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Science de l’esquive (La)
Nicolas Maleski
Harper Collins France, collection Traversée, polar/littérature générale, 217 pages, janvier 2020, 17€


« C’est l’adrénaline qui l’a porté jusque-là, et, maintenant qu’elle reflue, la paranoïa s’engouffre dans l’espace vacant. »

Il se nomme Malek Wozniack. C’est un ancien boxeur. Il est en fuite, avec un paquet de billets. Il a pris soin de déguerpir sans laisser de traces. Trains, puis bus, piste brouillée, brisée, sans se faire remarquer. Ne payant qu’en liquide. Tout comme la location d’une bicoque isolée, en marge d’une petite ville dans les Causses, là où personne ne le reconnaîtra. Son idée : rester sous les radars un mois ou deux, puis traverser les mers. Refaire sa vie dans un ailleurs lointain, un ailleurs rêvé.

« Le jardin est silencieux mis à part les grillons. Dans cette jungle, la lumière aux couleurs passées est celle des vieilles photos nostalgiques. »

Mais il est bien difficile de rester sous l’horizon optique. Un fait divers – il repêche une personne en train de se noyer – le met sous le feu des projecteurs. Pas trop, mais quand même : une jeune fliquesse s’intéresse à lui. Et la bande de jeunes dont il a aidé l’un des membres le prend en amitié et se met à débarquer régulièrement dans sa maison, avec mille substances illicites. Le voilà avec des fréquentations régulières, dangereuses d’un côté – mais quelle idée d’aller faire son footing avec une femme flic –, vaguement compromettantes de l’autre. Et quelle idée de se mettre, à son corps défendant, à reluquer la femme d’une maison proche.

« Transformer les matières. Voir éclore les trucs. Des tâches manuelles et intelligentes, cérébrales et physiques, dont on mesure l’utilité. C’était peut-être son destin de rechange, l’exode idéal qu’il recherche en vain. »

Mais si Malek est en cavale, c’est surtout Nicolas Maleski qui, en virtuose, mène le lecteur en bateau. On le découvrira tout doucement, au fil des pages : son personnage n’est pas celui que l’on croit, sa faute n’est pas celle que l’on imagine. Ce crime dont il s’accuse, cette rupture qui a fait qu’il est à présent un fugitif, on ignorera longtemps quels ils sont. À l’évidence, Nicolas Maleski aime et cultive avec soin ces faux semblants que l’on se fait à partir d’une poignée de détails : la voisine réservera quelques surprises, les jeunes apparaîtront comme plus et mieux que la poignée de fumeurs de joints habituels.

Des personnages qui sont loin des clichés, loin de stéréotypes, loin de la psychologie à l’emporte-pièces habituelle, et en s’en éloignant gagnent une épaisseur, une densité particulières. Tous ont leur qualité, leur volonté, leurs illusions, leurs failles. Tous, peut-être, sont en train sans le savoir de courir à leur perte, ou peut-être, en le sachant, de se construire une vie digne d’être vécue. On pense parfois à Pierre Pelot pour ces personnages qui ont à la fois épaisseur et rugosité, qui deviennent tellement vrais que leurs émotions finissent par trouver écho dans l’esprit du lecteur. Dans une prose fluide, Nicolas Maleski décrit ces trajectoires qui tantôt fusionnent et tantôt s’éloignent, ces destins contraints par des vies ordinaires ou embellis par des désirs extraordinaires, et qui, en évoquant ces aspirations contrariées que chacun connaît, ces rêves que l’on nourrit tantôt de fantasmes et tantôt de raison, ces rêves que mille motifs et mille arguties nous poussent à tenir à distance, aborde l’éternel et universel problème des choix et de leurs déchirements.

Ces personnages ambigus, animés par une touche de schizophrénie très ordinaire, Nicolas Maleski les décrit avec ironie mais aussi avec empathie, sans les juger, sans les catégoriser, et prend soin de les intégrer dans une société dont les signes de dérives sont partout. Thématiques contemporaines, donc, comme celle de la pléonexie morbide qui est en train de détruire et de souiller irrémédiablement notre monde, et où celui qui est censé réfléchir le plus et le mieux n’est guère qu’un “client par essence”, une “bête de consommation”. Thématique contemporaine, encore, de ceux qui passent pour fous et pour excentriques dès qu’ils refusent d’entrer dans le moule, de suivre le chemin que d’autres ont tracé et qui se soldera comme celui de tous ceux qui finissent avec un “espoir réduit aux grilles de loto” – avec en miroir un bel éloge des volontaristes qui vont tracer leur sillon et qui ne finiront jamais dans la renonciation, même si le « lâcher prise » et le « tout abandonner » ne sont pas eux non plus ce que l’on croit.

Si Nicolas Maleski inscrit donc ses personnages dans une société bien réelle, il se garde bien d’en faire une critique trop facile ou trop ostentatoire – ses personnages de perdants, comme le fils de la loueuse, sont eux aussi décrits avec une empathie certaine. Et il n’est pas sûr en définitive qu’ils aient tort de nier que l’on puisse réellement tresser une existence sans y mettre un brin de déraison et de folie, tort de refuser une fuite en avant qui pourrait finir en drame. Le crime de Wozniak était-il vraiment l’élément déclencheur de sa cavale, ne serait-il pas plutôt ce qui l’attend à l’étape suivante ? Ambiguïté encore pour ce roman fluide et lumineux, avec de belles échappées dans les escarpements et vallées désertiques des Causses. Entre raison et déraison, entre polar et littérature existentielle, cette« Science de l’esquive » apparaît comme un roman plaisant, solaire, et en définitive optimiste.


Titre : Science de l’esquive (La)
Auteur : Nicolas Maleski
Couverture : Caroline Gioux / Jennie Ross / Gallery Stock
Éditeur : Harper Collins France
Collection : Traversée
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 217
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : janvier 2020
ISBN : 9791033904144
Prix : 17€

Les éditions Harper Collins sur la Yozone :

- « Les Figures de l’ombre » de Margot Lee Shetterly


Hilaire Alrune
7 janvier 2020


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