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Cthulhu - survie en terres lovecraftiennes
Alain T. Puyssegur
Braglonne, essai / fiction, 420 pages, août 2020, 19,90 €


« Tout ce qui est rapporté ici est réel, il n’y a nulle fiction derrière le Mythe. »

Dès les premières pages, le ton est donné, le projet est annoncé : présenter l’œuvre de Lovecraft et de ses successeurs non pas comme une série de fictions inspirées pour les uns, moins inspirées pour les autres, purement faniques pour d’autres encore, mais comme l’expression polyphonique d’une démarche et d’un seule : celle de véritables travaux de recherche et d’érudition, élaborés et aboutis à des degrés divers, permettant de mettre au jour les différents aspects du mythe de Cthulhu et d’autres mythes lovecratiens.

« Je peux vous assurer qu’il n’y a rien de plus réel et indiscutable que les entités qui œuvrent et sommeillent dans les ténèbres depuis des éons et qui ont forgé grâce à leurs machinations la tangibilité du Mythe. »

Les récits lovecraftiens, souvent précis, riches et détaillés, se prêtent à une telle démarche : il est tentant – et cela explique pourquoi nombre de textes lovecratiens sont si convaincants – de les considérer comme l’expression de relations authentifiées par nombre d’éléments factuels. Alain T. Puyssegur emmène donc le lecteur non seulement à la découverte d’une réalité dont ce dernier n’avait pas idée, mais aussi à la découverte et à l’enrichissement du mythe : à lui de retrouver à travers ses propres lectures des éléments qui viendront, comme dans une bibliothèque, un traité ou une encyclopédie, s’agréger aux connaissances déjà rassemblées dont ce « Cthulhu, survie en terres lovecraftiennes ». Si Lovecraft et ses épigones sont considérés par Alain T. Puyssegur non pas comme des auteurs mais des chercheurs et des consignateurs, le lecteur pourrait bien en devenir un à son tour, en cherchant autour de lui, et particulièrement à travers ses lectures, des traces encore occultes du mythe.

« Ce n’est pas parce qu’un texte fait référence à Cthulhu ou au Nécronomicon qu’il mérite d’être ajouté au canon. Certaines productions de la fin du XXème siècle démontreraient même que c’est précisément avec ce type de récit qu’il faut se montrer le plus vigilant. »

La démarche est amusante, mais périlleuse, et en effet pourra peiner à convaincre les lecteurs de l’œuvre originale, la faute à un style qui évoque plus la tonalité d’un manuel grand public façon « pour les nuls » ou « en dix leçons » que les œuvres du maître de Providence – un style peu apte à susciter le frisson. Il est difficile d’en faire le reproche à l’auteur, car parmi les continuateurs de l’œuvre, bien rares sont ceux qui sont parvenus à recréer les atmosphères et les frissons des textes fondateurs. Textes fondateurs que l’auteur résume, chacun en une petite page, tout comme il résume les biographies des auteurs (Lovecraft lui-même, Clark Ashton Smith, Robert Erwin Howard et autres écrivains d’envergure ou continuateurs), et mille et un autres éléments.

En effet, ce « Cthulhu, survie en terres lovecraftiennes  » se veut un vaste tour d’horizon du mythe. Tout au long de ses plus de quatre cents pages, il s’intéresse donc, à travers une série de parties distinctes et structurées, aux “ Piliers fondateurs du mythe” (les textes le plus souvent apocryphes comme le Nécronomicon, le Livre d’Eibon, les Manuscrits Pnakotiques et autres Unaussprechlichen Kulten dont les lecteurs de Lovecraft sont familiers), aux “ Lieux emblématiques du mythe, ” (Arkham, Dunwich Innsmouth, Kingsport…), aux “ Lieux-types du mythe” (abysses, jungles, cimetières, cités abandonnées et autres), à la “ Cosmogonie et bestiaire du mythe ” (dieux extérieurs, Grands Anciens, créatures), aux“ Bibelots, artefacts et autres reliques du mythe ” (citons par exemple le trapézoèdre étincelant, la pierre noire de Yuggoth ou le générateur d’ondes Tillinghast) ainsi qu’aux “ Émanations et confrontations”, sans doute un des aspects les plus intenses et terrifiants de l’œuvre lovecraftienne.

Cette encyclopédie qui se veut exhaustive bute parfois sur l’écueil du résumé et de la simplification (on regrettera, par exemple, le caractère trop bref et superficiel des biographies d’auteurs ou des résumés de nouvelles), la faute sans doute à l’esprit « fiche descriptive » de l’univers des jeux dont l’auteur est originaire. Ceci dit, Alain T. Puyssegur fait preuve d’une véritable connaissance du sujet et n’hésite pas à pratiquer la démarche dans laquelle il souhaite impliquer le lecteur, nourrissant lui-même le mythe à l’aide de citations (sans doute) apocryphes et l’évocation d’expériences personnelles (le véritable auteur de ce volume serait un dénommé Ian Arzhel). On apprécie également l’aspect manuscrit ou plus exactement tapuscrit revu à la main du texte, avec passages hâtivement soulignés, notes jetées dans les marges, et également toute une série de dessins au trait d’Alain T. Puyssegur lui-même, le plus souvent eux aussi dans les marges.

Au final, comme bon nombre de dérivés lovecraftiens, ce « Cthulhu, survie en terres lovecraftiennes » souffre dans sa démarche fictionnelle d’une écriture trop peu inspirée pour rendre cette mise en imaginaire à tout coup convaincante. En ceci, il nous semble s’adresser essentiellement à cette variété de geek que l’on serait tenté de qualifier de « post-lettré » : celui dont la connaissance des œuvres des grands fondateurs ne s’est jamais faite qu’à travers les jeux de table, les univers vidéoludiques, les longs-métrages, les bandes dessinées, les séries. Pour ceux-là, ce « Cthulhu, survie en terres lovecraftiennes » pourrait bien être la porte d’entrée d’un univers littéraire qu’ils n’ont pas encore exploré. Pour les autres, ceux qui ont déjà lu et relu Lovecraft, « Cthulhu, survie en terres lovecraftiennes » apparaît comme une invitation à le relire encore et une curiosité de plus dans l’univers en perpétuelle expansion des « Lovecraftiana ». Agréable par son format intermédiaire, plaisant à feuilleter, ce « Cthulhu, survie en terres lovecraftiennes » peut se lire et s’utiliser comme un ouvrage de référence légèrement décalé, hélas dépourvu d’index mais agrémenté d’une table des matières particulièrement détaillée qui permet de retrouver l’auteur, la nouvelle, le thème, le lieu, l’entité, le symbole ou encore l’artefact rencontré quelque part dans le corpus particulièrement foisonnant de l’œuvre originale.
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Titre : Cthulhu, survie en terres lovecraftiennes
Auteur : Alain T. Puyssegur
Couverture : Tatiana Plakhova
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 420
Format (en cm) :14 x 21,4
Dépôt légal : août 2020
ISBN : 9791028107468
Prix : 19,90 €


Autour de Lovecraft sur la Yozone :

- « Le Culte des Goules » par Antoine Téchenet



Hilaire Alrune
17 septembre 2020


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