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Projet Callidus
Nikki Owen
Pocket, roman traduit de l’anglais, thriller, novembre 2017, 444 pages, 7,40 €


Elle se nomme Maria Martinez. Chirurgienne, surdouée en mathématiques, elle est également autiste sur le mode Asperger. Sa perception des rapports humains est handicapée par cette maladie mentale, son rapport au langage est également différent. Mais elle a également bien d’autres problèmes. On l’avait découvert dans « Sujet 375 » : la réalité n’est pas forcément ce qu’elle semble être, non seulement pour les autistes, mais également pour les autres. Il se pourrait bien que les soins suivis par Maria Martinez n’aient pas été destinés avant tout à sa santé mais aient été une forme de conditionnement destinée à en faire le simple pion d’une vaste conspiration gouvernementale : le Projet. Un Projet sur lequel, secrètement réfugiée dans un recoin reculé d’Espagne, elle ne peut s’empêcher d’enquêter. Un projet qui la cherche, la retrouve, avec pour but de la contraindre au silence. Définitivement, bien entendu. Mais quel rapport avec le MI5, avec le meurtre d’un prêtre dont elle a été accusée puis blanchie, avec le fameux Septembre noir des années soixante-dix et avec la découverte de molécules aux propriété pharmacologiques nouvelles ?

« C’est n’importe quoi, dit Ramon en secouant la tête. Bordel de merde, c’est vraiment n’importe quoi. »

« Projet Callidus » avait donc bien des arguments pour séduire. Malheureusement, le roman souffre de défauts objectifs qui ne peuvent être passés sous silence. Le premier est constitué par toute une série d’invraisemblances dont, à titre d’exemple, nous ne rapporterons que la plus flagrante. L’héroïne, après avoir pris une balle dans la jambe, s’effondre et commence à défaillir suite à l’importance de l’hémorragie. Quelques instants, plus tard, elle se précipite sur son agresseur. Une fois la balle extraite par ses propres soins (elle est chirurgienne), on n’entendra plus jamais parler de cette blessure : dans les heures qui suivent elle marche, conduit, court, et fait des acrobaties dans un véhicule penché au bord d’un précipice comme si de rien n’était. Sans doute a-t-elle oublié qu’elle était blessée (et sans doute l’auteur aussi, à moins qu’elle ne fasse exprès d’accumuler les invraisemblances), ce qui lui permet également, attachée sur une chaise, de ramasser un objet avec les pieds et de le lever jusqu’à elle avec ses jambes, puis d’escalader un escalier de sept cents marches et même de sauter d’un immeuble à un autre !

Outre l’accumulation d’incohérences grotesques, l’auteur parvient à se prendre les pieds dans son propre tapis en développant des évènements auxquels elle ne parvient pas elle-même à donner d’explication logique ou simplement crédible (par exemple lorsqu’elle essaie d’expliquer comment le Projet a retrouvé sa trace à partir d’un support informatique), venant à chaque fois rompre chez le lecteur la nécessaire suspension d’incrédulité. Les facilités des ressorts scénaristiques sont lassantes (à partir de simples coordonnées GPS, le hacker situé à des milliers de kilomètres s’infiltre en quelques secondes dans un bâtiment dont il ne connaît rien, prend le contrôle des portails, des caméras de sécurité, des ordinateurs, etc.) et les scènes d’action sont si médiocrement écrites qu’on a l’impression qu’elles ont été séquencées par un enfant. Enfin, l’auteur tire passablement à la ligne, et les dialogues, tout comme la psychologie des personnages, sonnent souvent faux.

« J’hésite. La certitude mathématique est le chemin que je préfère. Il est plus fiable que les humains : noir et blanc, sans zones grises, sans sens caché. »

« Projet Callidus » est-t-il pour autant un mauvais roman ? Disons plutôt un roman inabouti. Car il y avait au départ de bonnes idées. L’argument de base, même s’il n’est autre, au fond, que celui de « Sujet 375 », premier roman mettant en scène le docteur Maria Martinez, c’est-à-dire celui d’une histoire de traque et de complot racontée par une individu mentalement différente du commun des mortels, et dont on ne sait jamais si ce qu’elle raconte relève de la réalité ou d’une forme de schizophrénie particulièrement productive, est joliment trouvé. En jetant le doute de manière récurrente, il met en scène un jeu dickien entre illusion et réel qui fonctionne plutôt bien. Les relents de paranoïa, les séquestrations multiples (la captivité ancienne de « Sujet 375  », le retirement consenti dans sa demeure d’où elle ne sort jamais de peur d’être retrouvée, la captivité transitoire dans le complexe, la captivité finale) font de « Projet Callidus » un roman dont la tendance claustrophobique est patente. L’idée de ne pas utiliser de narrateur omniscient, mais de tout raconter à travers la vision autistique de la narratrice était un défi intéressant, même s’il n’est que partiellement relevé (cela n’apparaît, et avec réussite, que dans quelques dialogues avec Chris Johnson, son ami informaticien). Enfin, la structure narrative, à partir de plusieurs lignes temporelles légèrement décalées, est travaillée avec suffisamment de rigueur pour rester cohérente jusqu’au bout.

Que reste-t-il en définitive de « Projet Callidus » ? Un roman imparfait, mais qui s’inscrit pleinement dans la ligne directrice de sa parution d’origine, puisqu’il a été initialement publié aux éditions « Super 8 » dirigées par Fabrice Colin et dévolues aux romans très « Série B » Si « Projet Callidus » n’est pas le roman le plus convainquant de la collection (on pourra lire en suivant ces liens les chroniques de « John meurt à la fin » de David Wong, de « L’Obsession » de James Renner, de « Chambre 507 » de Hutchins et Weisman, du « Contrat Salinger » de Ben H. Winters, ou encore de « Carter contre le diable » de Glen David Gold, tous publiés à l’origine chez Super 8 ), il correspond néanmoins parfaitement à ce pour quoi il a été choisi : constituer l’équivalent de ces séries télévisées dont on connaît à l’avance les qualités et les défauts, et que l’on regarde pour passer un moment. La publication en français de sa suite, « The Girl who ran », troisième volume de « The Project Trilogy », n’a, pour l’heure, pas encore été annoncée.


Titre : Projet Callidus
Auteur : Nikki Owen
Couverture : Laurent Besson
Traduit de l’anglais par : Cindy Colin Kapen
Éditeur : Pocket (édition originale : Super 8, 2015)
Site Internet : page roman
Pages :444
Format (en cm) : 11 x 17,5
Dépôt légal : novembre 2017
ISBN : 9782266258920
Prix : 7,40 €



Hilaire Alrune
11 décembre 2017


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