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Clin d’oeil du héron (le)
Jean-Claude Dunyach
L’Atalante, nouvelles (France), SF & merveilleux, 141 pages, septembre 2016, 10,90€

Si depuis quelques années il s’amuse avec son Troll à parodier tant la fantasy que le monde de l’entreprise moderne, ce 8e recueil de nouvelles confirme que sous son air débonnaire et ses bons mots propres à susciter l’hilarité, Jean-Claude Dunyach est avant tout un nouvelliste de grand talent, qui mêle intimement science-fiction et humanité.
Un opus très empreint de sensualité, charnel, en réaction aux thèmes froids d’IA, d’espace immense ou d’une société de plus en plus (dé)connectée.



Voilà, tout est dit, en fait. Pour ces 7 textes, parus entre 2005 et 2015, l’auteur convoque le merveilleux, l’étrange, le magique, l’illusion, l’impossible, et ce que rend tout cela possible : l’humain.

“Le clin d’œil du héron” commence, pourrait-on croire, mal : le narrateur profite d’un bijou tombé pour suivre une femme dans Amsterdam, engager la conversation, se faire passer pour quelque chose, l’entrainer, avec sa sœur, dans une soirée inattendue, un pas de côté dans le quotidien bien réglé. Mais son manège est éventé, la fin de soirée brutale... avant un ultime retournement dont l’auteur a le secret. Véritable illusion, jouant avec nos idées préconçues, nos attentes de lecteur de fiction, le texte balaie tout, nous interrogeant sur tout ce qu’il ne nous a pas dit, les intentions du narrateur, ses talents, son réel objectif. Un bijou.

Perspective de fuite” nous transporte dans un Londres en bichromie, dans la relation étrange mais bien réglée entre un analyste, roi des chiffres et de la prospective, et une artiste contemporaine. Le narrateur se satisfait des bizarreries de sa partenaire comme de leur sexualité codifiée, il vit le moment présent dans un monde qui lui apparait de plus en plus déliquescent, profitant du beau qui demeure encore en ce monde, tandis qu’elle se soustrait à lui pour quelques semaines, le temps d’une injection de nanomachines censées lui procurer un corps parfait. Une opération pleinement cohérente de sa démarche artistique, mêlant la machine et l’humain. Il y a un piège final, bien sûr, comme dans tout engagement. Très sensuel, sexuel, mais aussi froid, on imagine chaque scène dans un noir et blanc très tranché, aux rares nuances, entre les films « Sin City » et « Renaissance », tout aussi extrêmes.

Dieu, vu de l’intérieur” est plus scientifique. Une chercheuse a découvert quelque chose dans l’espace, d’immense et d’infinitésimal, mais qui bouge. L’appeler Dieu est une boutade, mais dans les 72h qui vont suivre, entre les calculs de son conjoint et sa chef de projet aux allures de tyran, la tension est à son point d’orgue. Ah, et elle est enceinte, en plus. Dunyach confronte les forces de l’intime, la pression de la recherche scientifique, ses méandres internes et son jeu d’apparences, et l’acceptation de l’existence de quelque chose qui dépasse nos capacités de compréhension. Son texte devient une réflexion sur le choix, les choix, personnels, professionnels, intellectuels. Le choix de vivre, de subir, de respirer encore et d’aller de l’avant quand l’univers entier pourrait nous écraser et que Dieu, clairement, est en train de s’en aller. Encore une fois, sous le vernis scientifique, un texte très humain, qui s’adresse à tous.

Fort bref, le bien titré “Le Lieu où tout se croise” nous extirpe d’une société, d’un microcosme réduit à 3 personnages, qui plus est triangle amoureux, pour nous déposer dans un espace interstitiel face à un gardien redoutable. Par la magie des mots, confrontée à la magie tout court, le piège mortel se change en sésame pour une vie meilleure. Sombre, nébuleuse, la nouvelle nous recrache avec une bouffée d’espoir.

Projection privée” s’ouvre sous des allures de repaire de méchant de films d’espionnage, avec caméras et toile d’araignée de lasers. Mais ce que l’intrus vient chercher chez le propriétaire des lieux, sorte de nabab misanthrope, est un trésor à rendre fou : la vie éternelle. mais elle a un prix qu’il ne s’attend pas à devoir payer. Dans un décor vintage peuplée de créatures de rêves de l’âge d’or du cinéma, l’auteur expose avec simplicité tout le paradoxe d’une éventuelle immortalité.

Après des textes très marqués SF, “Les ailes que j’emporte” se rattache davantage à l’onirique, teinté de cauchemars. On suit sur les routes un artiste, un performer dans une ambiance très music-hall, et son assistant. Le numéro est simple : il s’envole. La mécanique est fragile, les ailes encore plus. Entre les deux hommes, le secret du numéro les lie irrémédiablement, même s’il est une sorte de malédiction contagieuse, un don magnifique qui ronge. Aussi beau que sombre.

L’armée des souvenirs” nous ramène dans une anticipation aux accents cyberpunk, avec une traqueuse de contrefaçon d’articles de mode, des expériences culinaires éphémères et un couple de personnages qui n’est pas sans rappeler celui de “Dieu, vu de l’intérieur”, timides, complices et complémentaires. Texte à twist final, il a néanmoins la patte de l’auteur, cette prégnance d’humanité d’un bout à l’autre.

Voilà, pour la 8e fois, c’était à chaque histoire un envoutement, un choc tant visuel que littéraire, ça vous laisse avec un frisson, une chair de poule, un espoir qu’aussi sombre, aussi froid que soit ce qui nous attend, la vie l’emportera toujours. Un recueil à savourer, un texte à la fois, au fil d’une semaine d’émotions.


Titre : Le Clin d’oeil du héron (nouvelles)
Auteur : Jean-Claude Dunyach
Couverture : Gilles Francescano
Éditeur : L’Atalante
Site Internet : fiche du roman
Collection : La dentelle du Cygne
Pages : 141
Format (en cm) : 18 x 13 x 1,6
Dépôt légal : septembre 2016
ISBN : 9782841727780
Prix : 10,90 €



Nicolas Soffray
7 février 2020


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