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Génie du faux (Le) - La Passion Vermeer
Patric Pesnot
Hugo, collection Hugo Doc, biographie romancée, 234 pages, octobre 2017, 17,50€

Dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, un érudit français du nom d’Etienne-Joseph-Théophile Thoré découvre que certains tableaux attribués à Jan van der Meer d’Utrecht ne sont pas de lui mais d’un quasi-homonyme, Johannes Vermeer de Delft, peintre alors inconnu et sous-estimé. Dès lors, Thoré traquera dans les archives tout ce qui peut avoir trait à ce peintre, retrouvera des dizaines de toiles du peintre et le portera au firmament des artistes hollandais. Des décennies plus tard, le jeune Han van Meegeren, né en 1889, se passionnera pour cette aventure. Dès lors, le destin de van Meegeren sera indissolublement lié à Vermeer.



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View of Delft by Vermeer (1660–1661)

« Il y avait chez lui une véritable fascination pour l’éclat de la couleur qui naissait sous ses yeux, un désir quasi sensuel de juger de sa luminosité en la déposant sur sa palette avant de l’étaler sur sa toile blanche. »

Les premières années de van Meegeren sont classiques : il souhaite devenir peintre, son père s’y oppose. Modus vivendi : il fera des études d’architecture. Un fiasco, mais van Meegeren, encouragé par son mentor Bartus Korteling, un professeur d’arts plastiques qui a reconnu son talent, participe en dilettante à un concours de peinture dont il remporte la médaille d’or. Dès lors, avec des hauts et des bas, la carrière de van Meegeren est lancée : en quelques années, il devient un peintre aisé et reconnu.

Son destin, pourtant, va rapidement basculer. Ses succès financiers et mondains l’éloignant d’une créativité véritable, les critiques cessent de l’encenser. Dans le même temps, déjà aigri, il s’acoquine avec deux artistes ratés et restaurateurs de vieux tableaux, et tous trois réalisent un faux Vermeer qui parvient à duper un expert de renom. Un épisode qui marque de manière indélébile un van Meegeren qui n’a jamais été étouffé par l’honnêteté, et qui aura rapidement montré ses défauts : dépensier, flambeur même, infidèle, porté sur la boisson, ouvertement méprisant pour une critique qui ne l’encense pas suffisamment.

« Je suis Vermeer : cette folle pensée ne cessait de trotter dans sa tête. Obsédante, magique. Ma Main est celle de Vermeer ! Il lui fallait s’en persuader. Le fabuleux inconnu de Delft devait l’habiter, l’imprégner, le guider. »

Au début des années trente, van Meegeren et son épouse s’en vont s’installer en France, à Roquebrune, puis à Nice, où ils louent une villa luxueuse et mènent grand train : clientèle richissime et ventes faciles, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais l’artiste, perpétuellement insatisfait, travaille en secret, des années durant, à développer d’autres techniques : élaborer des tableaux anciens. Il fabrique un four de ses propres mains, cuit et recuit les peintures, élabore des pigments comme on le faisait à l’époque, découvre une technique lui permettant, en peignant par-dessus les apprêts craquelés de peintures d’époque qu’il aura grattées de leurs couleurs, de reproduire à la perfection les craquelures anciennes. Sa technique mise au point, le voilà en train de peindre des faux Vermeer. Une période française marquée par de nombreuses anecdotes, comme la fois où, après la disparition d’une jeune fille, la police débarque chez lui alertée par la fumée de son four à peinture, ou celle, presque trop belle, expliquant comment le christ d’un des faux Vermeer est en fait le visage d’un vagabond venu frapper à sa porte.

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Woman Taken in Adultery, un faux de Van Meegeren’s Vermeer

