos et révélateur quant au cheminement lovecraftien, « H. P. Lovecraft contre le monde, contre la vie » s’avère un incontournable pour appréhender ce monstre de la littérature fantastique.
La lecture de Franck Desmedt réussit aisément à accrocher l’auditeur, d’autant que l’essai est d’importance et intéressant.
Cette version audio tient donc de la bonne idée, en espérant que cette œuvre trouvera un nouveau public.


Titre : H. P. Lovecraft contre le monde, contre la vie (1991, 1999, 2005)
Auteur : Michel Houellebecq
Lecteur : Franck Desmedt
Couverture : photo © Bridgeman Images
Éditeur : Gallimard
Collection : écoutez lire
Site Internet : Essai (site éditeur)
Durée : environ 2h45
Format : MP3
Pochette (en cm) : 14 x 19
Dépôt légal : novembre 2020
ISBN : 9782072887864
Prix : 18,90 €


Autre titre de la collection sur la Yozone :
- « Fahrenheit 451 » de Ray Bradbury

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
19 décembre 2020


JPEG - 22.7 ko



Chargement...
WebAnalytics