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Cthulhu métal - l’influence du mythe
Sébastien Baert
Bragelonne, essai, 406 pages, juin 2019, 35 €

Howard Philips Lovecraft… l’influence du maître de Providence, des décennies après sa disparition, apparaît toujours aussi considérable. Si celle-ci est évidente dans le domaine de la littérature, qu’elle soit de genre ou à ses marges, si elle est non moins évidente dans les domaines de la bande dessinée ou des arts cinématographiques, on a tendance à méconnaître l’impact d’une telle œuvre sur la musique. Sébastien Baert, longtemps rédacteur en chef de Hard Rock Magazine, et par ailleurs traducteur d’ouvrages de genre, comme les deux tomes du « Sang du rock » de Jennifer Smith-Ready ou la trilogie « Nous sommes Bob » de Dennis E. Taylor (« Nous sommes légion », « Nous sommes nombreux », « « Tous ces mondes », s’est penché sur la question. Résultat, une somme sans équivalent de plus de quatre cent pages.



« Je pense que c’est tout simplement dû au fait que son œuvre et sa mythologie sont une source inépuisable de contes et d’histoires que chacun peut s’approprier et retranscrire à sa manière. Comme s’il avait créé une sorte de glaise que chacun serait libre d’utiliser pour faire sa propre sculpture. » (Benjamin Boisier, chanteur et guitariste du groupe Lyndwurm Orphans)

Lovecraft et la musique, ce n’est pas une histoire toute récente. Si le Maître de Providence joua du violon avant de s’orienter vers la littérature, il n’imaginait sans doute pas inspirer autant de musiciens, ni aussi rapidement. C’est en effet, dès 1932, comme le rappelle Sébastien Baert dans le premier chapitre, intitulé « Avant que naisse le métal », que Harold S. Farnèse met en musique des extraits des Fungi de Yoggoth, et en 1937, à la mort de Lovecraft, que son ami le pianiste et compositeur professionnel Fred Galpin compose un « Lament for H.P.L. » Mais pas de parenthèse pour autant entre les années trente et le début des années métal : rock psychédélique, prog-rock, punk et ses variantes s’inspireront largement des œuvres de Lovecraft.

Après ce premier chapitre déjà dense, Sébastien Baert aborde un gros, très gros morceau : « Lovecraft et le Mythe de Cthulhu  ». Près de cent pages profuses pour ce chapitre qui montre que l’auteur est tout autant érudit et rigoureux dans le domaine de la littérature que dans celui du métal : il n’hésite pas à rappeler que le Mythe de Cthulhu est surtout une invention de Derleth (suivi par d’autres auteurs ou prétendus tels venus comme lui polluer les univers lovecraftiens avec nombre d’inventions et de récits rarement inspirés), ni à tordre le cou à quelques idées reçues concernant des groupes considérés à tort comme inspirés par Lovecraft, parfois sur la base d’un mot ou d’une analogie. Mais s’il en écarte certains, il en reste beaucoup pour témoigner de manière irréfutable de l’influence directe de l’auteur sur des décennies de musique, mais aussi de son influence indirecte, par exemple à travers un autre mythe, le Nécronomicon, ses versions apocryphes, ses prétendues traductions, ses diverses éditions, qui font l’objet du chapitre suivant.

Lovecraft et la musique : c’est « La Musique d’Erich Zann » que fait naître en tout premier cette association dans l’esprit du lecteur. On ne s’étonnera donc pas qu’une partie soit consacré à cette nouvelle et à ses influences sur des groupes comme Erich Zann (à ce jour, trois groupes ont adopté ce nom), Mekong Delta, Kindred Idol, Without Face ou encore The Great Old Ones. Mais le lecteur naïf, qui croyait avoir échappé à l’emprise de Cthulhu, le retrouve bientôt dans les chapitres suivants : « L’appel de Cthulhu », « La Cité sans nom  », et « Le Cauchemar d’Innsmouth ». Plus loin, « Dagon  », « L’Étranger », « Par-delà le mur de sommeil » et « Le Cycle du rêve » auront droit chacun à un chapitre, plus brefs que ceux consacrés à Cthulhu, mais tout aussi denses et aussi convaincants. Une ultime partie consacrée aux autres nouvelles viendra terminer cet ouvrage qui s’avère monumental à plus d’un titre.