Comme le révèle au fil des pages Patrick Pesnot, le génie de van Meegeren tient à de multiples facteurs : sa maîtrise technique pour faire de l’ancien sur le plan des matériaux, sa maîtrise picturale pour faire du Vermeer presque plus vermeerien que les tableaux de Vermeer lui-même, sa maîtrise historique lui permettant de concevoir des œuvres dont les experts pensaient déjà que Vermeer les avait peintes, son soin à choisir des intermédiaires, son habileté à s’insérer dans les « marges du doute » des connaisseurs, sa capacité à inventer des histoires expliquant comme ces tableaux avaient été retrouvés, son machiavélisme, enfin, lorsque, revenu en Hollande durant la Seconde Guerre mondiale, il profitera de la fibre patriotique des acheteurs qui préféreront dépenser des fortunes plutôt que de laisser tomber des biens nationaux aux mains des envahisseurs. Des fortunes au sens propre du terme, faisant de van Meegeren un personnage richissime à la tête de maisons de maitre et autres biens immobiliers, un flambeur et organisateur de fêtes privées, un personnage de tous les excès – femmes, boisson, héroïne – qui défraie la chronique alors que la guerre entraine rationnements alimentaires et misère généralisée.

« Pourquoi, avant de les acheter, n’avaient-ils pas procédé à un minimum d’expertises chimiques ou radiographiques ? Et comment expliquer leur manque de curiosité quant à la provenance de chefs-d’œuvre ? Tous avaient benoîtement accepté les vagues déclarations que leur avaient fournies les intermédiaires qu’il avait lui-même choisis. Le désordre de l’Occupation justifiait-il ces incroyables négligences ? »

Si van Meegeren a pris suffisamment de précautions pour n’être jamais mis en cause, un accroc de taille vient toutefois ruiner sa belle machinerie. Un intermédiaire indélicat, en dépit de ses strictes consignes, revend son dernier Vermeer, « Le Christ et la femme adultère », au Reichsmarshall Hermann Goering, qui est également un grand amateur d’art. Or, ce dernier tableau a été hâtivement réalisé et Goering pourrait bien réaliser la supercherie. Ce ne sera pas le cas, mais la chute du troisième Reich apparaît inéluctable, et van Meegeren anticipe fort justement ce qui l’attend si l’on remonte jusqu’à lui : vente de biens nationaux à l’ennemi et condamnation à mort. S’il peut espérer dans le chaos de l’effondrement de l’Allemagne la fuite et la disparition des intermédiaires, sinon du tableau lui-même, il n’en sera rien et, une fois le tableau saisi dans les possessions de Goering, les investigateurs ne tarderont pas à remonter jusqu’à van Meegeren. Qui sait désormais qu’il devra tout révéler, qu’il sera entièrement ruiné, mais sauvera au moins sa vie.

On connaît la suite : les experts refusent de reconnaître leur erreur, van Meegeren accumule les révélations pour prouver ses dires et réalise même un nouveau faux Vermeer en prison. La confusion est si grande, rapporte Patrick Pesnot, qu’un journaliste « en vint à suggérer que Van Meegeren était l’auteur de tous les Vermeer existants. C’est-à-dire que van Meegeren était Vermeer ! » Et d’ajouter : « Rien n’aurait pu combler plus l’orgueil du faussaire. » Van Meegeren met l’investigateur principal de son côté, joue finalement contre ses détracteurs avec quelques traits d’esprit, séduit les foules lors de son procès et devient le héros national qui a dupé Goering.

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Si Patrick Pesnot ne donne pas ses sources – il manque, en annexe, une bibliographie qui aurait permis de mettre en valeur son travail – on devine un très gros travail de documentation pour cette biographie partiellement romancée (avec ici et là des dialogues et quelques passages qui, s’ils sont inspirés par les éléments factuels connus sur van Meegeren, ont à l’évidence été inventés pour servir de liant) qui aurait pu également être écrite comme une véritable biographie, ou même comme un essai. Ce choix opéré par Patrick Pesnot donne à son œuvre une teinte légèrement journalistique et un caractère particulièrement vivant et passionnant, comme le « roman vrai » d’un personnage d’exception, peintre brillant ayant refusé de poursuivre son propre génie pour endosser celui d’un autre, à travers le monde de l’art de cette première moitié du vingtième siècle.


Le Génie du faux - La Passion Vermeer
- Auteur : Patrick Pesnot
- Couverture : non créditée
- Éditeur : Hugo et Cie
- Collection : Hugo Doc
- Pagination : 234 pages couleurs
Format : 15 x 22 cm
- Dépôt légal : octobre 2017
- ISBN : 978275563645
- Prix public : 17,50 €


Illustrations et photos © University of Glasgow


Hilaire Alrune
15 octobre 2017



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Han van Meegeren



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