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Gars et son chien à la fin du monde (Un)
C.A. Fletcher
J’ai Lu, Nouveaux Millénaires, roman traduit de l’anglais (Ecosse), post-apo, 345 pages, mars 2020, 21€

Le monde s’est lentement effondré après que la grande majorité de la population mondiale est devenue stérile. Griz vit avec ses parents et ses chiens sur une île au large de l’Ecosse. Griz tient un journal, où il parle de sa sœur disparue dans une crevasse, des livres qu’il lit et du monde d’autrefois tel qu’il l’imagine, faute de l’avoir connu. La famille la plus proche est à quelques îles au nord, et l’Angleterre est un vaste désert. Les visiteurs sont rares, et quand le voilier de Brand, qui se dit marchand, les accoste, la suspicion est de mise, d’autant qu’il a l’air trop gentil pour un monde où la survie prime sur tout.
Au matin, Griz découvre que Brand les a tous drogués, et a pris la fuite en volant des provisions, et surtout sa chienne Jess. Sans attendre que les siens aillent mieux, il prend son propre bateau et prend Brand en chasse, avec Jip, son chien terrier.



Il va d’abord rattraper son voleur sur une île, avant que la situation se retourne contre lui. Brand, au discours toujours à double sens, le laisse en vie en lui conseillant de lâcher l’affaire, semant le doute dans son esprit. Mais Griz est tenace, et la chasse se poursuit à travers tout le pays...

Charlie Fletcher a choisi la forme du discours rapporté, du journal intime, pour cette histoire de fin du monde, ce périple en quasi-solitaire. Griz écrit son histoire, en s’adressant à nous lecteur (hypothétique), à travers la photo d’un garçon et de son chien, ramassée dans une maison vide, imaginant qu’ils auraient pu être amis, pas si différents. Les adresses directes sont nombreuses, le récit a posteriori permet dès le début au narrateur d’anticiper, de nous prévenir, nous mettre en garde contre ces dangers dans lesquels il a foncé tête baissée, comme la trahison de Brand, mais d’autres suivront. Chaque obstacle, chaque choix regretté nous est ainsi annoncé, laissant la tension monter jusqu’à lire le déroulé des faits malheureux. Cette forme se poursuit jusqu’à ce que Griz perde son journal (un temps), et que le présent ait rattrapé le récit (ou l’inverse), dans une conclusion qui nous ramène sur des thèmes et des scènes plus habituelles du post-apo, avec des survivants, du fanatisme religieux, de la domination patriarcale... Bref, les démons habituels de la race humaine, qu’on a rencontré dernièrement dans la trilogie « Lou après tout » de Jérôme Leroy ou « Gueule de Truie » de Justine Niogret, par exemple, ou dans les classiques : le comics « Walking Dead », les jeux vidéos « Fallout », « Wastelands », « Frostpunk »...

Je respecterai le souhait de l’auteur de ne pas tout dévoiler à l’avance, car il nous réserve quelques rebondissements savoureux, d’autres un peu plus attendus à mesure que nous cheminons avec Griz. Comme lui, je vais vous mentir un petit peu au travers de ces lignes, laisser Griz lâcher quelque détail intrigant, comme son secret, vers la moitié du livre, qu’on aura peut-être soupçonné au début mais qui s’est retrouvé enfoui sur l’urgence de la course-poursuite, parce qu’alors guère important, avant de jaillir à la toute fin, au plus mauvais moment, bien entendu. C’est un procédé facilité par la forme narrative choisie, et Griz s’en expliquera, même si les raisons se devinent sans mal, d’autant qu’elles sont au cœur de cette histoire.

Je vais juste vous dire que tout le long de son voyage, Griz s’accroche à son idée de sauver sa chienne. Coûte que coûte. Même si à chaque embûche, ce « coûte que coûte » lui parait plus excessif, plus dangereux que jamais. Le voyage, pour Griz qui n’a quasi jamais quitté ni son île ni sa famille, a des atours tantôt sombres tantôt merveilleux. Mais cette odyssée ne risque-t-elle pas de lui coûter plus cher (son autre chien, sa vie) que l’espoir qu’il entretient de récupérer Jess ? Mais c’est le discours de Brand, le conseil raisonnable qu’il a instillé en lui, au milieu d’autres doutes qui le rongent : son père a-t-il vendu sa chienne au marchand ? Est-ce ainsi que les adultes maquillent les choix difficiles ? Son père serait-il complice de ce vol ? Parce qu’il a pris Brand en chasse trop vite, Griz ne le saura pas avant de rentrer.

Tandis que Griz et Jip avancent, on se posera même davantage de questions, qui hélas ne trouveront finalement pas de réponse claire dans la conclusion, me laissant un peu sur ma faim, tout comme l’ultime rebondissement, certes bien mignon [1] mais totalement inexpliqué et pour le coup, peut-être pas superflu mais... excessif, au vu des événements ? Fletcher nous laisse remplir les blancs du récit de Griz et de ce qui se passe dans sa tête. Ou plutôt c’est Griz qui fait cela.

On appréciera les néologismes qui fleurissent parfois, au gré des découvertes de Griz dans un monde qui lui est presque aussi étranger qu’à nous, un monde corrodé, reconquis par la nature, avec ses paysages méconnaissables, ses usages disparus à deviner, comme un archéologue face à des vestiges d’un autre temps. Et c’est bien de cela qu’il s’agit, au fil du roman. Sans tomber dans le militantisme écolo, à travers Griz, c’est la société qui a conduit à l’effondrement, notre société, qui est interrogée. Une société qui a organisé la stérilisation de masse pour empêcher l’explosion démographique, et qui s’est pris sa solution en pleine figure, tel qu’on l’a déjà vu dans « Les fils de l’homme » (le roman de P.D. James et le très beau film d’Alfonso Cuaron). Une société qui a vieilli, ostracisant les rares humains encore féconds qui lui survivraient, pour leur laisser un monde épuisé, mais épuré de son fléau, prêt à renaître. Las, on l’a déjà dit, cela n’a pas suffi à purger l’Homme de ses démons, sa soif excessive de tout, et de la violence qui s’ensuit. En s’accrochant uniquement à l’idée de récupérer sa chienne, Griz voudrait passer au travers, essayera jusqu’au bout, échouera un peu.

Après avoir joué un temps avec nos nerfs, Charlie Fletcher nous délivre des moments d’une grande sensibilité, pour mieux préparer un finale cruel, et une conclusion presque heureuse. Son roman nous fait passer par toutes les émotions, intriquant la beauté et le danger, le calme et la crainte, la joie et la peur.

Un très beau livre, à n’en pas douter, qui plaira au-delà des amateurs d’imaginaire.


Titre : Un gars et son chien à la fin du monde (A boy and his dog at the end of the world, 2019)
Auteur : Charlie A. Fletcher
Traduction de l’anglais (Ecosse) : Pierre-Paul Durastanti
Couverture : Création J’ai Lu
Éditeur : J’ai Lu
Collection : Nouveaux Millénaires
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 345
Format (en cm) :
Dépôt légal : mars 2020
ISBN : 9782290216286
Prix : 21 €



Nicolas Soffray
3 janvier 2021


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