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Quatre-vingt-un frères (Les)
Romain d’Huissier
Gallimard, collection FolioSF, n°609, fantasy, 376 pages, septembre 2018, 8,30€


« À Hong Kong, l’hypermodernité du monde actuel n’a pas détruit les esprits et créatures des anciennes légendes – tout au plus ont-ils été repoussés un peu plus loin dans les ombres. »

Johnny Kwan est un fat si, un exorciste taoïste free-lance travaillant sur contrat dans l’environnement surpeuplé de Hong-Kong. Surpeuplé en êtres de chair et de sang, mais également en fantômes, en diables, en démons et autres créatures surnaturelles. C’est dire que Johnny Kwan ne chôme pas. Qu’il travaille pour des privés, pour la police ou même pour l’une ou l’autre des triades locales, ses missions ne sont pas de tout repos. On le comprend rapidement lors du chapitre introductif, trépidant et visuel façon « Jack Burton dans les griffes du Mandarin » (John Carpenter, 1986), mais il ne faudrait pas croire pour autant que l’action va aller décroissant, bien au contraire. Les fantômes sont omniprésents, tenaces, agressifs – et il semblerait bien que quelques humains en aient également après les fat-si : voilà donc Johnny Kwan en train d’investiguer sur des affaires différentes et obligé de faire face à de multiples périls.

« Aucun fat si ne l’avait jamais rencontré – ou alors sans le savoir – et certains d’entre nous pensaient même qu’il n’existait pas physiquement : Man Tai serait un esprit moderne, une intelligence artificielle mystique, une ligne de code ayant accédé à la conscience – ou peut-être même la véritable divinité dont il avait emprunté le nom, incarnée dans un serveur.  »

Un des qualités essentielles du roman est de parvenir à mêler harmonieusement l’ancien et le moderne. Les fat-si ont un réseau informatique dont – on le comprend à la citation ci-dessus – la nature et la structure pourraient bien dépasser celles du silicium et de la simple architecture binaire. Il en est de même pour une partie au moins de la technologie, le narrateur ayant à l’aide d’un sort transformé un GPS en détecteur de zones chargées en énergie surnaturelle. De même, il utilise comme arme de poing un très banal Glock, une arme que l’on trouve dans bien des polars, mais les projectiles qu’il tire ne sont pas tout à fait conventionnels. Ces quelques exemples témoignent à leur manière de la façon dont, à Hong-Kong, les époques se mêlent ou se superposent en en tout qui n’est pas forcément dépourvu de cohérence.

Difficile de s’ennuyer dans ce roman de trois cents pages mêlant polar, arts martiaux et chasse aux fantômes façon « Ghostbusters  » orientalisants et survoltés (roman suivi de « Vengeance pour le dragon », nouvelle initialement publiée dans l’anthologie « L’Amicale des jeteurs de sort », aux éditions Malpertuis, qui servit de « banc d’essai » pour les aventures de Johnny Kwan), ne s’interdisant pas des incursions vers l’histoire de fantômes classique, poétique et chargée d’émotion ( le très beau chapitre cinq), lorgnant souvent, par ses aspects visuels, vers le film de genre – l’auteur citant d’ailleurs des métrages comme les « Histoires de fantômes chinois », « L’Exorciste chinois », ou « Mr Vampire », et proposant au lecteur, par ses descriptions évocatrices, un beau tour d’horizon du folklore, des différents quartiers et des zones périurbaines de Hong-Kong.

« Nombreux sont les profanes à en savoir un peu sur le côté occulte du monde – témoins d’évènements extraordinaires, érudits ayant percé le voile du mystère à force de recherches ou même simples dévots fidèles aux antiques traditions. »

Malgré ses qualités, le roman est hélas grevé par une série de défauts de construction qui l’empêchent de pleinement convaincre. Si on peut accepter le chapitre d’introduction totalement déconnecté de l’intrigue (une contamination de plus en plus fréquente de la forme romanesque par la narration cinématographique) ou le taximan ami sauvant in extrémis le héros en passant par-là juste au bon moment (le polar n’est hélas pas avare de telles facilités, pourtant évitables), on reprochera à ces « Quatre-vingt-un frères », outre une intrigue purement linéaire, un très évident syndrome narratif à la Jules Verne, à savoir l’interruption répétitive à visée didactique. Certes, le lecteur n’est pas coutumier de l’univers des fat-si et des démons exotiques, mais ce n’est certainement pas en pleine scène de combat – ces scènes qui devraient être bondissantes comme dans le cinéma de genre – qu’il faut se fendre systématiquement d’une notice sur telle ou telle technique martiale ou glisser une fiche sur la taxonomie des démons ou encore sur la cuisine ésotérique de tel ou tel sort. Sans compter cet aspect, lui aussi parfaitement répétitif, de « deus ex machina », la technique magique adaptée à la situation particulière auquel l’auteur pensera comme par miracle lorsqu’il sera en fâcheuse posture, ou l’ingrédient magique qu’il trouvera fort opportunément dans sa besace. Autre défaut, et plus criant encore, ces personnages qui apparaissent dans l’intrigue lorsque celle-ci les requiert, comme s’ils n’avaient aucune existence en dehors d’elle, apparitions métronomiquement et maladroitement suivies de leurs biographies détaillées, le summum étant atteint avec l’entrée en scène– au bout de deux cent cinquante pages !! – de la femme de la vie et amie de toujours du narrateur, jamais mentionnée auparavant, mais très pratique pour panser ses plaies.

On est donc au final assez perplexe sur la construction de ces «  Quatre-vingt-un frères  », qui donne l’impression que Romain d’Huissier – parfaitement à l’aise sur le format du roman court, comme dans « La Rédemption du Phénix » et « Les quatre élixirs du docteur Zhu  » – a du mal à maîtriser sa narration sur un format plus long. Reste, basée sur le modèle des films d’action et de fantômes asiatiques, une aventure intéressante dans un univers original, une sorte de bande dessinée écrite, colorée, trépidante, un roman facile à lire qui a le mérite de sortir des sentiers battus, et le premier tome d’une trilogie comprenant également « La Résurrection du dragon » et « Les Gardiens célestes ».


Titre : Les quatre-vingt-un frères
Série : Les chroniques de l’étrange, tome I
Auteur : Romain d’Huissier
Couverture : Alain Brion
Éditeur : Folio (édition originale : Critic, 2015)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman
Numéro : 609
Pages : 376
Format (en cm) : 11x18
Dépôt légal : septembre 2018
ISBN : 9782072714184
Prix : 8,30€



Hilaire Alrune
7 janvier 2019


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