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Livre des Purs (le), tome 1/2 : Le Roi des Krols
Olivier Martinelli
Leha, Fantasy, roman (France), fantasy, 307 pages, juin 2020, 19€

La tribu des Belecks vit depuis 15 ans à l’abri dans le Cirque de Kilos, lieu peu hospitalier mais paisible. Daan, ses frères Lak et Luk et sa soeur Zila ont grandi dans la paix, et si tous les jeunes s’entrainent à la guerre à l’Académie, eux ont suivi l’apprentissage de leur père, le Grand Kal. Pourquoi cette exception ? Lorsque les Palocks, humains pâles à six doigts, ennemis héréditaires du peuple krol, viennent attaquer leurs village, c’est vers leur père que les chefs se tournent. Et pour cause : le Grand Kal est un guerrier émérite, et l’ancien Roi des Krols.
L’ennemi vaincu, au prix de cruelles pertes, Kal décide de quitter le Cirque pour la capitale, Leck, qu’il soupçonne d’être tombée aux mains de l’ennemi. En chemin pour cette guerre, Daan apprend comment les Krols ont trahi et rejeté leur Roi 15 ans plus tôt. Entre revanche et devoir, Kal va néanmoins affronter les Palocks et leurs magiciens pour libérer son peuple.



D’une bataille à une autre, le Grand Kal et ses généraux retrouvent leur stature d’antan. Daan, par sa fureur au combat, et une vilaine coupure à la tête, hérite du surnom de « le rouge ». Les Belecks affrontent un magicien armé d’un bâton qui projette des billes de métal - piètre magie. Puis ils libèrent Leck grâce à un passage secret négligé des assaillants comme du conseil qui avait remplacé le roi. Kal n’a que faire de ces usurpateurs, que déjà arrivent d’anciens alliés, les Vélins et les Fradins, chassés de leurs îles respectives par les troupes palocks. On négocie, on s’organise pour nettoyer une île après l’autre, en profitant les avantages de chacun : les soulines des Vélins, mouettes géantes - à défaut de dragons-, et la flotte de guerre des Fradins. Grâce à leur union, leur vaillance, la trop grande confiance en soi de leur ennemi, mais aussi en faisant fi des anciennes querelles et en unifiant tous les Krols sous la même bannière, ils vont vaincre un adversaire, 20, 50 fois supérieur en nombre.
Et c’est à peu près tout.

Olivier Martinelli est un auteur de polar, qui s’est mis à la fantasy pour faire plaisir à son grand fils, dont il reprend le prénom pour son jeune héros et narrateur. Néanmoins, il apparaît très vite qu’il n’a qu’une connaissance superficielle du genre (il le dit lui-même dans cette interview sur ActuSF), et qu’un maigre talent pour raconter une histoire. Car cette campagne des Belecks pour libérer leur île puis celles de leurs alliés vire très vite à une longue et morne litanie, égrenant le nombre de pertes dans chaque camp, torchant des batailles en un paragraphe avec la concision et l’esprit de synthèse d’un journaliste AFP couvrant un conflit lointain. Les scènes épiques se confondent de plus en plus avec une partie de « Risk » ou d’un jeu de figurines. La plupart des batailles sont pliées en deux coups.

Ce qui saute très vite aux yeux, et douloureusement, c’est le « style » de l’auteur : des phrases courtes, sujet-verbe-complément. Moins d’une ligne (sur chaque page, les subordonnées se comptent sur les doigts d’une main.) Collées en paragraphes, elles s’enchainent en une pâtée informe là où elles auraient pu insuffler un rythme, quasi cardiaque. Mais non, ce sera juste du hachis.
Le vocabulaire est basique, pour ne pas dire indigent. Cela colle avec l’esprit de Daan, jeune homme élevé avec frugalité dans une campagne hostile, mais c’est très vite épuisant à lire. Les quelques fioritures de l’univers (quelques mesures de temps, des plantes) sont totalement superflues quand ce n’est pas déplacées (l’auteur fait cohabiter des pieds, des miles et des lieues). Des expressions totalement anachroniques, comme « produire son effort », une monstruosité inventée par les journalistes sportifs, polluent cette prose guère engageante. Je ne m’étends pas sur les noms propres, avec Kal et son fils Lak, son cadet Luk... Tout est barbare, monosyllabique, guttural, sans finesse... et sans grand intérêt littéraire.

Si l’auteur enchaine les passages obligés du genre, naissance d’un héros, constitution d’une armée de fidèles, trahisons, expéditions de secours, la sauce ne prend désespérément pas, la faute (supplémentaire) à des personnages sans intérêt et une narration sans la moindre passion. Le roman de 300 pages est découpé en 72 chapitres : ce n’est plus un page-turner, c’est un saucissonnage en règle. Un titre, deux à trois pages pour en développer l’idée. Jamais ou presque (la prise de Leck, vaguement) l’auteur ne prend le temps de s’étendre, il laisse à ce seul découpage l’imposition d’un rythme qu’il voudrait épique, et qu’il coupe à chaque fois dans son élan. Aucune idée n’est jamais développée : les rares oppositions de Daan face à son père, l’émancipation des 2 personnages féminins... Seule l’idée d’une union de tout un peuple divisé en tribus plus fières les unes que les autres sous-tend le roman. C’est bien peu.

