Derrière son pseudo célèbre de l’Odieux Connard, Julien Hervieux démonte depuis dix ans déjà les failles souvent abyssales des œuvres de fiction, souvent hollywoodiennes. S’il s’était l’an dernier infligé la lecture de « 50 nuances de Grey », il s’attaque ici à un autre best-seller aux fans d’autant plus vindicatifs qu’ils n’auront pas lu une ligne mais visionné en boucle les 7 premières saisons de la série (ne parlons pas de la 8) (non, vraiment) (pour ne pas spolier).
Avec la verve qu’on lui connait (ou que je vous invite chaudement à découvrir, sur les pires navets comme vos films de chevet), il déplore la surabondance de personnages, les heureux hasards, les personnages longs à la détente, trop naïfs pour ce monde de brutes, les ficelles assez grosses pour entraver des éléphants... Avec parfois un peu de mauvaise foi, bien entendu, puisqu’il n’est pas question ici de critiquer l’œuvre mais de la parodier.
Déjà, comme il y a pffff, trop de personnages, autant leur donner des noms explicites. Les Targaryens déchus sont ainsi renommés les Tapurien, ce qui est quand même vachement plus pratique. La psychopathie de Jofrey, devenu Jojo, s’exprime par sa capacité à faire des caprices en se roulant par terre en quasi permanence. On a tout autant envie de le voir crever. Sa mère Cersei, devenue Cirrhose par sa propension à picoler, tourne toujours le dos aux gens. Toujours. Ce qui n’est guère pratique pour parler et encore moins pour... tout le reste. L’assassin sans-visage, habilement prénommé Jean-Jacques - comme tous les quidams interchangeables - refuse bien évidemment d’assassiner les personnages majeurs de l’intrigue parce que sinon, ben, y’a pu d’histoire. Rhaa c’est pas de chance... Et que dire de Sam qui tombe fort à propos sur une lame en Griptonite au moment de croiser un Marcheur Gris... ah non, ça c’est dans l’oeuvre originale, mes excuses et celles de l’auteur...
L’Odieux Connard concentre en 250 pages les 3 premières saisons, conservant les rouages essentiels de l’intrigue de si belle façon qu’un lecteur totalement ignorant de « Game of Thrones » ne trouverait cela ni insensé ni décousu. Les autres apprécieront de voir moqué le Dieu Rouge, devenu Karambar la divinité de la blague pourrie, et désacralisés leurs héros au destin tragique. Les âpres Greyjoy deviennent de fiers Bretons, leurs îles des fèces de géants et leur ambition est guidée par la pâte à crêpes. Danny, avec ses trois briquets dragons, ne peut s’empêcher de tout cramer, même si cela prend du temps, petit bout par petit bout... Entre les personnages principaux complètement à l’ouest(ecoste) et les secondaires qui ont l’air d’avoir lu le script et tentent de retarder l’inévitable (leur éviction ou celle du héros sans lequel ils passent à la trappe) ou de dissimuler les trous béants à grand renfort de gesticulations, on rit d’un bout à l’autre.
Plus haut est le piédestal, plus dure est la chute ! Si l’œuvre de G.R.R. Martin est monumentale, et les 7 premières saisons de son adaptation télévisuelle (je n’en suis qu’à la 6e, donc arrêtez de parler de la 8 !) un raz-de-marée planétaire, ce « Game of trolls » est une mine de moquerie, de piques, de blagues pas toujours fines, de jeux de mots régressifs, d’allusions à l’actualité ou encore de références geeks entrées dans la culture pop.
Même Didier Graffet s’en est donné à cœur joie avec la couverture (ne manquez pas la Main sur la 4e..), parodiant le trône magnifié par Marc Simonetti en y incluant pommeau à smiley, fourchette à escargot, tire-bouchon, jusqu’à la Snaga de Druss, son emblématique couverture du premier ouvrage paru chez Bragelonne il y a maintenant 20 ans.
La parodie n’est pas un genre facile, mais une corde raide d’où il est facile de choir dans le mauvais goût et le graveleux. Bragelonne a un passif dans le genre, avec des traductions anglo-saxonnes comme « Lord of the Ringards » ou « Bingo le Posstit ». Récemment, avec ses Guides, les éditions Léha s’y sont essayé, avec plus ou moins de réussite. Je suis probablement un public conquis et acquis à l’OC, et je n’aurais guère rechigné à 50 pages de plus.
Un ouvrage qui ne restera pas bien sûr dans les annales (sans jeu de mots, merci, c’est une maison honnête ici), mais qui se dévore sans remords et nous noie sous les endorphines, plutôt que dans la vinasse comme Cirrhose et Ptiron, ou dans la baie de la Nera à coups de cocktails mojitof. Vivement la saison 2 !
Sachez enfin que l’auteur signe sous le nom de Julien Hervieux des ouvrages plus sérieux, dont récemment « Au service de sa Majesté la Mort » chez Castelmore, dont nous parlerons bientôt du tome 2.
Titre : Game of trolls, une parodie
Auteur : L’Odieux Connard (Julien Hervieux)
Couverture : Didier Graffet
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 249
Format (en cm) :
Dépôt légal : novembre 2019
ISBN : 9791093835433
Prix : 14,90 €