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Zombie Ball
Paolo Bacigalupi
Au diable Vauvert, roman, traduit de l’américain (USA), zombies, juin 2014, 313 pages, 15€

Dans sa petite ville de l’Iowa, Rabi n’a pas la cote auprès de son coach de baseball. Parce qu’il est un très mauvais batteur, parce qu’il est à moitié Indien (donc à moitié étranger), et parce qu’il est bien meilleur stratège que M. Cocoran ne le sera jamais. Bref, parfait bouc émissaire en cas de défaite, c’est-à-dire à chaque match, et Sammy, la grande brute de l’équipe, se charge de lui rappeler ses faiblesses. Heureusement que ses potes Miguel et Joe prenne sa défense.
Partis s’entrainer - il faut bien - près des gigantesques abattoirs Milrow, usine à viande qui fournit plusieurs états, les trois ados sont témoins d’une scène de panique des employés. Le père de Miguel avait signalé des incidents dans l’usine, et cela lui a valu le renvoi - de son job et même jusqu’au Mexique. Quand Miguel réalise que l’Immigration est aussi venu rendre visite à son oncle et sa tante - à l’initiative sans doute du père de Sammy, le patron de Milrow - l’ado s’effondre, et Rabi propose à son ami de se cacher chez lui.
C’est en déménageant ses affaires qu’ils tombent sur M. Cocoran... contremaître chez Milrow, il a désormais très envie de leur bouffer le cerveau !
Que s’est-il donc passé à l’usine ? Pourquoi personne ne s’inquiète ? N’y a-t-il que 3 ados pour sauver l’Amérique d’une apocalypse zombie ?



Paolo Bacigalupi (et ses 5 prix majeurs pour son premier roman « La fille automate » - même éditeur, même traductrice) signe là un violent portrait de l’Amérique profonde, bouseuse, raciste, carnivore.
Si l’entame peut sembler un peu nébuleuse à nous autres Français, peu au fait des règles et subtilités du baseball (je conseille de visionner « Le Stratège » avec Brad Pitt et Seth Rogen), la narration du point de vue de Rabi nous plonge immédiatement dans le bain : on est dans le camp des opprimés, des faibles, des tais-toi et baisse la tête si tu veux pas prendre des coups. En face, des brutes, des imbéciles, ados ou adultes, des gens imbus d’eux-même, individualistes. Au contraire, Rabi peut compter sur ses amis. Ok, Joe est à moitié fou, biberonné aux comics et fort débrouillard pour faire n’importe quoi, et Miguel craint de voir ce qui lui reste de famille expulser vers le Mexique. Il en a marre de courber l’échine, mais il remâche sa rage et baisse la tête.

Nous, lecteurs, savons ou au moins devinons à quoi nous en tenir lorsque survient l’incident, mais pour les garçons, c’est au pire un scandale sanitaire, comme prédit par le père de Miguel, L214 local. Paolo Bacigalupi, avant même de parler de zombie, dénonce violemment l’élevage intensif, les animaux boostés aux hormones et aux vaccins, ces usines monstrueuses qui servent à alimenter le pays en steaks si symbolique de l’Amérique. Rabi, en demi-Indien, ne mange pas de boeuf, mais comprend très vite le risque d’une pandémie.
Alerter la police ne les mène à rien, juste à attirer l’attention sur eux, ce qui ne fait pas la joie de Miguel. Mal armés mais déterminés, ils vont espionner chez Milrow, voir ce que font ces gens qui prétendent que tout va bien. Ce qui, bien sur, n’est pas vrai. Les garçons imaginent donc un plan pour faire éclater le scandale à la face obèse de l’Amérique, mais le timing joue contre eux.
Tout se jouera à l’issue d’un match de baseball, forcément perdu, où les valeurs de solidarité et d’union l’emporteront face à la horde, et lors d’une concertation juridique qui fera aussi froid dans le dos.

Si on retrouve le côté jouissif d’un bon massacre de zombies à coups de batte de baseball, et des trucs complètement fous (souvent l’oeuvre de Joe), l’auteur emploie à bon escient tous les ingrédients du genre, mettant ses jeunes héros face aux nombreux cas de conscience d’une telle histoire. Il est très agréable de les voir réagir logiquement, intelligemmment tandis que la situation dérape de plus en plus, prendre leurs responsabilités lorsque les adultes (police, officiels) font défaut. Et avoir peur. Ne pas sous-estimer le danger.

Avant même l’apparition du premier zombie, la tension est extrême avec la peur de Miguel de se faire expulser ou placer en foyer. Si Rabi est un personnage qui prend lentement confiance en lui au fil du roman, loin des adultes qui l’infantilisent ou le rabrouent, Miguel est fascinant : dépouillé des siens, il atteint un point de rupture, et toute sa rage accumulée, ses humiliations encaissées le métamorphosent. Refusant de plier l’échine, n’ayant plus rien à perdre, il n’a plus de limite, plus peur de rien. Il faudra ses amis pour le ramener à la raison et un peu de tempérance. Joe, enfin, est fou. Fidèle, loyal, mais bien barré, les deux extrêmes de l’Amérique blanche.

On n’attendra rien des adultes. Entre la police, complètement dépassée, et l’avocat, véritable requin sous son allure de justicier, là encore Paolo Bacigalupi brosse une vision crue des USA, avec la toute-puissance des grands groupes économiques et de leurs hommes qui tordent les lois à leur convenance, quand ce ne sont pas eux qui les dictent comme cela les arrange. La pirouette finale est une lueur d’espoir comme seuls des ados peuvent encore en allumer.

Des ados timides et délaissés qui se révèlent dans cette crise, un portrait au vitriol mais tellement vrai de l’Amérique, un rythme soutenu : on dévore les 300 pages de « Zombie Ball » d’une traite, avec la sensation de lire un très bon roman, et pas une énième histoire de zombie.


Titre : Zombie Ball (Zombie Baseball Beatdown, 2013)
Auteur : Paolo Bacigalupi
Traduction de l’américain (USA) : Sara Doke
Couverture : NC
Éditeur : Au diable Vauvert
Collection : Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 313
Format (en cm) : 20 x 13 x 2
Dépôt légal : juin 2014
ISBN : 9782846268059
Prix : 15 €



Nicolas Soffray
14 mai 2019


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