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César Capéran ou la tradition
Louis Codet
La Table Ronde, collection La Petite vermillon, n° 458, inclassable, 137 pages, octobre 2018, 6,10€

Dans le passionnant « Une forêt cachée » d’Éric Dussert, consacré à cent-cinquante-six écrivains oubliés, « humbles, injustement négligés, vaincus par une postérité désastreuse », on ne trouve pas trace de Louis Codet (1876-1914), ami d’Apollinaire et mort au front comme tant d’autres écrivains. Un Louis Codet oublié parmi les oubliés, perdu parmi une manne considérable d’auteurs qui méritent bien que l’on consacre quelques heures à la redécouverte de leurs œuvres.



Il est bien difficile de parler de « César Capéran où la tradition », court roman ou longue nouvelle d’une bonne soixantaine de pages, sans en révéler la teneur. Pas de péripéties ni de véritables surprises à vrai dire dans ces souvenirs jetés sur le papier par un narrateur oscillant entre indifférence et goguenardise, entre constat froid et ironie larvée, mémoires consacrés à un personnage sans doute à l’origine authentique, le préfacier précisant que Louis Codet n’aurait pas aimé que l’on publie ce texte de son vivant, « de peur que celui qui lui servit de modèle s’en offusque. »

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Ce César Capéran pour lequel le narrateur se prend d’amitié, c’est un Gascon monté à Paris. Monté à Paris pour quelle raison, l’auteur se le demande, et plus il se le demande et moins il le comprend. Un mystère auquel il n’entend goutte, le Gascon ne faisant rien, mais absolument rien. Il vit chichement, dit rendre visite une fois par semaine à une dame de ses amies, une fois par semaine à un personnage qui lui semble important. Mais, surtout, il semble avoir porté l’art de ne rien faire à son plus haut niveau. Et il semble manifestement décidé à continuer de la sorte quoiqu’il arrive. Des projets littéraires, comme tout le monde, mais soigneusement remis à plus tard : « Pas encore ! », dit-il. « J’ai la pensée en fleurs : j’attendrai que le fruit soit mûr. Je n’écrirai rien avant trente ans. »

Un mythomane ? Sans doute, mais persuadé qu’il a un plan. Qui contre toute vraisemblance se réalise : l’important personnage, lui aussi Gascon, à qui il rendait visite, devient ministre et lui trouve un poste au Louvre. Un emploi qui a tout du simulacre – César Capéran pointe, mais il ne reçoit pas d’appointements, il s’est choisi un local sous les combles, où, impavide, il continue à ne rien faire. Et lorsque le ministre n’est plus ministre, il retournera dans sa région natale, emportant Capéran avec lui.

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Un César Capéran qui une fois encore a trouvé un poste d’allure ronflante, et que le narrateur ne manque pas d’aller voir dans son fief : voilà Capéran conservateur de musée, mais un musée où, en tout et pour tout, quatre soupières se battent en duel, et dont une soupente, Capéran essaie d’en convaincre son ami, donne sur une magnifique vue des Pyrénées – en fait, une très lointaine ligne à l’horizon.

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La grande force de « César Capéran ou la tradition », outre sa prose fluide et plaisante, c’est la tonalité respectée par le narrateur, qui jamais ne s’émeut de cette paresse, jamais ne s’agace de cette nonchalance. Là où le « Bartleby » d’Herman Melville questionne, irrite et parfois insupporte, César Capéran baigne dans une normalité apaisante et apaisée, cette « tradition » de ne rien faire, ce sentiment qu’avec un peu de bien tout est dû et qu’il ne suffit qu’à pousser ses pions, à faire ici et là un sacrifice minime, sans jamais se fatiguer, sans jamais produire le moindre effort, sans jamais chercher à rompre la douceur de vivre, pour ce que bien perdure et même s’accroisse. C’est donc en définitive avec un humour assez doux, mais dont la douceur n’est pas sans cacher une certaine férocité, que Louis Codet, à travers cette caricature de ceux qui montent en capitale pour y réussir, moque en réalité ceux qui ne montent en capitale que pour mieux retourner chez eux.

Ce « César Capéran où la tradition » est suivi de plusieurs textes, « Bibelots : La Tasse de Chine et La Figurine de Tanagre », deux vignettes artistiques, du « Tuilier de Finestreet : En Roussillon » et du « Père Léonard », qui toutes deux vantent la douceur de vivre et la tradition, et enfin de « L’Archiduchesse », un conte trouble et poétique à la frontière du fantastique. Agrémenté d’illustrations intérieures de Benoît Preteseille et d’une intéressante préface de Jean-Baptiste Harang, ce mince volume d’à peine plus d’une centaine de pages est à découvrir.


César Capéran
- Auteur : Louis Codet
- Couverture : Benoit Preteseille
- Éditeur : La Table Ronde (édition originale : Gallimard, 1918)
- Collection : La Petite Vermillon
- Numéro : 458
- Pagination : 137 pages N&B
- Format : 10,7 x 17,8 cm
- Dépôt légal : 8 novembre 2018
- Numéro ISBN : 9782710389538
- Prix public : 6,10 €


La Table Ronde sur la Yozone :
« Le Club des longues moustaches » de Michel Bulteau
« Vagabondages littéraires dans Paris » de Jean-Paul Caracalla
« La Joie de vivre » de Thomas Bartherote
« Je connais des îles lointaines » de Louis Brauquier
« Quinzinzinzili » de Régis Messac
« Un peu tard pour la saison » de Jérôme Leroy
« La Nuit des chats bottés » de Frédéric Fajardie
« Journal de Gand aux Aléoutiennes » de Jean Rolin


Illustrations et photographies © Benoît Preteseille et Éditions La Table Ronde


Hilaire Alrune
30 octobre 2018



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