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Library Jumpers, tome 1 : La Voleuse de Secrets
Brenda Lake
Lumen, roman (USA), fantasy/fantastique, 492 pages, juin 2016, 15€

Gia est une jeune Bostonienne. Elle a perdu sa mère à cause d’un camion, du coup elle a peur de traverser les rues, mais elle pratique l’escrime et le kick-boxing. Un jour, sa copine Afton l’emmène à l’Athenaeum, une des plus belles et anciennes bibliothèques de Boston, le rêve de Gia. Là, pendant qu’elle vont leurs devoirs de vacances, elle flashe sur un bel Anglais, Arik, qui disparaît soudain. Prononçant une phrase en italien devant son livre, ouvert sur une photo de la Bibliothèque Nationale de France, leurs deux ados et leur copain Nick sont aspirés dedans et se retrouvent à Paris, dans les rayons de la BnF, avec un monstre genre hippopotame mutant et un groupe d’ados armés d’épées, dont Arik, qui viennent les sauver. Le monstre tué, ils sont ramenés chez eux, avec quelques explications : il existe un monde parallèle où vivent les magiciens et les chimères, les ados sont des Sentinelles qui s’assurent que les humains ne trouvent pas les passages que des Surveillants... surveillent. Si Gia a pu ouvrir le passage, c’est que sa mère était une Sentinelle, mais qu’elle a fuit les villes Refuges pour l’élever au lieu de l’échanger contre un Changelin, parce que son père est aussi une Sentinelle alors que c’est interdit, et que Gia pourrait accomplir la prophétie et détruire le monde. Et sa grand-mère Nana est au courant puisque c’est une sorcière !



Gia va donc s’entraîner pour devenir Sentinelle et contrer les méchants Magiciens, grâce à son tonton professeur de magie qui lui fait découvrir son pouvoir - un globe magique qui permet de connaître la vérité sur les gens grâce à leur sang - et à son père (biologique) chargée de l’entraîner. Mais même à Asile, la ville-Refuge dirigée par Merlin (pas le vrai), les dangers abondent. Sa garde du corps, un genre de vampire, est envoutée et tente de la tuer. Une taupe rôde. Gia doit faire passer le test du globe à tous ceux en qui elle veut avoir confiance. Cela complique ses relations troubles avec Arik, qui joue la séduction, affole Gia, mais sort apparemment avec Véronique une détestable Sentinelle française trop jolie pour être gentille. Bingo, c’est une traîtresse...

Ouf, n’en jetez plus. Je n’ai même pas parlé des rêves de Gia où elle revoit les causes de la guerre entre les Refuges.

« La Voleuse de Secrets » était plus qu’alléchant. Sa couverture était déjà très accrocheuse, et l’idée de sauter d’une bibliothèque à l’autre était faite pour séduire tous les bibliovores.
Las ! trois fois hélas, Brenda Lake, pleine de bonnes intentions, n’a pas l’ombre du talent littéraire auquel nous sommes habitués depuis J.K. Rowling.
Son intrigue est ultra-académique : une héroïne qui ne se souvent pas de son enfance, orpheline, mais sujet d’une prophétie apocalyptique et mise à l’abri par ses parents aujourd’hui disparus. Une grand-mère dans le secret. Des super-pouvoirs, pas trop badass pour pouvoir être protégée par le beau gosse dont elle va tomber amoureuse au premier regard (et réciproquement même si ce sera forcément compliqué). Un monde magique, caché et en guerre, où sa présence va tout changer, en mieux ou en pire...
A côté de cela, son style est très dépaysant, mais pas en bien : des scènes forcément attendues qui s’enchainent en faisant une part tellement belle aux dialogues qu’elles en oublient souvent les descriptions de l’action, qu’il faut deviner. Comme si on avait le son mais pas l’image. N’espérez pas plus de deux lignes sur Asile : ville magique, château, point. Appuyez-vous (forcément) sur les images de Poudlard pour rendre tout cela vivant.
Les dialogues ne sont pas non plus forcément heureux, la faute à une écriture très scolaire et une multiplication des conjugaisons, oscillant sans cesse entre les temps du présent et du passé. Les deux traductrices ont dû s’arracher les cheveux... tout comme à lire les multiples verbes d’incises, parfois incongrus, témoins qu’un usage excessif du dictionnaire des synonymes. Certains sont à contre-sens du ton de la phrase ou de la situation.
Tout cela n’aide pas des personnages en grande partie en carton-pâte. Gia est tellement à fleur de peau qu’elle arrive à ressentir une émotion et son contraire la ligne d’après quand elle est avec Arik. Si l’autrice appuie très fort sur sa beauté qu’elle ne sait pas mettre en valeur, je me demande encore, après 300 pages, à quoi sert sa phobie de traverser la route (c’est dans la scène d’ouverture) ou sa pratique du kick-boxing. Idem pour l’escrime (moderne), censée lui donner des bases pour se battre à l’épée longue et au bouclier (escrime médiévale). Estoc et taille, deux styles tout à fait différents... Gia ne se souvient des autres personnages que lorsque cela sert l’intrigue, les oubliant commodément le reste du temps... et l’autrice aussi, au vu des incohérences qui émaillent l’histoire et provoquent, du coup, une bonne part des rebondissements : Gia se fait agresser dans les couloirs du château en revenant d’un banquet, parce que sa garde du corps, en fait, reste dans sa chambre... quand cette dernière disparait, rien ne se passe avant que Gia ne le réalise, des heures plus tard...

