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Cité de feu (La)
Kate Mosse
Sonatine, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), thriller historique, 605 pages, janvier 2020, 23€

On connaît Kate Mosse pour son « Labyrinthe » roman historique, ésotérique et fantastique, ainsi que pour « Sépulcre », « Citadelle » et « La Fille du taxidermiste ». Avec « La Cité de feu », la voici de retour du côté de l’Occitanie – où elle vit et où elle a reçu cette année même la médaille de la ville de Carcassonne – pour un récit qui se déroule au milieu du seizième siècle.



« Une étagère remplie de lourds registres surplombait un comptoir occupant toute la longueur d’un mur, sur lequel traînaient papier, encre, plumes, et un livre de comptes laissé ouvert à côté d’un boulier. Des diamants de lumière filtraient à travers la fenêtre à vitrail sur le mur opposé. »

Le récit débute à Carcassonne, durant l’hiver 1562. On découvre Marguerite Joubert, alias Minou, une jeune fille hardie et intelligente qui s’occupe de la librairie de son père, lorsque ce dernier est souffrant. Une activité qui n’est pas de tout repos et même peut s’avérer dangereuse en ces temps troublés ou les esprits éveillés et ouverts sont vus d’un particulièrement mauvais œil. Nous sommes en effet à l’époque de l’essor et de la répression du protestantisme, et les huguenots qui récusent certains des dogmes les plus insoutenables de l’Église font l’objet non seulement de réprobation et de discrimination, mais aussi de meurtres et de massacres. L’Inquisition, dans l’ombre, torture et assassine à tours de bras. La France est divisée et les Édits de tolérance – précurseurs de l’Édit de Nantes qui sera proclamé quelques décennies plus tard –, visant à apaiser les tensions, sont considéré par les uns avec espoir, par les autres avec scepticisme. Tous ont peur, et beaucoup complotent.

« La menace d’une dénonciation terrifiait tout le monde ; un homme pouvait être pendu pour avoir récité la mauvaise prière, s’être agenouillé devant le mauvais autel. Mieux valait garder ses opinions pour soi en espérant être épargné par les conflits. »

C’est dans ce contexte historique particulier que l’on suit les aventures de Marguerite Joubert, qui est catholique, de sa petite sœur Alis, de son frère un peu chien fou Aimeric, de son père Bernard Joubert, de Piet Reydon, un jeune huguenot, de l’ami d’enfance de Piet, David, devenu prêtre, des complices des uns, des amis des autres, et de bien d’autres personnages encore.

Une lettre étrange, un mystérieux testament glissé dans une bible elle-même dissimulée dans une église, des boisseaux entiers de secrets, mais aussi, inévitable dans ce genre de récit, une relique. Pour l’occasion, ce sera le suaire d’Antioche – un suaire de plus pour la tradition chrétienne, à ajouter à ceux qui existent déjà – dont Kate Mosse précise qu’il aurait été rapporté à l’église de saint Sernin du Taur de Toulouse par les Croisés en 1392 et volé dans son reliquaire cinq ans auparavant. Même si beaucoup parmi les protestants – et même parmi les catholiques, c’est d’ailleurs le cas de Minou – n’approuvent pas le culte des reliques, de tels objets restent des attributs de prestige et de pouvoir de tout premier plan. Qu’ils soient authentiques ou non importe peu : on est donc prêt à tout pour s’en emparer.

«  Immédiatement après, je me rendis à la chapelle et confessai uniquement mes péchés véniels, faisant de l’exécution de la sage-femme un secret entre Dieu de moi. C’est la voix du seigneur que j’entends dans ma tête et nulle autre.  »

Dans l’ombre, dans une ombre lointaine, quelqu’un tire de maléfiques ficelles. À travers ses brèves confessions, qui apparaissent en inter chapitres, on devine peu à peu, lentement, par petites touches, qui est cette personnalité diabolique. Une personnalité elle aussi hantée par la foi, une foi pathologique à laquelle viennent se mêler la folie, l’orgueil, l’ambition, la perversité, et le meurtre. Et l’on comprend peu à peu, dans ce récit qui pour l’essentiel se déroule à Toulouse et à Carcassonne, que le destin de bien des protagonistes se déroulera sur les lieux mêmes de leurs lointaines racines, du côté du château de Puivert.