« Lovecraft fait partie de ces artistes qui ont influencé l’imaginaire et la fiction sous toutes ses facettes, pas uniquement dans le métal, pas uniquement dans la musique, mais dans tous les domaines. » (Slo, multi-instrumentiste et membre fondateur de Smohalla)

Monumental, parce que Sébastien Baert traque les influences et références lovecraftiennes non seulement dans les noms de groupes (par exemple une dizaine se nomment « Azathoth », le guitariste et compositeur de Morbid Angel se nomme Azagtoth, terme évocateur retrouvé sous forme d’Azag-Thoth dans une version du Nécronomicon, d’autres groupes se sont baptisés « Beyond the wall of sleep », d’autres encore ont choisi des noms de lieux, comme « R’lyeh » ou « Dylath-Leen »), mais aussi dans les titres des morceaux, dans les paroles, dans les influences avouées ou revendiquées dans les entretiens. Monumental, parce que s’il est question de formations mondialement connues comme Iron Maiden, Black Sabbath ou Metallica, ce sont des dizaines et des dizaines de groupes de tous horizons (japonais, malaisiens, brésiliens, scandinaves, hongrois, polonais, australiens, syriens et bien d’autres), de tous styles (hard-rock, doom, heavy, black/death, funeral-doom, thrash/death, black-metal, black symphonique épique, black atmosphérique, et autres variantes) et surtout de toutes renommées, des plus célèbres et aux plus longues carrières jusqu’aux plus obscurs et aux plus éphémères, qui sont ici examinés de près par l’auteur. Et passionnant, parce que Sébastien Baert ne se borne pas à dresser un tableau ou un état des lieux dépourvu d’âme : il s’intéresse en effet de très près à la « filiation » lovecraftienne à travers les nombreux extraits d’entretiens avec les artistes, qui se révèlent particulièrement informatifs non seulement sur les voies par lesquelles ils ont découvert l’auteur et ses textes (souvent par leurs lectures dès l’adolescence, à travers des films, comme le « Reanimator  » de Brian Yuzna, par l’intermédiaire d’autres musiciens, par les jeux dérivés des univers lovecraftiens, ou même, pour le leader de Kindred Idol, par une fameuse phrase lue sur une tombe de l’illustration de l’album « Live after death » d’Iron Maiden : “That is not dead which can eternal lie, yet with strange eons even death may die”), mais aussi par la manière dont ils ont été happés par la puissance d’évocation de Lovecraft, par les liens avec leurs compositions qui leur sont apparus évidents, et par la source d’inspiration qu’elle a pu représenter. Une multiplicité d’approches et de lectures différentes, une vaste gamme de fascinations qui sont loin d’être superposables et témoignent de la richesse et de l’étendue de l’œuvre lovecraftienne.

« Nous avons eu l’occasion de donner une conférence à l’école d’art de Providence. Cet établissement se trouvait dans une ancienne entreprise de pompes funèbres, et la réunion se tenait dans le funérarium où le corps de H.P. Lovecraft avait été exposé. Et on avait posé notre merdier à l’endroit même où s’était trouvé son cercueil ! » (Dave Brockie, chanteur du groupe Gwar)

Étonnante et immense descendance musicale de Lovecraft, qui, rappelle Sébastien Baert, n’écrivit jamais que deux récits consacrés à la musique, « La Quête d’Iranon » et « La Musique d’Erich Zann ». Descendance évidente, pourtant, pour bien des musiciens, comme l’explique Karl Sanders, du groupe Nile : “Quand on lit Lovecraft, on a l’impression que les scènes racontées et les termes employés sont en parfaite harmonie avec le death-metal. Le death a sa propre mythologie, désormais. Elle est en grande partie de nature lovecraftienne”. On s’en convaincra en lisant ce bel ouvrage, et l’on reconnaîtra que, chez les métalleux par ailleurs souvent amateurs d’ésotérisme, d’occultisme, de magie sumérienne, les univers lovecraftiens pourraient bien être le plus fréquent commun dénominateur. Véritable somme et ouvrage de référence nourri par des connaissances encyclopédiques, préfacé par Benjamin Guerry, fondateur de The Great Old Ones, complété par un index des groupes et des artistes, relié, cartonné, avec très belle couverture d’Arnaud Demaegd, agrémenté d’un carnet central d’illustrations couleur (reproductions de pochettes de disques, avec des œuvres notamment d’Ola Larsson, David Demaret, Rob McCarthy), ce « Cthulhu Métal  » est aussi un très beau livre.
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Titre : Cthulhu Métal, l’influence du mythe
Auteur : Sébastien Baert
Couverture : Arnaud Demaegd / Fabrice Borio
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 406
Format (en cm) : 16 x 24,5
Dépôt légal : juin 2019
ISBN : 9791028106324
Prix : 35 €


Hilaire Alrune
21 août 2019


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