Reproduction simple ou double page, planches, « L’hiver en été » est une formidable plongée dans l’univers de l’artiste. La dextérité de quelques crayonnés précédant la reproduction de l’œuvre finale souligne qu’en plus d’être un grand dessinateur Jean-Pierre Gibrat est également un coloriste hors-pair qui travaille, justement depuis « Le Sursis », en couleurs directes.
Illustration inédite - Exposition Galerie Daniel Maghen 2018
Un ouvrage graphiquement d’une grande sensualité dont l’autre atout réside clairement dans le texte qui l’accompagne. En l’occurrence, une interview menée par la journaliste de France Inter Rebecca Manzoni, sur le ton de la discussion entre amis. Ce qu’ils sont de longue date.
Un entretien, que je qualifierais d’intimiste, dans lequel Jean-Pierre Gibrat revient sur ses débuts dans la bande dessinée, quand il mettait en image les scénarii de Jackie Berroyer. Un très bon souvenir. “Nous avions un petit succès d’estime” ... avant de se reprendre... “Disons que nous bénéficions plus d’une petite estime que d’un petit succès” .
Il parle aussi de ses influences en dessin, en littérature, en cinéma ou en musique et de son parcours singulier, des caricatures à la façon des Grandes Gueules et de ses années Pilote.
L’exode, 2015, catalogue Christie’s - Daniel Maghen, 2016
Il évoque également la reconnaissance de son talent pour croquer la gente féminine (cf : La “Parisienne” toujours avec Jackie Berroyer), où du moins ce qui le troublait chez les filles, ce qui l’amènera par l’entremise d’Enki Bilal à bosser quelques temps pour le magazine Elle. Mais cela ne l’éclate pas. Il trouve les textes produits des journalistes de presse affligeants.
Jeanne et Cécile, 2012, catalogue Christie’s - Daniel Maghen, 2014
Mais arrivé à 40 ans, l’accumulation de collaborations décevantes le pousse à se prendre en main. Le tournant de sa carrière. Il décide de faire ce qu’il ressent. D’oublier les règles de cohérence entre le trait et la couleur, de se mettre à la couleur directe et d’écrire ses propres histoires. Des histoires qui lui sont personnelles.
C’est ainsi qu’il situe l’intrigue de « Le sursis » durant l’Occupation, dans la petite bourgade de Cambeyrac, dans l’Aveyron, là où il a passé son enfance. Quant à Cécile, son héroïne, et sa romance avec Julien, il avoue s’être inspiré d’un amour de jeunesse : « J’avais l’occasion de rendre le lecteur amoureux de Cécile. Je ne m’en suis pas privé ».
Illustration inédite - Exposition Galerie Daniel Maghen 2018
La première moitié du XXe siècle le fascine. “C’est une période où il existe une grande amplitude de comportements chez les gens , à l’instar de Jeanne et François, les héros de « Le vol du Corbeau » dont, entre autres, la fuite sur les toits de Paris durant l’Occupation est largement documentée dans « L’hiver en été ».
Le vol du corbeau, tome 1, Editions Dupuis, 2002
S’il reconnaît être un déçu du communisme, il tient à rendre hommage aux personnes, à l’instar de ses parents ou ses grands parents, qui y ont crus et se sont battus pour rendre le monde meilleur. Ce qu’il fait avec avec « Mattéo », la saga de son héros militant qui de 1914 à 1936 traverse la Première Guerre mondiale, la Révolution Russe et la Guerre Civile Espagnole. Série avec laquelle il tend vers l’essentiel : la narration, le sens et la lumière.
Quai de Valmy, 2015, catalogue Christie’s - Daniel Maghen, 2016
Et comme la particularité de Jean-Pierre Gibrat est de partager son temps entre ses séries et les illustrations qu’elles lui inspirent, “L’hiver en été” recèle grands nombres d’affiches et d’illustrations inédites mettant en scène ses femmes, Cécile, Jeanne ou encore Amélie, en tenues chics ou de combattantes, en plein exode, dans le métro ou assises à la terrasse d’un café, qui font encore plus de cet Artbook un ouvrage indispensable.
Le vol du corbeau, tome 1, couverture, Editions Dupuis, 2002
À lire sur la Yozone :
Jean Pierre Gibrat, rétrospective Été comme hiver
Gibrat et ses Belles dans L’Hiver en été..
Gibrat et Ledroit - Portfolio chez Maghen
Le Sursis
Jeanne sur les toits de Paris
Illustrations © Jean-Pierre Gibrat et Éditions Daniel Maghen