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Faim et la soif (La)
Mickaël Koudero
Hugo et Cie, Hugo Thrillers, thriller, pages, février 2019, 19,95€

Mickaël Koudero n’est pas un inconnu puisqu’il a déjà publié deux romans, « Les Enfants d’Erostrate » et « Des visages et des morts ». Nous avions lu Mickaël Koudero dans l’anthologie « Phobia », publiée par les éditions J’ai Lu : une nouvelle intitulée « La Mort, tout le temps », visions cauchemardesques d’un futur faisant écho aux grands massacres de l’histoire, un récit soigné et prenant qui nous a donné l’envie d’en lire un peu plus.



« Cette gamine s’était tailladé les veines à l’aide d’un crucifix. Petit bonus : avant de commettre l’irréparable, elle avait cherché à s’arracher les yeux. »

Il se nomme Raphaël Bertignac, la petite cinquantaine, ex-journaliste d’investigation qui a tout réussi avant de sombrer, et se trouve à présent réduit au pire. « Clean-up. Morts naturelles, accidentelles ou homicides. Société de nettoyage après décès. Notre devise : rapidité, souplesse et discrétion » : voilà ce qu’affiche sa camionnette. Il y a plus prestigieux, sans compter que son patron n’est pas un modèle d’empathie. Mais voilà : la dernière scène de crime qu’il est chargé de rendre de nouveau habitable l’intrigue. Il y a dans le suicide de cette jeune fille et dans son environnement quelque chose qui ne lui semble pas tout à fait clair. Le démon de l’investigation le reprend. Il n’a pas les moyens de se livrer à une enquête. Qu’importe : Valérie Auteuil, une de ses anciennes employées du temps où il avait fondé un journal, lui renvoie l’ascenseur et lui permet de rester sur le coup.

« On l’a retrouvé pendu par les pieds dans le sous-sol d’un parking. Vidé de son sang. Imagine une veste accrochée à son porte-manteau. »

Un suicide, puis un crime. Qu’il devine liés. Un mystérieux trafic d’organes – la jeune fille avait bénéficié d’une greffe de cornée – qui pourrait trouver sa source à Bucarest ; une bande de rockers musiciens style « Vampyres-Dents longues » underground ; un mystérieux et dangereux ex-membre de la Securitate, la police politique du défunt président Ceausescu : tout cela forme une trame, dessine un schéma qu’il essaie de préciser. Le commandant Toussaint, en charge de l’investigation au sujet du jeune Roumain retrouvé vampirisé dans un parking souterrain, ne croit pas à ses intuitions. Raphaël Bertignac, chien fou, s’obstine. Manque d’y laisser sa peau mais trouve une pile de cadavres dont il ne parle à personne, désireux de garder à tout prix l’exclusivité. S’envole pour la Roumanie, où il va pousser ses investigations aussi loin que possible.

« Son esprit qui fusait à cent à l’heure visualisait une ligne sombre et cynique, tracée par l’effroi. La suivre, c’était saisir l’innommable. »

Un soupçon de scientifique fantastique avec la théorie de la mémoire cellulaire, des trafics en tous genres, les pans les plus sombres de l’histoire roumaine – notamment les abominations du régime de Ceausescu (orphelinats, conditionnement, torture, assassinats, délations, surveillance, rééducation forcée) – mais aussi sa vraie-fausse révolution et ses lendemains qui déchantent, les vampyres underground et l’authentique affaire Susan Walsh : tout comme il ancrait le passé de son personnage dans les grandes crises des décennies précédentes, Mickaël Koudero rend son investigation réaliste en l’ancrant à la fois dans l’histoire complexe et controversée d’un pays et dans des affaires plus récentes.

Des formules pas toujours heureuses (“Le journaliste visualisa un monstre immense se détacher du fond de la nuit , les yeux exorbités, la gueule grande ouverte, quadrillée de névroses.” ), parfois un lexique vieilli hors contexte (“Deux râlements suffirent pour écarter les nuages.” ), certains passages qui semblent écrits un peu à la hâte, un point propice à casser la suspension d’incrédulité (cette histoire de marché souterrain de tous les crimes et de tous les vices n’apparaît pas tout à fait vraisemblable ; Maxime Chattam, dans « In Tenebris », n’avait lui non plus pas réussi à convaincre avec une telle Cour des Miracles) ne suffisent pas à casser le récit : Mickaël Koudero a suffisamment de métier pour entraîner le lecteur à la suite d’un Raphaël Bertignac qui, sans laisser de temps mort à quiconque, s’acharne et en quelques jours à peine finit par convaincre non seulement le commandant Toussaint mais aussi son homologue roumain. Toujours avec une foulée d’avance, en compagnie d’un historien traqueur de criminels politiques affiliés à Ceausescu, il ira bien au-delà d’une inquiétante boîte de nuit démoniaque, bien au-delà des dangers de la capitale pour poursuivre sa traque jusque dans les profondeurs de la forêt roumaine.

Des personnages denses et crédibles, des dialogues qui sonnent juste, un récit profondément ancré dans le réel : si « La Faim et la soif  » fonctionne, c’est parce que Mickaël Koudero n’oublie jamais la part d’humanité des uns et des autres. Jamais manichéen, il cherche à comprendre non seulement les motifs des assassins, mais aussi la genèse de leurs comportements dans la situation politique complexe, cauchemaresque, qu’a été celle de la Roumanie sous la dictature de Ceausescu. Racines collectives et individuelles du mal, traduction dans le présent des convulsions de l’Histoire : un polar/thriller qui ne se contente pas de reprendre des ingrédients qui marchent mais sait aussi, sans se limiter à leurs aspects sensationnalistes, utiliser des évènements historiques des décennies passés pour bâtir un récit qui qui, s’il ne laisse pas trop le temps de souffler, donne néanmoins à réfléchir.


Titre : La faim et la soif
Auteur : Mickaël Koudero
Couverture : Narir Azhari Bin Mohd Anis / Eye Em / Getty Images / Alexander Spartari
Éditeur : [Hugo et Cie>http://www.hugoetcie.fr/]
Collection : Hugo Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 525
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : février 2019
ISBN : 9782755640663
Prix : 19,95 €

Les thrillers Hugo et Cie sur la Yozone :

- « Hunter » de Roy Braverman
- « Vérité » de Hervé Gagnon
- « Âmes soeurs » de John Marrs
- « Le Tricycle rouge » de Vincent Hauuy


Hilaire Alrune
27 février 2019


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