Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Soeurs Carmines (Les), tome 2 : Belle de Gris
Ariel Holzl
Mnémos, Naos, roman (France), dark fantasy, 270 pages, novembre 2017, 17€

Suite aux aventures contées dans le tome précédent, la place de Dame de compagnie de la reine, poste de pouvoir très en vue, est vacante, et la souveraine donnera un grand bal pour rencontrer les prétendantes. Pour Tristabelle Carmine, c’est l’occasion à ne pas rater, histoire de se hisser à sa juste position sociale. Mais 3 semaines, cela laisse peu de temps pour fourbir ses armes contres ses rivales, trouver une invitation et surtout pour se préparer : robe, chaussures, bijoux, maquillage, tout cela prend du temps !
Et comme si cela ne suffisait pas, un inspecteur de la garde de Grisaille, Eldritch Creusombre, lui colle aux basques, soi-disant pour son étrange implication dans de nombreuses scènes de crimes...



Qu’il est agréable de replonger dans les ruelles sombres et dangereuses de Grisaille, qui plus est aux côtés de Tristabelle, l’aînée des Carmines. On s’interroge toujours : son attitude relève-t-elle réellement d’une grande frivolité et d’un égoïsme démesuré, ou au contraire d’une personnalité froidement calculatrice, hautaine et manipulatrice ?
Avec « Belle de Gris », le voile est levé... Tristabelle est prête à tout pour parvenir à ses fins, allant parfois jusqu’à s’abaisser à de viles extrémités comme... travailler (enfin, se présenter à un emploi...) lorsque son charme naturel - légèrement accentué par un regard de braise et une subtile inclinaison du buste, voire, s’il le faut, une exposition de mollet - ne suffit pas à convaincre ses interlocuteurs, mâles de préférence, du bien-fondé et de la logique de sa vision des choses. Qu’importe si les ensorcelés se retrouvent ensuite dans la panade.

Ariel Holzl utilise le même procédé que dans « le Complot des Corbeaux » : une narration à la première personne, avec laquelle Tristabelle n’hésite pas à nous interpeller, nous lecteur, comme si nous étions un esprit errant flottant autour d’elle, un petit espion trop curieux. L’effet est truculent, rajoutant à la folie du personnage lorsqu’elle s’en prend à nous dans des diatribes qui feront mouche, nous renvoyant tout piteux à notre petitesse face à sa perfection de tous les instants (ou presque). Pris donc à témoin de ses actes, de leur justesse et de leur malignité, nous sommes ramenés au rang de suivant, de créature servile un peu bête, et si nous étions un rien plus tangible escomptez qu’elle nous aurait employé à quelque tâche pour son plan.

Lequel est fort complexe et fort naïf tout à la fois : Tristabelle devant se procurer une invitation, mais ne souhaitant pas mettre sa petite sœur Merryvère dans le coup - elle n’est quand même pas très adroite, pour une cambrioleuse, et a failli laisser son cou sous la guillotine - elle va naturellement démarcher un duo de monte-en-l’air dans les Bas-Fonds, avec une simplicité aveugle et des directives qui, comme à son habitudes, ne souffrent aucune contradiction. C’est méconnaitre la filouterie de ces gens-là - ah, on ne peut plus faire confiance aux petits artisans.
Certains éléments nécessitant des fonds, Tristabelle se résout à postuler à un emploi - mais pas à travailler, oh, non, quand même, n’exagérez pas. D’autant qu’une autre activité, qu’elle nous dissimule, tant elle est honteuse, l’épuise chaque nuit... Non, ce n’est pas ce que vous imaginez, mais que vous y aillez pensé montre bien comme vous avez l’esprit mal tourné.

Mais voilà, ces petites cachotteries ne s’embarrassent pas de l’omniprésence ennuyeuse de l’inspecteur Creusombre et de ses prétextes fallacieux - oui, on meurt beaucoup dans le sillage de Tristabelle, mais est-ce totalement sa faute ? ou son franc-parler est-il un simple catalyseur de pulsions meurtrières ? Très vite, la belle soupçonne l’inspecteur de chercher son agréable compagnie, et lorsqu’elle lui dit qu’elle a éventé son petit manège, les situations en deviennent davantage ubuesques, véritables dialogues de sourds. Il n’en demeure pas moins qu’il plane un vrai mystère derrière ces crimes, mystère distinct des préparatifs du bal, et qu’accaparé par lesdites manœuvres de Tristabelle pour être l’heureuse élue, et éviter les pièges de ses rivales, sa résolution sera un grand moment de plus dans une intrigue dense où rien n’est dû ni laissé au hasard. Ariel Holzl ne fait pas du tricot, il nous tisse de la soie.
Il va de soi que Tristabelle provoque des catastrophes à peu près partout où elle passe et, obnubilée par elle-même, ne s’en rend pas compte. Pour notre plus grand plaisir, entre un burlesque premier degré d’effet domino et une réflexion plus grave sur l’impact à large rayon de telles personnalités : elle provoque presque une révolte populaire pour se sortir d’une situation désavantageuse. Si ce n’était sa naïveté et son nombrilisme, on jurerait avoir affaire à une fine politicienne, manipulatrice en diable. Bref le profil parfait de dame de compagnie royale. L’auteur joue à fond sur le contraste entre la manière de faire de son héroïne et les effets produits, souvent ceux attendus, en dépit de plus ou moins de dommages collatéraux.

Si Merryvère a l’honneur de quelques chapitres, on regrettera peut-être que Dolorine soit moins présente, mais cela n’en rend ses interventions que plus savoureuses. Et on aura l’immense joie de découvrir en fin d’ouvrage, avec le traditionnel chapitre de découverte, que le troisième tome lui est bien entendu dévolu !
Autre révélation, l’ascendance de la jeune femme, qui va expliquer quelques petites choses, mais aussi lui causer des misères et ajouter une nouvelle corde à son arc. Un très beau passage sur la filiation et le refus d’une paternité absente, preuve s’il vous en fallait qu’en plus d’une forme éminemment divertissante et un fond très bien construit, Ariel Holzl sait distiller un peu de dramaturgie et a donné une vraie psychologie à ses personnages, aussi barrés soient-ils.

Une nouvelle pâtisserie d’Halloween, donc, intrigante à s’en lécher les papilles, à la saveur délicieuse et à la texture toujours inattendue. On en reprendra volontiers une troisième fois. Et d’ici là, on relira « Le Complot des Corbeaux » et « Belle de Gris » avec gourmandise.

EDIT : dernier volume avec Dolorine à l’école.


Titre : Belle de Gris
Série : Les Soeurs Carmine, tome 2
Auteur : Ariel Holzl
Couverture et dessins : Melchior Ascaride
Éditeur : Mnémos
Collection : Naos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 270
Format (en cm) : 21 x 15 x 2,5
Dépôt légal : novembre 2017
ISBN : 9782354086039
Prix : 17 €


Les Sœurs Carmines :
Le Complot des Corbeaux
Belle de Gris
Dolorine à l’école


Nicolas Soffray
18 janvier 2018


JPEG - 20.2 ko



Chargement...
WebAnalytics