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Merveilles vendues par correspondance
Annier Pastor
Hugo et Cie, 158 pages, octobre 2019, 14,99€

La présentation de l’éditeur :
« Incroyable mais vrai ! Depuis plus d’un siècle, avec l’aide de réclames affriolantes, la presse populaire nous a vendu des inventions aussi incroyables que totalement bidons.
Les lunettes à rayons X qui font voir à travers les vêtements, la crème miracle qui fait repousser les cheveux en quelques mois, les pilules qui font maigrir de dizaines de kilos en quinze jours, le sous-marin en carton sans danger pour les enfants, les poissons lyophilisés qui revivent dans votre bocal d’eau, les haricots magiques qui bougent tout seuls, enfin, tout ce dont vous aviez rêvé et même au-delà…
Mais le plus beau c’est COMMENT on vous les a vendues. La forme est encore plus forte que le fond, qui apparaît aujourd’hui aussi rétro que surréaliste, comme une forme d’art brut et primitif qui fait de cet album un plaisir des yeux et un régal de l’esprit au plus haut niveau ! »



Nous n’avons pas repris par hasard la présentation de l’éditeur : un ouvrage consacré à la publicité ne pouvait être introduit que par la publicité qu’il se fait de lui-même.

Annie Pastor s’intéresse aux publicités françaises ou anglo-saxonnes des années trente à soixante-dix, celles que l’on trouvait souvent en marge des revues très « grand public », comme ces magazines pour femmes au foyer qui disposaient d’un formidable réservoir de cibles crédules, ou ces revues plus masculines consacrées aux faits divers effroyables. Des publicités qui mettaient en avant la science, mais aussi le surnaturel, pour proposer mille et une manières d’améliorer son existence. Ceux qui cédaient à ces sirènes se faisaient la plupart du temps plumer – les autres se contentaient de sourire en rêvant qu’elles puissent être vraies. Vintage ? Du simple passé ? Pas sûr : les mille et une manières de duper les crédules sont éternelles. Mais, l’éditeur le souligne à juste titre, c’est la présentation de ces publicités qui est toute particulière : polices de caractères, grammaire, illustrations composent une vaste machine à plonger dans le passé, à retourner dans les décennies révolues.

De telles publicités sont également un regard sur les évolutions de la société. On s’émeut par exemple de l’industrialisation du vivant et de la maltraitance concentrationnaire des animaux. Mais Annie Pastor rappelle à juste titre le commerce insensé des animaux de compagnie vendus par correspondance, et par millions, grâce aux publicités insérées dans les journaux. Aux États-Unis, crocodiles, ratons-laveurs, singes, putois, écureuils, corbeaux… on frémit quant aux conditions de transport. Les États-Unis ? Mais pas que. Annie Pastor rappelle à juste titre les pois sauteurs – des larves de papillons – et les « singes de mers » en cryptobiose (une variété de crevette, Artemia salina, capable de produire une forme dite « cyste », résistant à la déshydratation, et donnant une larve une fois remise en solution), qui se réveillent placés dans un mince espace liquide porté en bracelet, deux variétés d’êtres vivants qui ainsi traités finissent bien évidemment par mourir, considérés comme de simples gadgets, et offerts comme tels avec les numéros du fameux Pif Gadget. De la compagnie, de l’amusement, mais n’oublions pas la fortune, grâce à des méthodes, elles aussi vendues par correspondance, pour faire toutes sortes d’élevages improbables (chinchillas, crapauds géants.), et même pour pratiquer en amateur la taxidermie, et devenir ainsi capable de faire des cendriers, des presse-livres ou des pieds de lampe avec des écureuils et des lapins morts !

La partie consacrée aux jouets ne manque pas d’interpeller, avec l’ancêtre de la planche à roulettes (1941), les chaussures montées sur ressorts spiralés, les jouets radioactifs vendus dans les années quarante et cinquante (la bague radioactive, le microscope au radium, les kits d’expérience contenant des tubes de radium et d’uranium), et les jouets au plomb. Entre éducation et suicide, entre loisir et activités kamikazes… si le législateur contemporain a fait quelques progrès au sujet de la radioactivité et des produits chimiques des kits, force est de constater que pas grand-chose n’a changé par ailleurs et qu’il est bien souvent dépassé par la disruption, ces évolutions technologiques trop rapidement commercialisées – les faits divers dramatiques avec les mini-motos et les trottinettes électriques en sont un exemple.

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L’art de la publicité, c’est aussi de parvenir à vous vendre par correspondance ce qui est près de chez vous. C’est ainsi que celui ou celle qui n’est pas capable d’aller à quelques rues de chez lui pour prendre des cours de sport ou de toute autre activité pourra ouvrir son portefeuille pour céder à mille sirènes : maîtriser judo, karaté ou kung-fu, savate ou jiu-jitsu par correspondance, mais aussi apprendre les langues, le dessin, vaincre sa timidité, pratiquer la sorcellerie, devenir électricien, hypnotiseur, détective, écrivain. Sans compter les mille une entreprise que l’on peut développer soi-même pour faire fortune rapidement, dans son garage ou dans sa cuisine, rien qu’en achetant une fantastique machine à faire des chips, à fabriquer des ceintures ou à fourrer les bananes.

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Le retour sur de telles publicités et sur la foi que certains ont pu leur accorder interpelle, tout particulièrement au sujet des possibilités de la science. Ce qui paraît impossible aux uns ne le paraît guère aux autres. Et il suffit de demander à celui qui déplore la naïveté des dupes de ces réclames improbables d’expliquer par quel moyen scientifique il est capable de parler à quelqu’un qui se trouve à des centaines de kilomètres à l’aide d’un très mince objet sorti de sa poche : à tout coup il vous parlera des ondes, mais dans l’immense majorité des cas restera incapable de vous expliquer quoi que ce soit de crédible à leur sujet – il ne vous donnera qu’un concept particulièrement fumeux, pas plus convaincant que ceux des spirites ou des télépathes.

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De telles publicités, et les diverses formes de crédulité relatives, poussent inévitablement à s’interroger sur les pas de géants accomplis en quelques décennies par la science. Si l’on ne dispose toujours pas de lunettes à voir à travers les vêtements des voisins, ni à les transformer en squelettes animés, ni à voir à travers les murs, les techniques actuelles d’imagerie médicale vont mille fois plus loin que de tels gadgets. Et s’il n’était à l’époque pas possible de gagner vingt kilos de masse musculaire en deux semaines ou de grandir de plusieurs centimètres, les androgènes, corticoïdes et autres hormones de croissance ne sont pas loin d’autoriser de tels exploits.

« Les animaux en paquets », « Fun in gun », « Les frissons du jeu », « Le Devoir d’être beau », « Des super-pouvoirs », « Apprendre pour réussir », « Petits boulots », « Le Pouvoir mental », « Provoquez la chance », et « L’Amour toujours » : entre science, escroquerie, fantasme et anticipation ancienne, ces « Merveilles vendues par correspondance » feront rêver, sourire, réfléchir, et nous pousseront peut-être considérer les milles et une publicités qui nous environnent avec un œil plus critique et plus distancié.


Merveilles vendues par correspondance
- Auteur : Annie Pastor
- Éditeur : Hugo et Cie
- Pagination : 158 pages
- Format : 17 x 24 cm
- Dépôt légal : octobre 2019
- ISBN : 9782755643893
- Prix public : 14,99€


Illustrations © Annie Pastor et Éditions Hugo et Cie


Hilaire Alrune
18 octobre 2019



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