S’il y a bien un auteur français aussi discret qu’incontournable, c’est bien Michel Pagel. A quelque genre qu’il touche, il fait merveille, de la fantasy historique (« Les Flammes de la nuit »), au fantastique moderne (sa « Comédie inhumaine » en 8 tomes) à la limite du steampunk « (L’équilibre des paradoxes », prix Rosny-Aîné) ou au thriller réinterprétant les héros de notre enfance « (Le Club »).
« Orages en terre de France » le voit se pencher sur la SF dystopique. La France est le royaume de Dieu, et la perfide Albion toujours notre ennemie. Mais ce n’est pas aussi simple que cela, et au travers de ses personnages comme Paul, il nous fait vivre cette dualité d’appartenance, comme ont pu en vivre les Alsaciens (dans notre ligne temporelle).
Si “Ader” semble traiter de l’impossible réconciliation entre croyance et science, les choses vont plus loin. Jehan, fervent croyant mais authentique scientifique, est mis devant l’évidence des failles de l’Église, et soumis à la tentation, entre la carotte et le bâton. On s’immerge doucement dans l’univers uchronique de l’auteur, sa plume peut paraître d’une grande simplicité, sans effet de style. La chute de cette belle histoire dramatique n’en est que plus amère.
Avec “Bonsoir, Maman”, on passe dans l’autre camp. Le texte est très bref, et dans les quelques pages de cette veillée qui ne dit pas son nom, on prend de plein fouet l’aigreur d’un père pour la « trahison » de son fils, obligé de servir sous les couleurs de l’Occupant. Le rejet de cette invasion, de l’anglicisation des toponymes (Olon Sands...). Michel Pagel y brosse un tel tableau de la colonisation et de ses conséquences sur les gens ordinaires, qu’on en oublierait presque le sujet de la nouvelle, qui affleure : c’est une histoire de zombie. Mais traitée aux antipodes des poncifs du genre, en prenant le point de vue des vivants, en nous plongeant dans un deuil annoncé et refusé. A la fois terrifiant et merveilleux.
“Le Templier” est plus politique. Déterminée à faire tomber un télé-évangéliste de son podium, l’Eglise missionne une professionnelle pour le soumettre à la tentation. Mais l’homme est un vrai croisé, aussi le piège sera-t-il plus subtil qu’il y paraît... Dénonciation supplémentaire des arrangements de l’ordre séculier avec la foi, cette nouvelle met en lumière un vrai croyant, qui sera victime, à double titre, de son intransigeance.
Enfin, “L’inondation” nous plonge au cœur du conflit. Avec la fuite d’un soldat, accompagné d’une résistante « ranimée », on voit toute l’horreur de la guerre au plus près : les vies dévastées, les campagnes abandonnées, le retour de la sauvagerie, de la loi du plus fort. Les personnages deviennent, au fil des pages et de leurs refus de s’abaisser à abuser des femmes et des faibles, des halos de lumière dans un décor crépusculaire. Cru, poignant, réaliste, loin de tout héroïsme autre qu’ordinaire, sur des terres boueuses d’un déluge qui n’a pas nettoyé le monde de ses erreurs.
Si Michel Pagel est capable d’un grand’oeuvre en 8 tomes, il fait merveille, encore une fois, sur de la forme courte, signant une uchronie atypique où rayonne l’humain, dans toute sa complexité et ses paradoxes.
Titre : Orages en terre de France
Auteur : Michel Pagel
Couverture : Timothée Rey
Éditeur : Les moutons électriques
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : (env. 120)
Format : epub, 210ko
Dépôt légal : septembre 2014
ISBN : 9782361831554
Prix : 6,99 €