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Galaxies n°66 (Nouvelle Série)
Directeur de publication : Pierre Gévart
Revue, n°66, SF - nouvelles - articles - critiques, juillet 2020, 192 pages, 11€

Figure infatigable de la science-fiction française, Jean-Pierre Laigle, de son vrai nom Jean-Pierre Moumon, est décédé le 1er juillet 2020. Les lecteurs, entre autres, de « Galaxies », « Solaris », « Brins d’Éternité » ou encore du « Météore » l’ont forcément croisé à l’occasion d’articles érudits sur un sujet de SF, une traduction d’un texte ou une de ses œuvres. Jean-Pierre Laigle maîtrisait plus d’une dizaine de langues, ce qui lui donnait accès à des sources variées et cela s’en ressent dans ses articles. Hasard : il venait de rendre le dossier “Babels du Futur” du présent numéro qui est dédié à sa mémoire.



Dans “L’architecture colossale dans la science-fiction”, il évoque ces constructions gigantesques se lançant à l’assaut du ciel. Il débute par les réalisations humaines, avant celles de papier, dont la plus célèbre est sûrement « Les monades urbaines » de Robert Silverberg, interviewé dans ce dossier, ce qui est à noter. C’est clair, documenté comme ce que Jean-Pierre Laigle avait l’habitude de proposer. D’ailleurs une bibliographie thématique accompagne cet article pour les œuvres l’étayant.

Les trois nouvelles du dossier sont toutes de bonne facture et apportent un prolongement bienvenu au propos général.
La plus intéressante est celle d’Ariane Gélinas où finalement la construction ne cesse de grandir non pas vers le ciel, mais dans les profondeurs. Alors que la construction s’effectue dans la verticalité, les habitants des bas niveaux doivent s’adapter à la l’horizontalité avec des hauteurs ne dépassant pas le mètre. Ils se rapprochent du ver, évoluant allongés, la reptation étant devenue leur mode de locomotion. L’instinct des enfants en bas âge à se redresser pour marcher est contrecarré par la réalité. Baigné d’un zeste d’érotisme, “Au plus profond du ciel” contient des idées fortes qui en font une incontestable réussite.

Autre auteur outre-Atlantique, Jean-Louis Trudel qui ne manque pas d’idées également avec une ville idéale prenant avant tout en compte les besoins féminins. Deux personnalités dominent “La fille de la sous-ville”, deux architectes, l’une que l’on suit et l’autre qui hante ces pages. Là-aussi la cité s’étend sous la surface, mais pour le coup des eaux, tout en épargnant l’humain, préservant son habitat naturel. Même si la conclusion n’est pas des plus convaincantes, l’ensemble ne manque pas de qualités.

Pour Micky Papoz, la pyramide est de mise, une construction dédiée aux sept péchés capitaux et faisant la nique à toutes les masses laborieuses vivant dans son ombre et de ses poubelles. Elle a pour nom “La citadelle de la honte”, ce qui la décrit bien. Elle a été édifiée au nom du sacro-saint profit, ce qui n’augure rien de bon dans son cas. C’est un peu cousu de fils blancs, mais cela ne gâche en rien l’intérêt du récit un peu rapide sur la fin. Je regrette presque que l’auteure ne se soit pas plus étendue, n’ait pas pris plus le temps de décrire les interactions entre les personnages, l’évolution des enfants...En tout cas, il s’agit d’une troisième belle illustration du dossier “Babel du Futur”, signé Jean-Pierre Laigle qui nous laisse sur une très belle note de fin, mais avec des regrets pleins la tête.

Le jury du Prix Alain le Bussy a rendu son verdict : Pauline J. Bhutia avec “L’esprit perdu” remporte cette édition 2020. On peut avoir une mémoire augmentée, un Brain², permettant d’être beaucoup plus efficace, d’abattre nettement plus de tâche, le Burn-Out existe toujours et là le cerveau risque de griller. Le seul moyen pour Sara de s’en sortir : la sylvothérapie ! C’est pour le moins original. Il y a un glissement d’une technologie à tout-va vers la nature, comme un retour à l’essentiel. Une belle écriture, une thématique audacieuse... un prix me semble-t-il mérité, même si je n’ai pas lu les autres textes du palmarès et qui auront les honneurs d’une publication dans divers supports (« Galaxies » version papier et/ou numérique ou encore « Géante Rouge »).