Daan nous propose une narration interne, la plupart du temps, mais le jeune homme se pose si peu de questions, et jamais plus loin qu’un paragraphe, qu’on peine à s’attacher à lui, ou à la figure paternelle qu’il suit avec adoration tandis qu’il en redécouvre les aspects cachés.
En fait, le principal souci est qu’aucun personnage n’a de profondeur, tous entièrement tournés vers la guerre, le très court terme, et que l’auteur néglige en totalité de les rendre vivants. Ils sont surhumains, à faire la guerre sans répit 20 jours d’affilée (le roman ne dure guère plus), mais jamais on ne les voit manger, à peine dormir, et surtout, ils ne (se) parlent pas. Hormis les phases de négociations avec les alliés, il n’y a presque pas de dialogues, les personnages sont muets, tout est en discours indirect. Résultat, ils n’interagissent quasiment jamais les uns avec les autres, on ne peut constater leurs émotions, construire leur psyché... et ils demeurent des figures de carton-pâte sans grand intérêt. Il faut attendre la capture de Lak, dans le dernier quart, pour trouver un brin d’envie d’avancer et de savoir la suite. Pas de chance, c’est quand on alterne avec la guerre sur une autre île, l’envie de sauter les chapitres revient au galop.

Alors oui, il y a quelques idées un peu sympa (je n’ai pas dit originales) avec les armes à feu, des créatures étranges, mais elles sont galvaudées à un point que c’en est risible. Le bateau géant des Palocks, façon super-destroyer, est coulé en une page après avoir fait plus de peur que de mal. Les magiciens, trop imbus d’eux-même, expirent en une confrontation. Même les six-pattes, qu’on voit sur la couverture de Marc Simonetti, ne font pas long feu. Il faut dire que les arsenaux fantastiques font pâle figure face à un adversaire qui a la maîtrise des airs avec les soulines, et qu’une légions de stromtroopers benêts (je ne vois pas d’autre comparaison) ne résiste pas à des guerriers 20 fois moins nombreux mais galvanisés par leurs chefs et... les deus ex machina. Car Olivier Martinelli, dans son ignorance manifeste du genre, multiplie aussi les incohérences, toujours à l’avantage de ses héros : les archers sont des snipers, les machines de guerre se rechargent en cinq secs... Je vous passe rapidement le gigantisme des chiffres, rapportés aux mesures de la carte : on se demande comment tant de monde peut vivre sur si peu de terre (si, c’est simple : en ne mangeant jamais...).
Bref, à ne faire qu’une histoire de guerre, l’auteur néglige totalement son fond, ses personnages, la richesse potentielle de son univers, la psychologie, en un mot le semblant de réalisme de tout cela. Encore une fois, le roman se déroule sur quinze jours à trois semaines, et nos héros grands ados jeunes adultes encaissent très bien la transition de la paix tranquille au grade de général acquis dans le sang. Tout leur semble naturel. Tout, tout le temps. L’ordre des choses. La mort de maman et du petit frère leur tire une larme à intervalle régulier, sans plus.

J’ai souffert une semaine sur ce pensum, peinant souvent à garder les yeux ouverts, ou les levant au ciel devant des facilités sans nom (page 102, un général nous refait en une page les 15 dernières années), des morceaux de bravoure trop rares et tués dans l’oeuf. S’il y a 50 pages à sauver, c’est une estimation haute. Et encore, je ne vous ai parlé du Livre des Purs, leur Bible, un vrai McGuffin... ni de l’épilogue pour expliquer la naissance des Palocks.
Signalons tout de même, point positif, qu’en dehors des traits d’union manquant systématiquement à « quelques-uns » et « sur-le-champ », je n’ai relevé que 2 coquilles (le flan d’un cheval et un relai) et un pluriel de proximité. Il faut dire, cependant, que le vocabulaire et la syntaxe sont si basiques...

En conclusion, il y a tant de bons romans de fantasy publiés ces 25 (pour ne pas dire 50) dernières années, mieux écrits, passionnants, intelligents, que vous pouvez très bien vous passer du « Roi des Krols ». Au hasard, je vous conseille le cycle de Drenaï, de David Gemmell, rien que « Légende » et « Le roi sur le seuil », ils ont mon âge. « La Compagnie Noire », de Glen Cook, qui ne vous déçoit pas sur 12 volumes. Ou son « Qushmarrah ». Plus récent et français, « Les épées de glace » et « La main de l’empereur » d’Olivier Gay, « La Geste du Sixième royaume » d’Adrien Tomas, « Les Seigneurs de Bohen » d’Estelle Faye. Pour rester dans des histoires de guerre.
Vous pouvez même lire Tolkien. C’est aussi avare en dialogues, mais pour le reste, on est à un autre niveau...
Quant à moi, je me passerai sans mal de la fin du diptyque, prévu pour 2021.


Titre : Le Roi des Krols
Série : Le Livre des Purs, tome 1/2
Auteur : Olivier Martinelli
Couverture : Marc Simonetti
Éditeur : Leha
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 307
Format (en cm) : 21 x 14,5 x 2,5
Dépôt légal : juin 2020
ISBN : 9791097270490
Prix : 19 €



Nicolas Soffray
29 octobre 2020


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