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Talon rouge - Barbey d’Aurevilly, le dandy absolu
Arnould de Liedekerke
La Table Ronde, collection La Petite vermillon, n°19, essai, 349 pages, février 2019, 8,90€

Qui n’a lu ou relu Barbey d’Aurevilly ? Les fulgurances du style, la férocité, le non-conformisme, les excentricités ont fait de lui un personnage plus grand que nature. Polémiste, journaliste, romancier, novelliste, il aborda symbolisme, et romantisme, voire naturalisme ; et l’on n’oubliera pas que nombre de ses œuvres, teintées de surnaturel et de fantastique, sont emplies d’une profonde diablerie.



Scindé en sept parties, « La volupté dans la déraison », « Paris dandy », « Le bonheur dans le masque », « Sardanapale d’Aurevilly », « L’Évangile selon Brummell », « Talon rouge », « Lord Anxious ou l’adieu aux larmes », cet essai pourrait être considéré comme structuré en sous chapitres consacrés au goût excessif du luxe et de l’apparence, aux goûts parisiens du dandysme, à la constitution méthodique d’une attitude, aux dérives de Barbey dans la vie dissolue, au modèle Beau-Brummellien, aux toilettes insensées, et enfin aux dernières années. Cela ne serait pas faux, mais cela serait négliger les trames entrecroisées de l’ouvrage, les fils conducteurs qui d’un chapitre à l’autre sont les mêmes : l’excentricité, la classe, le panache, l’intelligence, la folie, la littérature.

De même que Barbey d’Aurevilly échappe à toute classification, de même que son existence est trop riche pour pouvoir être résumée, « Talon rouge » ne peut être réduit à une succession de dates ou de définitions, à un inventaire des dandysmes, à une poignée de figures. S’il est, d’une certaine manière, l’histoire de Barbey mêlée à celle des dandysmes, il se lit plus comme un récit que comme un essai, comme un voyage, une plongée dans une époque que l’auteur, avec ici une répartie, là une situation, plus loin un nouveau personnage, récrée avec un bel équilibre. Il est vrai qu’avec un Barbey d’Aurevilly qui eut comme modèle Byron, Brummell, et Baudelaire et qui écrivit lui-même un essai sur le sujet – « Du dandysme et de George Brummell  », il y a matière à trouver partout des singularités mémorables.

Une époque, une histoire : car le dandysme et ses avatars ne sont pas limités à sa figure la plus éminente, George Bryan « Beau » Brummell (1778-1840) et à son influence considérable. Il y eut, nous apprend Arnould de Liedekerke, les « prolégomènes au dandysme », les variants, les succédanés, les dissidents, les impurs, les avatars teintés de politique, de délinquance, de dépravation. Gants-jaunes, fashionables, dandys, anglophiles, muscadins, ruffians, fops, exquisites, lions, maccaronies, bucks, beaux : en variété, en personnalité, bien autre chose que nos très insipides « bourgeois bohêmes ».

Des poseurs ? Pas seulement. Des amateurs de cravates, de jabots, de rochets, des chasubles, d’orfrois et de passementeries diverses, outrancières, vert saule, bleu zéphyr, violet d’évêque, pourpre épiscopale, des pantalons mille joncs ou cuisse-de-nymphe, de fracs couleur bronze ou de culottes sablées d’or ? Des gandins capables de passer plusieurs heures à froncer leurs vêtements à plis ou à nouer une cravate ? Oui, mais pas seulement : des artistes de la répartie, des virtuoses des bons mots, des audacieux, des rebelles n’hésitant pas à croiser le fer avec les politiques en des époques où rôde encore l’ombre de la guillotine, ni à défier les bonnes mœurs alors qu’on peut le payer très cher. Des duellistes qui n’ont pas peur de laver les affronts au pistolet et à l’arme blanche devant témoins. Des fous de la vitesse qui vont jusqu’à se tuer à cheval ou, gantés de blanc, prendre mille risques à bord de véhicules à deux roues, menées à train d’enfer, et baptisées du nom très évocateur de « Trompe-la-mort ».