Bref, au bout de 300 et quelques pages, malgré un rebondissement intéressant (Carrig, le père, a été échangé contre son Changelin contrôlé à distance) mais tellement tiré par les cheveux dès qu’on creuse, j’ai jeté l’éponge.

L’univers est tellement peu décrit qu’on a la sensation qu’il y a des fonds verts partout mais que les studios d’effets spéciaux sont en vacances.
Les éléments de l’Histoire nous sont tellement parachutés, assénés (tel que j’ai essayé de le rendre plus haut), qu’on est noyé sous des informations parcellaires, floues (je n’ai toujours pas bien compris le rôle ni le camp des Surveillants). Comme Gia, on est gavé d’une foule d’informations qui rendent l’univers encore moins cohérent sous prétexte d’archaïsme « médiéval ». Loin de participer à l’immersion, la moitié des éléments concourt à rendre cet assemblage fragile comme un château de cartes (honnêtement, vous mettez des ados ensemble pendant 8 ans, mais ils n’ont pas le droit de s’attacher les uns aux autres sinon c’est l’apocalypse, ensuite en guise d’avenir c’est retraite sur terre, ils devront épouser un humain et leur enfant sera échanger contre son clone magique...). Et l’autre moitié répond au grand (et mauvais) principe littéraire du « ta g...le c’est magique » qui sert à masquer les trous.
Les personnages sont plats, l’héroïne change de personnalité si vite et si souvent qu’on ne s’attache pas à elle. Sa psychologie est abordée de manière très superficielle, puisque c’est l’action, trépidante et en dents de scie, qui prime.

Il y avait du potentiel, un espoir de dépasser les clichés du genre Young Adult, et la déferlante d’informations dans les 100 premières pages laissait espérer qu’on atteindrait vite ce palier supérieur. Las, c’est tout le contraire, dans un style littéraire fainéant, mauvais scolaire, pénible à lire, très télévisuel, qui fait plus appel à la préalable accumulation boulimique de ses lecteurs qu’à son intelligence. L’autrice ne semble avoir rien appris de toute la production des 20 dernières années, depuis l’éclosion et l’explosion du genre. On finit par lire en diagonale, au risque de rater l’info importante noyée dans le bruit...

Bref, je ne saurai pas si le trop gentil tonton Attwood est un traître ou pas (il en a le profil - mais non, il va remplacer Merlin), quel lien unit sûrement Gia à Conemar, le Grand Méchant, ni si celui-ci survivra jusqu’au 3e tome, combien de fois Gia et Arik vont dire qu’ils s’aiment, se laisser berner par les pièges des méchants et se fâcher/se croire trahi avant de re-s’aimer... Si Gia va nous faire frôler la fin du monde avant de sauver son chéri et l’univers.
Et malgré les très belles couvertures de cette trilogie, je pense survivre tant il y a mieux à lire dans le catalogue Lumen (et ailleurs) pour les ados.

Une très grande déception, qui ne ravira que les lecteurs boulimiques peu regardants sur le fond comme la forme.


Titre : La Voleuse de Secrets (Thief of lies, 2016)
Série : Library Jumpers, tome 1/3
Autrice : Brenda Lake
Traduction de l’anglais (USA) : Julie Lafon et Diane Durocher
Couverture : Alexandra Shostak et Kelley York
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 492
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 4
Dépôt légal : juin 2016
ISBN : 9782371020795
Prix : 15 €



Nicolas Soffray
18 mai 2020


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