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Passagers (Les)
John Marrs
Hugo et Cie, collection Hugo Thrillers, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), thriller, 438 pages, novembre 2019, 19,95€


« Ces commissions ne sont qu’un écran de fumée. Le gouvernement se retranche derrière elles, et cache ce que vous faites derrière un processus de pure forme qui n’a aucun effet. »

Le Royaume-Uni, dans un futur proche. Les véhicules routiers autonomes sont en train de prendre le dessus sur les véhicules conduits par des êtres humains. Après un vote à la chambre des Communes et à la chambre des Lords, le gouvernement a décidé d’interdire les véhicules à conduite manuelle dans les années à venir. Censée rendre un avis éthique, une commission a été créée pour avaliser cette décision. Sa composition – le ministre des transports, une avocate, un représentant de l’ordre des médecins, une représentante de la pluralité religieuse et une citoyenne tirée au hasard – et le fait qu’elle siège obligatoirement à huis clos, en disent long sur le caractère purement symbolique de l’affaire. Libby Dixon, la citoyenne tirée au hasard, le constate avec effarement : dans chaque affaire d’accidents mortels causés par des véhicules autonomes qu’ils sont censés étudier, les dés sont pipés, et le groupe, contre son avis et au mépris de toute évidence, dédouane les logiciels, allant même jusqu’à accuser les victimes qui se font écraser.

« Ils avaient assisté, fascinés, à l’arrivée de la voiture, qui s’était livrée d’elle-même chez eux et s’était garée dans l’allée. »

C’est dans ce contexte particulièrement propice que l’imprévisible survient. Un hacker prend à distance le contrôle de huit véhicules autonomes. Dans ces véhicules, un ex chauffeur de bus, obligé de se reconvertir dans l’imprimerie à cause de l’émergence des bus autonomes ; Sofia Bradbury, une actrice sur le retour ; Claire Arden, une jeune femme enceinte ; Sam et Heidi Cole, un couple qui s’apprête à fêter un anniversaire de mariage ; Shabani Khartri, qui était justement en train de fuir le domicile conjugal en raison de la violence de son époux ; Bilquis, une migrante ne causant pas anglais ; et enfin Jude Harrison, que Libby Dixon avait rencontré quelques mois auparavant, et qu’elle essayait de retrouver depuis.

Le hacker n’a pas seulement pris le contrôle des voitures, il les a également piégées. Dans les média, sur les réseaux sociaux, il fait apparaître tour à tour les otages. Mais il a pris également le contrôle de l’équipement informatique de la fameuse commission, qui apparaît, également à son corps défendant, en direct et sur tous les médias, filmée en direct, et ne pouvant se débarrasser des caméras, au risque qu’une des voitures aussitôt explose. C’est un nouveau jeu qui s’ouvre : dans un peu plus de deux heures, ces véhicules entreront en collision frontale. Du moins, ceux qui resteront. Car le hacker appelle les réseaux sociaux et la commission à voter pour ceux qui mourront les premiers – un seul aura droit à la vie sauve. Ainsi la commission fantoche, contrainte et forcés, se retrouve-t-elle transformée en tribunal de la mort. Ses membres ont chacun dix minutes pour entrer en contact avec la victime de leur choix et les pousser à plaider leur cause. Le hacker a tout prévu. Si quelqu’un essaie de freiner ou de ralentir une de ces voitures, il la fera aussitôt exploser. Si le gouvernement essaie de les détruire lui-même en espérant qu’il n’y aura pas de victimes collatérales, ce sont des bâtiments piégés qui exploseront à travers le pays.

Toute l’astuce de John Marrs et de parvenir à rendre crédible une intrigue qui se fait de plus en plus complexe et qu’il parvient à nourrir avec des éléments inattendus, car le hacker en sait beaucoup, et pas seulement au sujet de ses victimes. Ce roman trépidant est donc sans cesse nourri de nouvelles révélations, concernant aussi bien les membres de la commission, dont ce sera aussi le procès public, que chacun des passagers. Pourquoi donc l’une de ces passagères transporte-t-elle un cadavre son coffre ? Le couple uni et modèle était-il bien un couple modèle ? Quels squelettes la fameuse actrice Sofia Bradbury, qui, de manière hilarante, reste persuadée d’avoir été engagée à son insu dans un jeu de téléréalité, dissimule-t-elle dans ses placards ? Nous n’en évoquerons pas plus pour laisser au lecteur découvrir les mille surprises du ce récit.

