Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Survivre
Vicent Hauuy
Hugo et Cie, collection thriller, thriller/anticipation, 490 pages, mars 2020, 19,95€


Année 2035. Les températures se sont élevées, les catastrophes climatiques se succèdent. Des pays ont sombré, l’Inde et le Bangladesh ont perdu un tiers de leur population. Sur le continent nord-américain, États-Unis et Canada sont en conflit larvé pour le partage des ressources en eau. Le narrateur, qui a perdu sa femme et sa fille dans un de ces phénomènes climatiques, survit tant bien que mal en pleine nature. Dans une zone reculée fréquentée par des collapsologues, survivalistes, pillards et amateurs de sociétés alternatives, il vit éloigné des villes et de la civilisation, ou de ce qui en reste, qui croit encore en l’avenir. C’est compter sans la volonté de sa sœur, femme de caractère et à fortes capacités de travail devenue ministre de l’Intérieur, et sans la disparition de son frère, qui vient de passer sous les radars alors qu’il était secrètement en mission pour la DGSE.

PNG - 224.8 ko

« Nous subissions déjà de plus en plus de canicules, mais la population n’était pas prête à sacrifier les steaks d’élevage intensif, les bonnes douches matinales, le plastique, les voitures à essence. L’être humain aime son confort et il est incapable de penser à long terme. C’est aussi simple que ça. »

Pierrick, le frère du narrateur, a cessé de donner des nouvelles dans un contexte singulier. Il avait été recruté par le milliardaire Alejandro Perez, un génie de la science, pour écrire sa biographie. Ce magnat connu pour la mise au point d’une intelligence artificielle du nom de Cassandra organise dans un immense complexe recréant sous dômes des biotopes qui font autant de scènes gigantesques, une émission de télé-réalité du nom de « Survivre » : il apparaît que Pierrick enquêtait secrètement sur une partie de ce complexe dédiée aux laboratoires et que c’est au moment précis où il avait trouvé un moyen d’en savoir plus sur ces zones interdites qu’il a mystérieusement disparu. Mais il avait avant sa disparition réussi à faire pressentir Anton comme coach pour les candidats de ce jeu télévisé. Voilà donc Anton à son tour dans la place.

« Ces types étaient les ennemis déclarés des intelligences non humaines. Pour eux, Chloé représentait l’Antéchrist et Perez était le pape d’une église satanique. »

Plusieurs candidats, chacun parrainé par un « coach » spécialisé dans les techniques de survie. Anton Park, un scientifique du complexe travaillant sur l’empathie des intelligences artificielles qui contacte Florian avant de mourir – suicide ou plus vraisemblablement assassinat. Un mystérieux laboratoire. Un magnat qui demeure mystérieux. Une intelligence artificielle de seconde génération du nom de Chloé qui a participé à la sélection des candidats et des coachs sur des critères qui finissent par échapper à tous et peut-être même à son créateur – et dont des lignes de codes pourraient avoir été altérées. Mais par qui ? Pierrick ? Anton, le savant assassiné ? Un autre protagoniste ? Et surtout dans quel but ? Zoé, la candidate coachée par Florian qui se révèle bipolaire, épileptique, intelligente et semble être dotée d’une interface bio-informatique neuronale. Les Rédempteurs, une secte de fanatiques qui menace le complexe. Des drones, des androïdes, des animaux biomécaniques. Beaucoup d’éléments qui tous concourent à la même impression : les choses ne sont pas vraiment ce qu’elles semblent être. La finalité de cette série d’épisodes télévisés, tout comme son enjeu, pourraient bien être d’un tout autre ordre que celui d’une simple émission à succès. Quelque chose se trame, dont nul n’a vraiment aucune idée.

« Avec notre équipe, nous voulions atteindre cette fameuse singularité. Ce moment incroyable où l’intelligence artificielle serait plus intelligente que l’être humain. Et en 2035, nous y sommes enfin. »

Disons-le d’emblée : dans « Survivre  », maladresses ou approximations laisseront les lecteurs les plus exigeants passablement dubitatifs. Les dialogues sont à tels points caricaturaux qu’ils paraissent à la limite du vraisemblable, donnant parfois au lecteur l’impression de regarder une série télévisée scénarisée à la va-vite et surjouée par des acteurs médiocres. La plupart des individus sont des clichés animés par des psychologies convenues ou exagérées et les personnages secondaires (autres candidats, autres coachs, etc.), de simples silhouettes n’apparaissant que lorsque l’histoire le requiert, sur des scènes qui, par conséquent, paraissent manquer singulièrement de relief. La formulation d’évidences avec retard ne donne pas une image flatteuse du héros : au chapitre huit, il semble avoir une illumination (“j’ai acquis la conviction que mon frère avait plongé le nez dans ses affaires et que sa découverte l’avait mis en danger”), ce qui était évident dès les premières pages, l’auteur récidivant même un peu plus loin, précisant, lorsqu’un protagoniste annonce à Florian “je pense qu’il est arrivé quelque chose à votre frère”, que le héros « accuse le coup » comme s’il pouvait être surpris ! (On est ici dans l’humour involontaire, qui rappellera aux cinéphiles une scène hilarante de « La Cité de la peur » (Alain Berbérian, 1994), où un investigateur décrète sur un ton docte “je crois que nous avons affaire à un serial-killer”, évidence destinée à souligner sa bêtise au sujet d’un élément qu’il était le seul à ne pas avoir saisi dès le début.) Aussi bien le narrateur que sa sœur – qui, rappelons-le, est tout de même ministre – prennent pour argent comptant tout ce que les uns et les autres déclarent, rapportant leurs propos comme s’il s’agissait de faits avérés. Les inventions scientifiques arrivent comme des deus ex machina, par exemple ces « brouilleurs pour échapper à la reconnaissance faciale » dont l’auteur se garde bien d’expliquer comment ils pourraient fonctionner, de même que les aptitudes des personnages, par exemple quand le coach, pour échapper aux micros, se met à parler en bougeant les lèvres sans émettre le moindre son, et que la candidate, par ailleurs pas vraiment dégourdie, se met à lire sur ses lèvres (ne sourions pas, il semble évident pour l’auteur que tout le monde dispose d’une telle aptitude.) Quant aux techniques de survie, qui semblent être le domaine d’expertise des fameux coachs, et qui auraient été intéressantes à développer, elles semblent ici réduites aux compétences basiques de tout randonneur.