Dandys, oui, perpétuellement endimanchés, accompagnés de créatures torrides, se déplaçant dans des calèches délirantes, pratiquant la bombance gargantuesque, noctambules acharnés surenchérissant dans l’excentricité gratuite, comme ce Saint-Criq se faisant servir des saladiers de betterave et de mâche qu’il poudrait avec sa tabatière et arrosait de château-larose, rejouait les batailles de Waterloo avec des rognons crus ou promenait son cheval en le tenant en laisse à travers la fenêtre d’un fiacre. Dandys, oui, sulfureux, réfractaires, suicidaires, provocateurs, équilibristes du déséquilibre, virtuoses de la déraison, mais pas seulement : parmi eux, Barbey n’est pas le seul à avoir mêlé la fantaisie délirante à la classe véritable, ni à avoir laissé dans les lettres des traces que le temps aura bien du mal à effacer.

Sarabande d’anecdotes, de scènes colorées, de pittoresque, de bons mots, de férocités, de destins, « Talon rouge » promène Barbey, alias Maximilienne de Syrène, mais aussi, pour ses détracteurs, et après sa conversion spectaculaire, excessive, Barbemada de Torquevilly, à travers les bouffonneries et les fulgurances des lettrés de l’époque. On se laisse entraîner dans cette sarabande de personnages hauts en couleurs et joliment croqués, à travers les mille et un salons littéraires, les mille et un cafés et restaurants qui ont marqué la vie intellectuelle de ces décennies. À ce propos, on fera un seul reproche à l’ouvrage : s’il est accompagné d’une abondante bibliographie, on regrette qu’il ne soit pas agrémenté d’un index des noms propres et des noms de lieux.

Ni biographie raisonnée ni déroulé strictement chronologique, ce « Talon rouge » correspond donc pleinement à son sous-titre, « le dandy absolu ». On n’en saura pas tant que ça sur Barbey – l’ouvrage échappe aux pesanteurs des « vies » voulant méthodiquement recenser mille détails qui n’intéressent personne – mais on en apprendra beaucoup sur le dandysme de Barbey et de son époque. Tout comme, dans la même collection, les ouvrages de Jean-Paul Caracalla et de Michel Bulteau, le sujet est surtout prétexte : l’érudition de l’auteur lui permet de ne pas avoir à se plier au cahier de charges d’un essai par trop méthodique et de ne pas se limiter à un pensum universitaire. « Talon rouge », au final, est une valse en costume à travers une époque, la traversée d’un immense salon littéraire peuplé d’excentriques, illuminé par un Barbey d’Aurevilly dont les fulgurances ne sont pas près de s’éteindre.


Titre : Talon rouge – Barbey d’Aurevilly, le dandy absolu
Auteur : Arnould de Liedekerke
Couverture : Benoît Préteseille
Éditeur : La Table Ronde (édition originale : [Olivier Orban], 1986)
Collection : La Petite Vermillon
Site Internet : page roman
Numéro : 19
Pages : 349
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : février 2019
ISBN : 9782710386964
Prix : 8,90 €


La Petite Vermillon sur la Yozone :

- « Cent courts chefs-d’œuvre » de Napias et Montal
- « César Capéran » de Louis Codet
- « Le Club des longues moustaches » de Michel Bulteau
- « En remontant le boulevard » de Jean-Paul Caracalla
- « Vagabondages littéraires dans Paris » de Jean-Paul Caracalla
- « Je connais des îles lointaines » de Louis Brauquier
- « Quinzinzinzili » de Régis Messac
- « Un peu tard pour la saison » de Jérôme Leroy
- « La Nuit des chats bottés » de Frédéric Fajardie
- « Journal de Gand aux Aléoutiennes » de Jean Rolin


Hilaire Alrune
19 février 2019


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