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Mollusque
Cécilia Castelli
Le Serpent à plumes, roman, 150 pages, septembre 2019, 17€


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« L’ultime plaisir arrive alors. Tu ouvres la carte, tu la connais par cœur, mais à chaque fois tu as l’impression de tenir la Bible. En lisant l’intitulé des plateaux, tu attends la révélation. »

Gérard et Patrice sont deux amis de toujours. Gourmands tout autant que gourmets. Un jour, Patrice révèle à son ami l’existence d’un restaurant de fruits de mers, le Rhino, pas vraiment caché mais presque secret, dans une crique éloignée des plages trop fréquentées. Qui plus est, Patrice dispose d’un « mot de passe » secret, incessible, qui leur permettra de multiplier au Rhino les dégustations à volonté – langoustines grillées à la crème, tourteau acidulé au Yuzu, caviar d’aubergine aux huîtres de Marennes, poulpe à la Provençale, homard bleu flambé à la fine champagne, pour ne citer que quelques plats – pour la somme symbolique et dérisoire de quinze euros. De quoi se faire péter la sous-ventrière, comme on disait autrefois, sans jamais grever son budget. Une aubaine pour Gérard, qui plus est l’occasion d’exorciser sa hantise de la mer, suite à un dérisoire traumatisme d’enfance qu’il avait jusqu’alors eu bien du mal à oublier. Une aubaine qui bientôt se transforme en habitude, et presque en besoin.

« Pourtant la métamorphose a eu lieu, sans formule ni baguette magique. Elle a eu lieu sous mes yeux, les siens aussi, sans que l’on ait rien pu faire. (…) On ne se métamorphose pas comme ça dans la vraie vie. Faut avoir rencontré un sorcier vaudou. Avoir fait quelque chose de grave pour mériter la sentence. Genre, avoir énervé Dieu pour qu’il nous envoie de grand démon de la Création. Celui qui te change l’homme en animal. »

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cela dure un moment. Plusieurs années. Mais c’est trop beau pour durer. Gérard a toujours su qu’il y avait anguille sous roche. Que ces dégustations impossibles cachaient quelque chose. Il a même demandé à visiter les cuisines. Il s’est d’ailleurs lié d’amitié avec l’un des employés, qui lui a appris à trucider le homard au couteau. Plus sympa, bien plus sympa que de l’ébouillanter. Trop beau pour durer, donc. Patrice commence à changer : le voilà qui veut redevenir mince, qui fait régime. Impensable. Comme un arrière-goût de trahison, de reniement de ce qu’il a toujours été. Gérard lutte, fait tout pour le ramener dans le droit chemin de la bâfrerie et de l’obésité. Mais impossible de le convaincre de faire machine arrière. Une fois ou deux, Gérard revient seul au Rhino. Mais voilà, sans le mot de passe incessible, le coût de la gastronomie devient astronomique. Il n’aura pas le choix : d’une manière ou d’une autre, il lui faudra faire le deuil des festins communs.

«  Ses dix doigts s’agglutinaient entre eux, un homme monstre des mers, un mollusque presque humain. L’entre-deux était ignoble. Plus tout à fait lui, mais pas encore gastéropode, une créature diabolique. »

Dès lors, tout part en catastrophe. La métamorphose désirée par Patrice dépasse son but. Quelle idée aussi de vouloir changer. Puis d’autres métamorphoses, tout autant épouvantables, touchent d’autres personnes, ses proches, l’amie que Patrice s’est trouvée. L’employé et complice, lui, a disparu. On se met à rechercher le patron. Un virus, un processus abominable, une malédiction ? On sentait venir, subtilement, sourdement amenée par Cécilia Castelli, quelque épouvante lovecraftienne. Ce sera pire encore.

Nous n’en dirons pas trop, ne révélerons pas une réalité à peine dicible. Avec astuce, avec une prose très simple et dépourvue d’affèteries, l’auteur s’en ira pourtant chercher une caution littéraire inattendue, un auteur classique dont la postérité a retenu qu’il se promenait en tenant un homard en laisse. Après avoir longtemps et finement joué sur l’ambigu – car le récit, lui aussi, se métamorphose – Cécilia Castelli terminera en beauté sur une note particulièrement noire. Récit trouble, conte cruel, variation contemporaine, peut-être, de ces « Contes bruns » qu’affectionnaient Philarète Chasles et Charles Rabou, « Mollusque », rapidement dégusté mais, tout comme l’excellent et lui aussi ramassé « Sprats » de Davis Bessis, pas forcément facile à digérer, pourrait bien laisser dans l’esprit du lecteur une empreinte autre que purement gustative. Un lecteur qui, lorsqu’il se retrouvera en terrasse avec une assiette de fruits de mer et quelques convives, pourrait bien, désormais, considérer les uns et les autres avec un œil nouveau.


Titre : Mollusque
Auteur : Cécilia Castelli
Couverture : Rémi Pépin
Éditeur : Le Serpent à plumes
Pages : 150
Format (en cm) : 13 x 18,4
Dépôt légal : janvier 2019
ISBN : 9791035610715
Prix : 17 €


D’autres mollusques sur la Yozone :
- « Sprats » de David Bessis

Le Serpent à plumes sur la Yozone :
- « Les Microbes humains » de Louise Michel
- « La Joie de vivre » de Thomas Bartherote
- « Un moustique dans la ville » d’Erlom Akhvlediani, dans notre sélection Noël


Hilaire Alrune
15 janvier 2019


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