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Club des longues moustaches (Le)
Michel Bulteau
La Table Ronde, La Petite Vermillon, n° 449, essai, mars 2018, 193 pages, 7,30€

Dandys et merveilles : une plongée chez les littérateurs oubliés de la première moitié du vingtième siècle.



« Autour de l’amour, de la mort et du rêve, Edmond Jaloux a écrit des romans à demi féériques où la matière brute du réel est baignée de fantaisie, un peu comme les lointains de Fragonard et de Watteau le sont de buée vermeille ou bleuâtre.  »

Edmond Jaloux, surtout, mais aussi José Marie de Heredia, Léautaud, Mallarmé, Marcel Proust, Emile Henriot, le Comte de Comminges (qui publia sous le pseudonyme de Ginko et Biloba), Rémy de Gourmont, Paul Bourget, Pierre Loti, Elémir Bourges, André Gide, Maurice Barrès, Jean Lorrain, René Boylesve, Jean-Marc Bernard, Paul Morand, Gabriele d’Annunzio, Claude Farrère, Stendhal. Des vivants, des un peu morts, des vraiment morts, que l’on croise qui avec son monocle, qui avec sa canne, qui avec ses pipes à opium, qui avec sa robe de chambre brodée de soieries. Du beau monde, à la fois au sens salonnier et littéraire du terme, et Paris, et Marseille, et la Provence, et – surtout – Venise. On flâne, on s’amourache, on goûte bâtisses et paysages, on collectionne les bibelots, les tableaux, les conquêtes. On écrit, beaucoup, sur tout, des textes à présent oubliés, des textes qu’il faut maintenant relire. On arpente, on visite, on vit en esthète, parfois avec un léger parfum de décadentisme morbide, comme lorsqu’on va voir Marcel Proust sur son lit de mort, ou jeter des livres dans le cercueil de Marie Bashkirtseff.

« C’est très élégant de publier sur des papiers rares et colorés, à des tirages restreints, des histoires d’elfes, de mystiques chauffant leurs os au soleil, et d’aristocrates excentriques.  »

« Le Club des longues moustaches », ce sont des gens qui ont publié surtout entre 1900 et 1950, mais qui ont connu, croisé ou révéré leurs aînés – les décennies précédentes sont donc elles aussi abondamment présentes. C’est dire que l’on a de belles plumes, que l’on se fend de textes rares, parfois précieux, que l’on écrit comme on se montre, en aristocrate, en dandy, en amateur d’art, que l’on ne rechigne pas à épater la galerie, que l’on a le sens de la formule. On arpente le monde, on goûte des crépuscules ineffables et des teintes suaves, et à l’occasion on se bat en duel. «  Le Club des longues moustaches », c’est un kaléidoscope de biographies entrecroisées, de faits saillants, d’actions et de contemplations, d’accélérations et de lenteurs. Un florilège, une collection d’existences par essence estimables, parce que la littérature n’est jamais très loin.

«  Le poète Maxime Alexandre, entrant dans la chambre de Jaloux à Lutry, avait été étonné par un couteau de chasse dans sa gaine pendu à côté du lit. Jaloux lui expliqua que ce couteau était là pour le défendre des cauchemars, pour couper la gorge aux ombres, et qu’il n’avait trouvé que ce moyen efficace de se protéger contre une série de rêves terrifiants. »

Moustaches”, “Adoration perpétuelle”, “Signe particulier : porte monocle”, “Les trois rois”, “Pas forcément cosmopolites”, “Passantes et compagnie”, “Ombres et rencontres”, “Les Asiatiques du Florian”, “Arrigo Beyle Milanese”, “La Provence”, “Cigares, dancings et casinos”, “Abécédaire à moustaches” : si les titres de chapitres rendent assez bien compte de l’éclectisme des sujets abordés, ils peuvent également donner une impression d’ordonnancement qui ne saurait être que fallacieuse. Comment ranger, classer, catégoriser anecdotes, citations, bons mots, singularités, excentricités, lieux de rencontres, de villégiature, de ravissements esthétiques et mille et un autres éléments ? « Le Club des longues moustaches » n’est ni un essai ni un traité, plutôt un vagabondage décousu à travers des auteurs et des décennies oubliées. Et c’est cet aspect décousu qui donne tout son charme à l’ouvrage, qui s’accorde à merveille avec ces proses surannées, ces étoffes éteintes, ces styles passés, ces dandysmes qui peu à peu s’effacent des mémoires, sombrent dans les profondeurs des lettres oubliées. Michel Bulteau plonge dans de vieilles malles littéraires emplies de merveilles, de mystères, note ici un bon mot, là une expression élégante, plus loin une rencontre entre auteurs, plus loin encore une excentricité notable, et nous restitue, non sans jubilation, ce qu’il a pu glaner au cours de ces étranges voyages. Bien difficile pour le lecteur qui s’amuse, s’ébahit et s’émerveille à son tour, de ne pas prendre lui-même des notes à chaque page. « Le Club des longues moustaches », tout comme la très riche « Forêt cachée » d’Éric Dussert, lui aussi publié à La Table Ronde, fait partie de ces ouvrages qui enchantent et donnent envie de redécouvrir des auteurs disparus, de se lancer à son tour dans des explorations littéraires atypiques – des maraudes et des vagabondages dont on sait que l’on reviendra les mains emplies de trésors.


Titre : Le Club des longues moustaches
Auteur : Michel Bulteau
Couverture : Benoît Preteseille
Éditeur : La Table Ronde
Collection : La Petite Vermillon
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 449
Pages : 193
Format (en cm) : 10,7 x 17,8
Dépôt légal : mars 2018
ISBN : 9782710387169
Prix : 7,30 €


La Table Ronde sur la Yozone :
- « Quinzinzinzili » de Régis Messac
- « Un peu tard pour la saison » de Jérôme Leroy
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- « Journal de Gand aux Aléoutiennes » de Jean Rolin


Hilaire Alrune
1er avril 2018


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