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Trains de terreur
Philippe Gontier (dir.)
Co-édition Les aventuriers de l’Art perdu & La Clef d’Argent, Terreurs anciennes, anthologie (France), terreurs ferroviaires, 268 pages, novembre 2017, 19€

Par son côté désuet, la couverture de « Trains de terreur » donne le ton avec cette bagarre entre deux hommes, l’un étant éjecté d’un wagon sur la voie.
En effet, du temps où il existait une troisième classe, où les locomotives fonctionnaient à la vapeur, où les compartiments donnaient directement sur l’extérieur et non sur une allée interne, utiliser ce moyen de locomotion n’était pas sans risques et donc sans éveiller une certaine crainte. Accidents, bandits... autant d’inquiétudes le temps d’un trajet.
Les 22 textes au sommaire se font l’écho de cette époque où l’attention des passagers n’était pas focalisé sur les seuls horaires.



22 textes publiés entre 1886 et 1927, dont un extrait de roman, pour 20 auteurs qui ne sont pas sans se répondre à travers leur imaginaire.
Il suffit de voir tout ceux mettant en scène un accident, drame fortement inspiré par « La Bête humaine » d’Émile Zola. Le chapitre XVII du roman « L’honneur du travail » de Jean de Lorraine se révèle symptomatique : collision affreuse, courage de sauveteurs improvisés, jeune homme s’en tirant par miracle...
À ce titre, tout le travail de Philippe Gontier apparaît clairement dans les notes accompagnant chaque nouvelle et la dépassant parfois en longueur. Biographie de l’auteur, mise en évidence du contexte, rapprochement et comparaison avec d’autres écrits. Ces notes sont remarquables d’érudition et témoignent d’un travail minutieux et de la passion pour cette littérature populaire fin XIXe - début XXe siècle animant le rédacteur en chef du « Boudoir des Gorgones », un fanzine à la périodicité aléatoire.

Plusieurs thèmes reviennent souvent dans les préoccupations des auteurs : les accidents ferroviaires, bien sûr, mais aussi le banditisme (“Un drame en wagon” d’Émile Blavet, “En wagon” de Pierre Thibault...), le badinage quand un homme est en charmante compagnie, sans oublier la critique sociale. Cette dernière est régulièrement mise en avant à travers les conditions de travail des cheminots et autres gardes-barrières ou aiguilleurs. Ces hommes ont un sens du devoir très développé et la tâche qui leur est confiée dépasse toute autre considération. “Le train 104” d’Octave Justice et “Le train 312” de Jean Rolland en constituent des exemples frappant avec des choix cornéliens proposés aux protagonistes. De grandes valeurs morales sont portées par la plupart des auteurs, mais Pierre Duo montre que le métier est difficile et que le sens des valeurs est parfois perdu, ce qui n’est pas sans risque (“L’enfant du mécanicien”).

Si beaucoup de textes se répondent, voire œuvrent dans la même catégorie, à défaut de mêler les thèmes (“Les douze heures d’un tamponné” d’Edmond Haraucourt débute par le badinage tout en suggestions entre un homme et une femme, jusqu’à une collision et le passage de détrousseurs de cadavres avant l’arrivée des secours), certains ne manquent pas de surprendre comme “L’étreinte” de Montjoyeux au déroulement léger et à la conclusion si cruelle pour une passagère. La lanterne rouge à l’avant des locomotives peut rendre fou et pousser à commettre l’irréparable sur soi (André Godard, “Le point rouge”) ou sur quelqu’un d’autre (Georges Rodenbach, “Suggestion”). Le train pose ici question : en plus d’être dangereux pour ses passagers, la simple observation ne suffit-elle pas à tourner les têtes ?
Dans “L’usufruit” de François de Nion, texte au déroulement implacable, observer une gare se révèle un passe-temps pour un infirme qui connaît toutes les habitudes des usagers jusqu"au jour où...
Le temps d’“Une heure d’express”, un prêtre se retrouve dans un compartiment avec un militaire à la retraite. Georges Price livre là une nouvelle jouissive et complètement inattendue, aux dialogues savoureux.
Pierre Mille allie judicieusement voyage en train et fantastique. “La collision de Brébières-Sud” ne manque pas de surprendre ; traité non sans humour, le texte se termine par un drame.

Le train des débuts a inspiré aux auteurs, non sans raison, des thématiques récurrentes que chacun a traité à sa façon. Chaque nouvelle est un morceau du passé, un témoignage des peurs d’alors. Des titres se ressemblent, ou encore sont identiques (“Le témoin” pour E. Haraucourt et Maurice Renard), mais chaque texte possède son originalité et son éclairage particulier. La lecture se révèle instructive, aussi bien par les récits en eux-mêmes, de par leur époque de rédaction, que par les notes les prolongeant.
Et comme Philippe Gontier aime le travail bien fait, un dossier avec de vrais articles achève cette anthologie. La réalité dépasse parfois même la fiction !

« Trains de terreur » n’officie pas dans la terreur pure et dure, mais montre que prendre le train voilà plus d’un siècle ne se faisait pas sans crainte : peur de l’accident, d’être pris à partie, volé, voire tué. Monter dans un wagon constituait quasi une aventure et suggérait le frisson. Philippe Gontier a réalisé un travail remarquable de recherche pour monter une telle anthologie avec une impressionnante somme d’informations. Une lecture vraiment enrichissante !


Titre : Trains de terreur
Sous-titre : Anthologie d’épouvante et d’insolite ferroviaires
Collecteur des textes et présentation : Philippe Gontier
Auteurs (par ordre d’apparition) : Émile Blavet, Edmond Lepelletier, Pierre Duo, André Godard, Pierre Cosseret, Montjoyeux, Gustave Geffroy, J. de Lorraine, Geores Rodenbach, Octave Justice, Edmond Haraucourt (2), François de Nion, Jean Rochon (2), Jean Rolland, Guy de la Miode, Georges d’Albane, Pierre Thibault, Pierre Mille, Georges Price, Maurice Renard
Couverture : Adolphe Louis Charles Crespin
Éditeur : Les Aventuriers de l’Art Perdu / La Clef d’Argent
Collection : Terreurs anciennes
Site Internet : page roman avec table des matières détaillée (site éditeur)
Numéro : 3
Pages : 268
Format (en cm) : 20 x 13
Dépôt légal : novembre 2017
ISBN : 9791090662483
Prix : 19 €


Autre volume de la collection :
- 1. Trains de cauchemars


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
11 février 2018


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