« Vous savez, c’est ce que j’aime chez les utilisateurs des réseaux sociaux. Malgré les menaces qui pèsent sur leurs enfants, ils préfèrent commencer par partager leur inquiétude avec le monde entier, et se précipiter à la rescousse de leurs chers petits ensuite. Partager d’abord, réagir après. J’adore. »

Autre astuce de John Marrs, l’arrivé abrupte en marge de le commission, imposée par le gouvernement au vu de la tournure des évènements, d’un expert en réseaux sociaux qui informera en direct ses membres des votes des internautes – car si l’on décide de la mort des uns et des autres, autant tenir compte des avis de la foule pour ne pas trop obérer sa carrière politique. Les commentaires presque cliniques de ce Buzzman apportent une jolie touche d’humour noir et permettent de mettre en lumière les réactions de pratiquants des réseaux sociaux basées sur l’émotion primaire, l’apparence, la superficiel, l’irréfléchi, l’absence de tout recul, et de tout raisonnement. Archétype de la pensée purement politique, le cynisme pertinent de Buzzman révèle le cynisme effrayant et primaire des internautes.

« La population britannique n’est qu’un ensemble de données depuis que Guillaume le Conquérant a ordonné son premier recensement pour son Livre du Jugement en 1086, commença-t-il. Ne prétendons donc pas que ceci est un cataclysme qui risque de déchirer la fibre morale même de nos sociétés. »

Un thriller ? Oui, et pas qu’un peu. Le frémissement d’une utopie noire qui est pour demain ? Sans doute. Car ce récit où John Marrs glisse quelques références discrètes à son précédent roman, « Âmes sœurs », fait tout comme lui partie de ces œuvres écrites sur la frontière mouvante entre présent et futur. On le sait : la science-fiction, quand elle frôle notre présent, le décrit et le décrypte mieux que tout autre genre. Si ces « Passagers  » sont écrits très simplement, à l’aide d’une prose sobre et purement fonctionnelle, et par conséquent d’une lecture particulièrement facile, ils sont plus un mieux qu’un banal thriller à classer dans le registre réducteur de la « littérature populaire ». « Les Passagers » va beaucoup plus loin que ses objectifs initiaux, qui semblaient être d’attirer l’attention sur les dérives des véhicules autonomes et de chercher prétexte à une énième dénonciation du voyeurisme médiatique ou à une (déjà) énième dénonciation de la manière dont ce qu’il y a de plus bas dans l’esprit humain peut être exacerbé et multiplié à l’infini par les réseaux sociaux. Ce à quoi s’attaque John Marrs avec « Les Passagers », c’est à quelque chose de beaucoup plus vaste et de beaucoup plus fondamental qu’une simple série de détails techniques : les fondements même du pouvoir et de la politique, les fondements même de la morale et de l’éthique. Fort justement, l’auteur mentionne au chapitre soixante l’expression déjà consacrée de « résistance au changement », expression classique de la novlangue technocratique destinée à faire imposer tous les abus et tous les reculs sociaux en faisant passer leurs détracteurs pour des rétrogrades. Ce que John Marrs rappelle incidemment au lecteur, c’est que des évolutions et des avancées proclamées comme inévitables peuvent dissimuler des reculs bien plus importants encore, et que la vigilance doit rester perpétuellement de mise.

Un thriller intelligent, donc, à la lecture duquel les cinéphiles établiront peut-être une lointaine parenté avec le long métrage « Speed  », de Jan de Bont et avec Keanu Reeves, immense succès au box-office de l’été 1994, dans lequel un fou avait piégé un autobus de de façon à ce qu’il explose au moindre ralentissement. Plus complexe, plus imaginatif, plus en phase avec les avancées technologiques, mais à l’évidence formaté pour une adaptation hollywoodienne, « Les passagers » pourrait bien devenir lui aussi un blockbuster.


Titre : Les Passagers (The Passengers, 2019)
Auteur : John Marrs
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Vincent Guilluy
Couverture : R. Pépin / Anuruk Perai / EyeEm / Getty Images
Éditeur : Hugo et Cie
Collection : Hugo Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 438
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : novembre 2019
ISBN : 9782755644463
Prix : 19,95 €


Un autre véhicule autonome sur la Yozone :

- « Suréquipée » de Grégoire Courtois

Les thrillers Hugo et Cie sur la Yozone :

- « Âmes soeurs » de John Marrs
- « Irrespirable » par Olivia Kiernan
- « Hunter » de Roy Braverman
- « Crow » de Roy Braverman
- « Vérité » de Hervé Gagnon
- « La faim et la soif » de Mickaël Koudero
- « Le Tricycle rouge » de Vincent Hauuy


Hilaire Alrune
7 novembre 2019


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