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Cthulhu, les créatures du mythe
Sandy Petersen
Sans Détour et Bragelonne, traduit de l’anglais (États-Unis), essai et beau livre, 152 pages, septembre 2017, 30€

En 1988 et 1989, Sandy Petersen publiait deux ouvrages, « S. Petersen’s Field Guide to Cthulhu Monsters, a field observer’s handbook of preternatural entities » et « S. Petersen’s Field Guide to Creatures of the Dreamland », illustrés respectivement par Tom Sullivan et Mark J. Ferrari. Ce sont ces deux volumes, qui avaient fait l’objet d’une première traduction aux éditions Descartes en 1988 et 1989, qui sont ici repris et fondus en un seul, avec une révision (dont la nature n’est pas précisée) de Mike Mason et Vincent Lelavechef, et sous une forme sensiblement différente et sans doute plus sombre que les ouvrages en langue anglaise, car on n’y retrouve pas les illustrations d’origine mais celles de Loïc Muzy, Mariusz Gandzel et Claire Delépée.



« Cthulhu, les créatures du mythe » respecte la séparation initiale en deux volumes, chacune précédée d’une introduction attribuée à un certain professeur émérite du nom d’Eliphas Cordvip Fallworth, de la faculté de métaphysique médiévale de l’Université de… Miskatonic (bien évidemment !) Présentés comme des traités de zoologie surnaturelle, science des terreurs hypergéométriques pratiquée par des « métaphysiciens pragmatiques » faisant figure de précurseurs, ces deux traités se veulent une somme introductive destinée à faciliter de nouvelles recherches en ce domaine.

Ce double volume ne recense pas moins de cinquante-six entités. Chaque créature, généralement terrifiante, est abordée par une citation de Lovecraft y faisant précisément ou allusivement référence, suivie d’une description physique, puis des rubriques « Habitat », « répartition géographique », « vies et habitudes », et parfois également « faits notables ». Une ou plusieurs illustrations, souvent avec un personnage pour donner l’échelle, viennent compléter chacune de ces notules.

Azathoth, Cthulhu, Nyarlathotep, Dagon, les Chiens de Tindalos, les Fungi de Yuggoth, le Shoggoth, Shub-Niggurath les Maigres Bêtes de la nuit, les créatures du sinistre plateau de Leng : les amateurs du maître de Providence, propulsés en terrain connu (si l’on peut parler de terrain pour les abîmes de l’espace et du temps, les immensités cosmiques et les dimensions qui ne sont pas les nôtres), évolueront à travers ce livre comme à travers une belle galerie de terreurs lovecraftiennes. Mais ils pourront aussi y trouver certaines créatures qui, pensons-nous, ne sont pas tout à fait aussi typiquement lovecraftiennes, comme Bast, le Basilic, le Wendigo ou le Roi en Jaune (au sujet duquel les puristes regretteront que la citation jointe soit de James Blish et non de Robert Chambers).

On le sait, et l’on nous pardonnera, nous l’espérons, d’écrire ci-après quelques banalités : les nouvelles, romans, métrages, et autres œuvres d’art inspirées par les univers lovecraftiens sont rarement marquants. Sur le plan artistique, la tentative a toujours eu quelque chose de suicidaire. Le caractère précurseur et la puissance d’évocation du maître de Providence, le caractère indélébile de l’empreinte qu’il a laissée dans l’esprit de générations de lecteurs font qu’il est rapidement apparu difficile, sinon impossible, de se hisser à son niveau. C’est pourquoi la plupart des tentatives en ce domaine font effet de simples pastiches, des dérivés, des produits de « fans » peu inspirés, qui parfois désolent et parfois prêtent à sourire. Il importera donc de ne pas aborder de telles productions avec l’idée que l’on y sombrera dans des abîmes d’épouvante cosmique ou dans des abysses de terreur pélagique façon R’lyeh, et ceci d’autant plus que les créatures lovecraftiennes, parfois détaillées, parfois simplement suggérées dans les œuvres princeps, ont, depuis leur création, déjà fait l’objet de maintes représentations picturales.

Ceci posé, force est d’admettre que « Cthulhu, les créatures du mythe », fait partie des entreprises honorables. Les descriptions de Sandy Petersen restent en adéquation avec les ambiances et tonalités lovecraftiennes et l’on retrouvera à travers elles le souvenir de bien des classiques de l’auteur. Les experts en zoologie imaginaire ne manqueront pas de s’amuser de la référence au fameux traité des rhinogrades de Stümpke. En ce qui concerne les illustrations, l’appréciation dépendra forcément des lecteurs et de l’image personnelle qu’ils se seront faits des créatures lovecraftiennes. On notera toutefois que la plupart d’entre elles, surtout dans la première partie, évitent l’aspect outrancier ou grotesque si fréquemment rencontré dans les productions du genre, et que si certaines apparaissent résolument figuratives, parfois un peu trop pour convaincre, d’autres comme Tulzscha, Dhole ou Celui qui hante les ténèbres sont suffisamment imprécises et suffisamment évocatrices pour faire frémir. Quant à nourrir les cauchemars des uns et des autres, des dessins comme ceux du Sombre Rejeton ou du Profond Hybride pourraient bien y suffire. On notera également quelques représentations en couleurs avec notamment un Roi en Jaune réussi, et de beaux effets de profondeur associés à Azathoth et Cthulhu.

Ce qui manque à l’ouvrage, on ne pourra que le regretter, est l’indispensable rigueur concernant les apports des uns et des autres. Ainsi les ajouts et modifications par rapport aux éditions originales ne sont-ils pas plus mentionnés que les origines précises et la traduction des citations lovecraftiennes. De même, on ignorera jusqu’au bout, à défaut de table des illustrations, quel artiste, parmi les trois illustrateurs mentionnés, est à l’origine de chaque dessin. On ne peut que regretter qu’un ouvrage aussi soigné ne rende pas suffisamment hommage à ses multiples contributeurs. Quoiqu’il en soit, ces menus défauts sont contrebalancés par une réalisation technique exemplaire. Papier glacé, véritable reliure, magnifique couverture cartonnée, signet en tissu, la finition de « Cthulhu, les créatures du mythe  », apparaît irréprochable. Complété par une liste de « Lectures recommandées » qui mêlent ouvrages authentiques, suppléments de jeu et apocryphes manifestes, « Cthulhu, les créatures du mythe », saura sans nul doute séduire plus d’un lovecraftophile.


Cthulhu, les créatures du mythe
(S. Petersen’s Field Guide to Cthulhu Monsters et S. Petersen’s Field Guide to Creatures of the Dreamland , 1988 et 1989)
- Auteur : Sandy Petersen
- Révision : Mike Mason et Vincent Lelavechef
- Traduction de l’anglais (États-Unis) : Denis Humeau
- Couverture : Loïc Muzy
- Illustrations : Loïc Muzy, Mariusz Gandzel et Claire Delépée
- Direction artistique : Christian Grussi et Fabrice Borio
- Éditeur : Sans Détour et Bragelonne
- Pagination : 152 pages couleurs
- Format : 18,5 x 26 cm
- Dépôt légal : septembre 2017
- ISBN : 97891028110079
- Prix public : 30 €


Illustrations © Loïc Muzy et Mariusz Gandzel, Cthulhu, Les Créatures du mythe, Bragelonne, 2017


Hilaire Alrune
20 octobre 2017



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