Malgré ces défauts, le récit finit par prendre corps sur une multiplicité de thématiques, de rebondissements et des scènes d’action – un passé de cinq années dans la Légion étrangère et des expériences de survivaliste ont donné à Florian Starck suffisamment de ressources pour donner du fil à retordre aux traditionnels méchants de l’histoire. Multiplicité de thématiques, en effet, de celles qui reviennent de plus en plus souvent dans les ouvrages relevant ouvertement de la science-fiction ou dans les techno-thrillers : la manipulation des consciences, les artefacts neuro-informatiques, l’omniprésence des drones, les intelligences artificielles, les virus et bactéries à potentiel pandémique resurgissant à l’occasion du réchauffement du permafrost, les catastrophes climatiques, le cryptage quantique, le deep learning. Si beaucoup de ces notions scientifiques ne sont que très superficiellement abordées, voire même simplement mentionnées, la seule référence explicite à la science-fiction est celle du « Blade Runner » de Ridley Scott : une référence qui prend tout son sens lorsque l’on comprend que l’argument principal du récit sera l’émergence des intelligences artificielles et la réflexion de la place fondamentale qu’elles pourraient prendre dans l’élaboration du futur. Une fin ouverte, un dilemme qui laissera au lecteur l’opportunité de réfléchir à cette singularité qui, sous nos yeux, se dessine dans le monde réel.

« Cela ne représentait rien en regard de la propagation d’un virus, la montée prochaine des océans, le manque d’eau potable, les canicules meurtrières. »

Extrême facilité de lecture, avec peu de descriptions et beaucoup de dialogues, vocabulaire toujours simple malgré les thématiques scientifiques abordées : « Survivre  » n’est en aucun cas un de ces thrillers « hard-science » qui demandent un effort au lecteur, mais plutôt de ces ouvrages calibrés pour s’inscrire à la fois dans les grandes thématiques du présent et dans l’anticipation à court terme tout en restant accessibles à tous. À ce titre, il aurait tout aussi bien pu sortir dans une collection jeunesse que dans une collection pour adultes.

Ce « Survivre  » aura en tout cas bénéficié d’une malchance singulière en raison d’une sortie programmée au dix-neuf mars, soit au tout début de la sortie du confinement. On ignore s’il sommeille en ce moment même sur les tables de librairies fermées depuis deux mois ou dort encore dans l’obscurité de cartons dont il n’a, peut-être, pas eu le temps de sortir. Autre conséquence envisageable : les lecteurs auront-ils envie de dévorer des récits d’un monde qui sombre, alors qu’eux-mêmes sortent à peine d’une catastrophe virale et de deux mois de confinement ? Alors que plusieurs auteurs ont annoncé avoir abandonné des romans à tonalité apocalyptique et à arrière-fond microbiologique encore en cours d’écriture, car de telles fictions étaient trop rapidement et trop fidèlement rattrapées par la réalité en cours – triste revers des anticipations trop lucides – , il est permis de se poser la question. Il en est tout cas à souhaiter que malgré ses imperfections ce « Survivre » ait sa chance à l’issue du déconfinement et ne tombe pas irrémédiablement dans les oubliettes en raison d’une date de sortie involontairement programmée au pire moment envisageable. Sous une couverture à la fois sobre et très réussie, avec vernis sélectif pour le titre et pour le nom de l’auteur, destiné à un très large public, « Survivre  » a le mérite de nous avertir sur les dérives d’un monde se précipitant chaque jour un peu plus dans une logique de chaos, un monde à l’avenir illisible et qu’il serait temps de réécrire.


Titre : Survivre
Auteur : Vincent Hauuy
Couverture : R. Pépin / Jasmina 007 / E+ / Getty Images
Éditeur : Hugo et Cie
Collection : Thriller
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 424
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : mars 2020
ISBN : 9782755647501
Prix : 19,95€

Les thrillers Hugo et Cie sur la Yozone :

- « Le Tricycle rouge » de Vincent Hauuy
- « Crow » de Roy Braverman
- « Hunter » de Roy Braverman
- « Freeman » de Roy Braverman
- « Le Journal de Claire Cassidy » d’Elly Griffiths
- « Les Sages de Sion » par Hervé Gagnon
- « La Terre promise » par Hervé Gagnon
- « Les Passagers » de John Marrs
- « Âmes soeurs » de John Marrs


Hilaire Alrune
17 mai 2020


JPEG - 49.2 ko



Chargement...
WebAnalytics