“Nœuds et torsades” est imprégné de culture chinoise, parle de mathématiques, de golems animés par un cerveau de viande, de marionnettes... D.A. Xiaolin Spires jette beaucoup de choses dans son texte, ce qui ne le rend pas facile d’accès. Je n’ai jamais réussi à m’y projeter à cause de son histoire bien trop elliptique.
“Les chants que l’humanité abandonna aux dauphins” illustre la rébellion de la nature face à la mainmise humaine destructrice et irrespectueuse de son habitat. La jeunesse est sensible à cet appel et plutôt que de chercher à comprendre le phénomène, les adultes réagissent par la violence. Sous forme de fable et en partant d’une drôle d’idée, Shweta Taneja cherche à faire réagir, mais là aussi j’ai eu du mal...
Pour moi, c’est surtout l’ennui qui a prédominé à la lecture de ces deux nouvelles.

Bernard Henniger ne fait pas dans la surenchère, n’insuffle pas une bonne dose d’action dans “Mue cotonnière”, pourtant il accroche d’emblée le lecteur. Là où les deux précédentes auteures travaillaient, à mon sens, trop la forme, lui va à l’essentiel, il évoque une drôle de société avec ces mutations et ces strates sociétales, rendant le tout vraiment très intéressant.

De même, Rich Larson ne s’étend jamais outre mesure. Il part d’une idée, la développe tout en gardant le suspense sur ses implications, ce qui rend à chaque fois la fin mémorable. “Salissure” montre à nouveau son talent en la matière.

Le départ de sa compagne chamboule tant un homme qu’il n’imagine son salut que dans la fuite. Mais il ne fait pas les choses à moitié, décidant de quitter la planète, encore faut-il en avoir les moyens. Quoiqu’il existe toujours une solution... les profiteurs ne manquent pas... “Ombre perdue” de Patrice Lajoye est pétrie de fatalité, comme s’il fallait au personnage tout accepter, comme s’il n’avait pas le choix ou l’envie de réagir. Cet homme a besoin d’un objectif pour avancer, aussi chimérique soit-il. Ne fonctionnons-nous pas tous ainsi ? Intriguant mais j’aurais aimé que l’auteur aille un peu plus loin, d’autant qu’il évoque un système d’exploitation humaine qu’il ne développe finalement pas.

Dans le rang des papes de la musique électronique, Klaus Schulze affiche plus de 50 ans de carrière, son dernier album date de 2019, et pourtant il n’a de loin pas la reconnaissance public qu’il mériterait. Sous les plumes de Jean-Guillaume Lanuque et Jean-Michel Calvez, cette incursion en territoire de musique SF ne manque pas d’attrait comme à l’accoutumée. Quant à “Croisière au long du Fleuve”, c’est Richard D. Nolane qui s’y colle avec Max-André Rayjean, un auteur dont je n’ai vraiment pas gardé un souvenir impérissable...

En attendant la prochaine livraison de « Galaxies », les lecteurs devront se contenter des avis de Pierre Stolze sur quelques romans écrits par des femmes et lorgnant vers l’imaginaire, des chroniques littératures et BD, la faute aux cinémas fermés lors du confinement, ce qui a mis Jean-Pierre Andrevon au repos forcé.

Un numéro 66 de « Galaxies » très fourni avec le très bon dossier “Babels du futur” sous l’égide de Jean-Pierre Laigle, dont le décès laisse évidemment un grand vide dans le monde de la SF francophone.


Titre : Galaxies Nouvelle Série
Numéro : 66 (108 dans l’ancienne numérotation)
Directeur de publication : Pierre Gévart
Couverture : Les Edwards
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, entretiens...
Site Internet : Galaxies
Dépôt légal : juillet 2020
ISSN : 1270-2382
N° ISBN : 9782376251026
Dimensions (en cm) : 13,5 x 21,1
Pages : 192
Prix : 11€


À lire sur la Yozone :
- Les Edwards - Plan de Vol pour Galaxies N° 66


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
22 août 2020


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