«  La contagion protestante se répand sans frein. Ils grouillent comme des rats dans nos villes, nos villages et nos bourgs, respirant l’air catholique, infectant les terres bénies du Seigneur. »

On l’avait deviné : pour apporter beaucoup de lumière, au fil des rencontres, une belle idylle se dessinera entre Marie et Piet, malgré le fait que tout, y compris leur foi, les sépare. À une époque où, écrit Kate Mosse, “les vieux secrets projetaient des ombres longues”, ce qui est dissimulé n’est pas forcément trouble, pas forcément ténébreux. Et il faut savoir prendre des décisions hardies, car, l’explique un des personnages, “les cimetières de l’Histoire sont jonchés des os de ceux qui ont attendu trop longtemps.” On pourra peut-être reprocher à Kate Mosse, pour nourrir ces péripéties et ces aventures, des personnages un peu trop manichéens, et à leur terme une fin décidément trop « happy ».

Et après cette fin, le lecteur qui aura gardé le prologue en mémoire se posera tout de même quelques questions. Car rien ne vient vraiment éclaircir ce prologue, décrivant une scène dans un cimetière de Franschoeck, en Afrique du sud, trois siècles après l’intrigue, en 1862. Seule une phrase et quelques aspects historiques mettent ces premières pages en relation avec le récit. Manière, sans doute, de garder hameçonné le lecteur, qui apprendra par ailleurs que cette « Cité de feu » – roman qui pourtant se suffit à lui-même – est le premier tome d’une trilogie.

« Puis, tel un rayon de soleil hivernal qui illumine tout à coup une journée de décembre, elle comprit brusquement comment toutes les pièces du casse-tête s’assemblaient. C’était comme si elle avait jusqu’alors regardé l’envers d’une broderie : vu l’enchevêtrement de couleurs vives, les fils qui dépassaient, les points inégaux, sans pouvoir visualiser ce qui était représenté. Et soudain, elle avait retourné l’ouvrage et la véritable image s’était révélée. »

Les six cents pages de « La Cité de feu » n’effraieront personne : d’une part parce qu’il s’agit du format de Kate Mosse et que ses lecteurs y sont habitués, d’autre part parce que la prose est particulièrement facile à lire, avec une part importante de dialogues. Si l’ouvrage apparaît documenté sur le plan historique, si les détails ici et là – vêtements, métiers, ambiances, architecture – viennent donner la couleur locale et l’aspect historique nécessaires, si les personnages glissent à l’occasion, et pour le folklore, quelques phrases ou quelques expressions en occitan, la prose apparaît soigneusement expurgée de tout terme technique ou un tant soit peu atypique susceptible d’interroger – mais aussi d’instruire – le lecteur. D’où l’impression d’une écriture volontairement neutre et aseptisée de best-seller, certes agréable et extrêmement fluide, mais qui apparaît souvent manquer de profondeur ou d’âpreté en regard des situations décrites. D’une lecture aisée, « La Cité de feu » se feuillettera sans difficulté, sur la plage ou au bord d’une piscine, et aura au moins le mérite de nous rappeler, à travers une belle histoire, quelques heures particulièrement sombres des siècles passés.


Titre : La Cité de feu (The Burning Chambers, 2018)
Auteur : Kate Mosse
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Caroline Nicolas
Éditeur : Sonatine
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 605
Format (en cm) : 14 x 22
Dépôt légal : janvier 2020
ISBN : : 9782355847639
Prix :23 €


Les éditions Sonatine sur la Yozone :

- « Je suis le fleuve » de T.E. Grau
- « Avis de décès » de Zhou Haohui
- « Les Sept morts d’Evelyn Hardcastle » de Stuart Turton
- « Carnets clandestins » de Nicolás Giacobone


Hilaire Alrune
23 janvier 2020


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