Dès la fin du premier chapitre, RJ Barker annonce le contre-emploi de ses personnages : non pas tuer, mais empêcher un assassinat. Et son Girton, du haut de ses 14 ans de son pied bot, qui s’est révélé mortel dans la première embuscade, va devoir abandonner tous ses points forts pour jouer un rôle inhabituel. Ce n’est pas sans rappeler le FitzChevalerie de Robin Hobb, mais inversé. Habitué des ombres, il doit désormais se faire passer pour un noble, intégrer le groupe des écuyers, jeunes hommes bien nés aspirant à devenir Cavaliers, l’élite militaire des royaumes. Car c’est dans ce microcosme, gravitant autour de l’héritier, que le coupable pourrait se trouver. Girton, désormais Girton ap Gwinr, y découvre deux clans : les brutes à la botte d’Aydor et les fidèles à Tomas, l’héritier d’une branche cadette.
Les deux jeunes hommes semblent l’antithèse l’un de l’autre, mais Girton découvre que Tomasap Dhyrrin, sous ses dehors plus nobles, est du même bois qu’Aydor : ambitieux et sûr de sa supériorité sur tous les autres. Il fera payer cher à Girton d’avoir pu prétendre le surpasser à l’arc.
Et puis il y a Rufra ap Vthyr, souffre-douleur d’Aydor et ses sbires, plus faibles, moins bien né. Tout à son enquête, Girton négligera l’amitié que le garçon lui propose, avant de se raviser mais l’offre est passée et Rufra blessé de la rebuffade. Girton découvre la volatilité de l’amitié, les forces de l’ego, la violence du rejet. Bref, l’adolescence. Pour compléter le tableau, Drusl, la jeune palefrenière à qui il a confié Xus, la monture de sa maitresse (et prétendument la sienne) ne le laisse pas indifférent. Mais l’amour est un sentiment qui lui est tout aussi nouveau, et les jeux de séduction, leurs codes, totalement inconnus. La pression des autres jeunes hommes n’aide pas à y voir clair.
La magie est très mal vue dans l’univers de RJ Barker. Les mages ont épuisé la terre en puisant leur force dans sa vitalité, laissant des terres mortes, stériles, desséchées. Le seul remède, appliqué par les Gardiens, est d’y verser le sang des mages désormais traqués. La religion n’est pas au mieux : les dieux sont morts, et les plus pieux misent sur leur éventuel retour, permettant au clergé de se maintenir. Le culte se matérialise par la signature du livre du prêtre, listing pour trier les bons des mauvais le jour du retour divin. Heamus, un ancien Gardien, a accueilli Girton au château, mais le jeune assassin découvre qu’il n’a pas rendu tous les outils de son sacerdoce. Et Neander, un prêtre plutôt désinvolte avec son culte, passe pour être le père de Rufra, et passe plus de temps à intriguer qu’à servir son dieu disparu. D’autres conseillers, comme le grand-père de Tomas, sont sur la liste des suspects de Girton et sa maîtresse. En fait, presque tout le monde est suspect.
L’impatience de la reine n’aide pas, et son inquiétude la pousse à une une rigueur bien peu diplomatique avec le Festival, une immense caravane de marchands, forains, bateleurs qui sillonnent le royaume. Indispensables au commerce, la reine menace de cantonner la fête qu’ils apportent sous prétexte de la menace qui pèse sur son fils. La tension politique augmente encore d’un cran.
« L’Âge des assassins » s’avère un très beau roman d’apprentissage. Loin des exploits d’un tueur, Girton doit tout (ré)apprendre, plongé dans un monde qui n’est pas le sien. Un monde plus cruel que le cocon dans lequel il a grandi, avec une maîtresse en mère de substitution. Leurs rapports, de plus en plus tendus à mesure que Girton comprend certaines réalités, n’en sont que plus touchants, tout comme les bribes du passé de l’assassine vieillissante.
Le monde dépeint, entre la cruauté de la traque des porteurs de magie et la complexité des intrigues politiques, est un régal à découvrir, ses facettes révélées petit à petit, sans nous laisser trop longtemps dans le flou.
Et c’est une enquête, avec un détective apprenti, des hypothèses pas forcément exactes, des fausses pistes. Souvent Girton craint d’être démasqué, mais c’est parfois Girton ap Gwinr qui est visé. L’ado joue à un jeu dangereux, sans pouvoir jouer ses meilleures cartes, et doit rester sur la défensive pour parvenir à comprendre ce monde étranger dans lequel il évolue.
Une pépite, donc, à la conclusion tonitruante. Le second volume sort en début d’année 2019, et une fois entamé, il risque de ne pas faire plus long feu que celui-ci. La magie devrait y avoir une place plus importante, et on en frémit d’avance.
Titre : L’âge des assassins
Série : Le royaume blessé, tome 1
Auteur : RJ Barker
Traduction de l’anglais (G-B) : Nenad Savic
Couverture : Benjamin Carré
Éditeur : Bragelonne
Collection : Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 384
Format (en cm) : 23,5 x 15 x 3
Dépôt légal : janvier 2018
ISBN : 9791028111441
Prix : 25 €
Le Royaume Blessé :
L’âge des Assassins
Le Sang des Assassins
Le Roi des Assassins