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Bifrost n°89
Rédacteur en Chef : Olivier Girard
Revue, n°89, nouvelles - articles - entretiens - critiques, janvier 2018, 192 pages, 11€

Après le fort recommandable recueil « Danses aériennes », Le Bélial’ met à nouveau Nancy Kress en avant en lui consacrant un dossier dans le présent « Bifrost ». Une nouvelle, deux entretiens, des chroniques de ses livres disponibles en français, plus de quelques uns en vo, et la reprise de la bibliographie du recueil permettent de mieux la cerner et de donner encore plus envie de la lire.



Deux entretiens, voilà qui n’est pas ordinaire, mais n’est pas dépourvu de sens ici. Le premier est celui de Nancy Kress répondant aux questions d’Ellen Herzfeld et Dominique Martel, à savoir l’équipe de « Quarante-Deux » qui a concocté le sommaire de « Danses aériennes ». Ces derniers sont à leur tout interviewés par la revue sur leurs rapports avec l’écrivaine, leur manière de procéder, ce qui les motive... Bien sûr, les propos dérivent souvent vers les autres titres de la collection dédiée. Ils abattent une somme de travail considérable, lisant tout pour faire leur choix. C’est aussi instructif qu’impressionnant.
Quant à Nancy Kress, il s’agit vraiment d’une grande dame, aussi bien humainement que littérairement. Parfois, la personnalité se cachant derrière une œuvre peut se révéler déplaisante, donner une image négative qui peut laisser des traces dans l’esprit du lecteur lors d’un entretien. Mon ressenti est ici des plus favorables, elle apparait très sympathique et il est facile de vouloir franchir le pas, d’aller vers elle, vers ses livres.
Le guide de lectures arrive fort à propos pour orienter les choix.

Et “Martin le mercredi” enfonce le clou. Atteint d’un cancer fatal, Martin bénéficie d’un traitement révolutionnaire, mais le prix de la survie est élevé. Chassé croisé entre plusieurs personnalités très différentes, chacune cherchant sa place. Par son originalité, Nancy Kress donne le tournis avec ces changements qui font sens et alimentent habilement le récit.
Au détour du dossier, il est fait mention d’un futur Une Heure-Lumière signé Nancy Kress, ce dont on ne peut que se réjouir, tant elle excelle dans le format du court roman.

Autre nouvelle de choix auréolée du Prix Hugo 2009, “L’éclosion des Shoggoths” d’Elizabeth Bear. Tiens, voilà un autre nom, hélas, trop rare par chez nous... Rien que le titre ramène à Lovecraft, mais les propos n’en reflètent pas du tout l’esprit : le héros principal en est un professeur de couleur qui fait des recherches sur le terrain sur les mystérieux Shoggoths. Il lie des relations fraternelles avec le pêcheur qui le transporte. Le déroulement s’avère lent, tranquille, il invite à la déambulation à la découverte de l’autre. C’est très agréable à lire, avec toujours un parfum de mystère, un subtil décalage du fait de la créature lovecraftienne. Comment l’appréhender ? Superbe !
« La quête onirique de Vellitt Boe » de Kij Johnson, “L’éclosion des Shoggoths” d’Elizabeth Bear, « La ballade de Black Tom » de Victor LaValle annoncé pour avril 2018 dans la collection Une Heure-Lumière, autant d’œuvres inspirées par Lovecraft mais expurgées de la question raciale. D’ailleurs, même la bande dessinée « Howard P. Lovecraft : celui qui écrivait dans les ténèbres » est assez discrète sur le sujet, le traitant au début avant de jeter un voile pudique dessus.

Dernière traduction celle de “L’obélisque martien” de Linda Nagata. L’évocation de la construction pilotée de la Terre d’un gigantesque obélisque sur Mars ne manque pas de beauté. Des machines abandonnées par une précédente mission servent au grand projet architectural de sa conceptrice Susannah, financée par un milliardaire. Toutefois, un grain de sable remet en question le monument si décrié.
C’est grandiose, fort en images avec ce qui s’apparente à une œuvre d’art que finalement personne ne verra. L’idée est belle, séduisante, mais la nouvelle se dégonfle comme un soufflé quand, à sa fin, le milliardaire doit avouer quelque chose à Susannah. Pour moi, c’est clairement de trop et dessert l’ensemble. C’est rageant !

Ketty Steward signe un texte qui, sous de faux airs bon enfant, s’avère effrayant. Ce qui s’apparente d’abord à un jeu se transforme vite en quelque chose de très sérieux. Traité sur le ton de l’humour, forcément du fait de la nature du personnage principal donnant ses impressions, “Un jeu d’enfant” se révèle redoutable par sa concision et par le sujet abordé.

Isabelle Dauphin fait très fort avec l’histoire d’une apnéiste la veille d’une compétition. Sa copine lui a juste demandé de lui ramener la jarre du chalet qu’elle a vendu. Mais cette dernière est pleine, lourde, et la mettre dans la voiture n’est pas de tout repos. Et cette plongée au record qui l’obsède !
Le déroulement d’“En finir” est chirurgical, inéluctable. Le lecteur sait que cela ne peut que mal finir, que quelque chose se passe, au contraire de la personnage, tout en négation, obnubilée par son objectif. Pour une première incursion d’Isabelle Dauphin dans les genres de l’imaginaire, c’est réussi !

Un fort volet critique décrypte les sorties des derniers mois et la parole est donnée à une traductrice, que je ne connaissais pas : Anne-Sylvie Homassell.
Pour tout connaitre de l’évolution des espèces en SF, il ne faut pas manquer ce qu’en disent Roland Lehoucq et Jean-Sébastien Steyer dans “Scientifiction”, article qui n’est pas sans remettre des idées reçues à leur place.
Et premier numéro de l’année oblige, les lauréats des Prix des lecteurs de Bifrost 2017 sont annoncés :
- catégorie française : “Proscenium” de Thierry Di Rollo (« Bifrost 85 »)
- catégorie étrangère : “Avec ses yeux” de Liu Cixin (« Bifrost 87 »)

Le dossier Nancy Kress prolonge en quelque sorte le recueil « Danses aériennes » et donne encore plus envie de la lire. Le traitement rédactionnel de ce dossier diffère par rapport à l’accoutumée, ce qui permet aussi de mettre en valeur l’équipe de « Quarante-Deux » et son travail remarquable.
Le sommaire avec des nouvelles 100% féminines en impose par sa qualité et ce premier « Bifrost » place déjà l’année sur de très bonnes bases.


Titre : Bifrost
Numéro : 89
Rédacteur en chef : Olivier Girard
Couverture : Rémy Diaz
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, nouvelles, entretien, etc.
Sites Internet : le numéro 89, la revue (Bifrost) et l’éditeur (Le Bélial’)
Dépôt légal : janvier 2018
ISBN : 9782913039865
Dimensions (en cm) : 14,9 x 21
Pages : 192
Prix : 11€



Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
27 février 2018


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