Tout commence à mi-mot : l’élection d’un nouveau président des États-Unis – un individu à qui Richard Russo ne fera jamais l’honneur de le nommer – est ressentie comme un ébranlement psychologique par plusieurs couples d’universitaires en retraite. Certains feront comme si la chose n’était pas si terrible, comme s’il ne s’agissait que de quelques mauvaises années à passer, d’autres, plus lucides peut-être, notamment les femmes, s’inquiéteront plus. Et seront plus sensibles aux odeurs, à l’air du temps, à ce qui se met à traîner ici et là, aux possibles effractions dans ce quartier paisible dont quelques couples, constatant que les choses s’y dégradent, ont décidé de partir pour s’installer non loin de là, dans un quartier plus paisible encore.

Tout se passe de manière insidieuse en effet, et finement amenée par Richard Russo, qui parle ici et là de sensations, d’odeurs, qui glissera ici et là une pointe de racisme du voisin, une pointe d’humour d’une policière mexicaine. L’élection de Trump  ? Elle était considérée comme une mauvaise blague jusqu’à ce que… Une légère odeur excrémentielle dans l’air, un étron dans le jacuzzi ? Juste une mauvaise blague. Du moins peut-être.

Le lecteur comprend peu à peu, en fronçant le nez et en grinçant des dents, que cette invasion excrémentielle n’est autre que le symbole, mais aussi la réalité, d’un sale type parvenu à la présidence, de cette Amérique désormais ouvertement fachiste et raciste qu’avait anticipée Philip K. Dick et qui a fini par conquérir le pouvoir. Une corruption, une sanie, une infection mentale qui contamine tout, qui corrompt tout, qui vient s’installer chez vous. Pire encore, viendra inévitablement le désarroi, le sentiment d’incompréhension et de trahison lorsque l’un des protagonistes comprendra que même dans son petit groupe, même dans son entourage, il y a aussi des contaminés, ceux qui sont déjà des étrangers, des autres, pire encore qui l’étaient déjà alors qu’il était persuadé – comme dans un récit de genre où les envahisseurs peu à peu, insidieusement, ont remplacé famille et amis – qu’ils faisaient encore partie de ses proches, qu’ils faisaient encore partie de la race humaine.

Ce « Et M***  », en une petite cinquantaine de pages, pourrait être donc un récit d’épouvante ou de science-fiction : un alien, ou un démon, envahit les âmes d’une partie des Américains et prend le pouvoir, devient omniprésent grâce aux relais médiatiques que personne ne souhaite plus éteindre, s’étend insidieusement, inexorablement, puis corrompt l’ensemble de l’Amérique, se met à chier chez vous, à polluer votre air, à l’infecter de larves et d’insectes. Récit d’épouvante ou de science-fiction, ce « Et M*** » en est un et n’en est pas vraiment un à la fois. Et s’il est à sa manière plus terrifiant encore qu’un récit de genre, c’est aussi parce qu’il est une description fidèle du réel.

Titre : Et M*** ( Sh*tshow , 2019)
Auteur : Richard Russo
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Jean Escch
Couverture et vignettes intérieures : Cheeri
Éditeur : La Table Ronde
Collection : La Nonpareille
Site Internet : page roman(site éditeur)
Pages : 53
Format (en cm) : 16,5 x 10,5
Dépôt légal : avril 2020
ISBN : 9791037106834
Prix : 7 €

La Nonpareille sur la Yozone :

 « Mary Ventura et le neuvième royaume » de Sylvia Plath
 « Los Angeles » par Emma Cline
 « Halfon Boy »par Eduardo Halfon
 « Jamais assez »par Alice McDermott
 « La Nonpareille »