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Shikanoko, tome 3/4 : L’Empereur Invisible
Lian Hearn
Gallimard Jeunesse, roman traduit de l’anglais (Australie), 290 pages, août 2017, 14,90€

Après la mort d’Akihime, Shikanoko se retire dans le Bois Obscur, fortement abattu, n’ayant plus goût à la vie humaine. Seule la présence des Jumeaux Brûlés et de Bara, l’ancienne servante d’Hina, lui apporte un peu de réconfort. A la demande du jeune Takauji, le fils de Takaakira, celui qu’on appelle désormais dieu-cerf, puisque le masque aux bois est soudé à son visage, accepte d’aller défendre la veuve du défunt ministre contre les avances de trois prétendants bien déterminés à se partager son domaine. Mais cet acte attire l’attention des Mibori, et ils sont contraints de s’enfoncer plus au nord.



Hina a été sauvé de la noyade par Dame Fuji. Tandis que Take, le fils de Shika, grandit avec les saltimbanques, aux côtés de Yoshi, le véritable empereur, la fillette est placée dans un monastère dirigé par la mère de Shikanoko. Mais avant même ses seize ans, dame Fuji vient la reprendre. Hina, qui s’appelle désormais Yayoi, devient l’une des courtisanes les plus en vue du bateau des plaisirs, mais à chaque fois qu’un homme outrage son jeune corps, c’est à Shika qu’elle rêve.
Enfin, dans la cahute du Bois Obscur, Kuki et Kuro sont de retour. Bannis par Shika pour avoir causé la mort d’Akihime, ils ont cependant découvert le monde des hommes et s’y intéressent davantage. Lorsque Chika et sa sœur Kaze viennent chercher asile auprès d’eux, le jeune guerrier devient leur précepteur. Deux clans se forment dans la fratrie démoniaque : Kuki veut devenir guerrier, marchand, brigand tandis que Mu préfère la vie calme dans la forêt, auprès de la femme-renarde dont il est amoureux. Le clash entre eux est violent, et se clôt par le départ de Kuki, désormais en possession d’un masque magique fabriqué avec le crâne de Gessno et la magie de la renarde, héritière du Vieux Peuple comme leur mère. Mu est inconsolable, et tandis que son frère bâtit un empire commercial basé sur l’élimination violente de toute concurrence, lui est initié à la magie par un tengu, qui croit à son potentiel pour rééquilibrer le jeu et ramener l’harmonie dans le royaume des huit îles...

Vaste et dense programme, en 280 pages. L’écriture de Lian Hearn, très factuelle et directe, donne toujours à cette saga un rythme étrange et pas toujours évident. Chaque chapitre est centré sur un personnage, et le groupe auquel il appartient, mais peut facilement couvrir plusieurs années. Les passages sont fréquents où l’on signale le passage des saisons, d’un hiver puis l’autre, de plusieurs mauvaises récoltes à cause de la sécheresse... Les années de couvent d’Hina/Yayoi tiennent en quelques lignes, et après sa brutale initiation, celles de courtisanes tout autant.
Pas toujours facile, dans ce cas, de resituer la simultanéité de certains événements, mais la relative indolence de l’intrigue et de ses personnages n’en fait pas ressentir le besoin. En effet, loin d’un thriller politique ou d’une épopée guerrière, dans « L’Empereur Invisible » on prend son temps, pour méditer, se former, s’entrainer, grandir... davantage encore que dans les précédents. La mort du prince abbé semble avoir effacé tout caractère d’urgence, et faute de narrateur dans les sphères politiques, comme Masachika ou le défunt Takakira, on ne sait plus comment s’en sortent les Miboshi, si ce n’est que la popularité du « faux » empereur pâtit des conséquences de plusieurs années de sécheresse, de récoltes maigres, et qu’on commence à y voir un signe du Ciel.
Non, ce tome est surtout tourné vers les jeunes personnages - les adultes ayant été à peu près tous décimés, en fait - leurs alliances, leur découverte des responsabilités, des conséquences de leurs choix. Et aussi de leur corps. Dans la tribu de l’araignée, Mu se lie à une renarde, puis Kiku à Kaze. Au contact des humains, les petits démons se sont humanisés, et même s’ils ne les comprennent pas toujours goûtent à la découverte, au plaisir et à la douleur des émotions et des passions. Amour, jalousie, trahison...
Après le viol d’Akihime sous l’emprise du masque à la fin de « L’Enfant du Cerf », pour bien enfoncer le clou sur la place des femmes, c’est désormais Hina qui est contrainte de se prostituer dès son adolescence. Lian Hearn retranscrit très bien, jusque dans le récit, la mentalité de cette société proche d’un Japon médiéval, puisque les hommes cherchent une femme comme un pilier nécessaire à leur vie publique et privée, et que les femmes, les filles, dès leur plus jeune âge, envisagent un mari avant même un amant, un homme de bonne condition qui réponde à leur seule richesse, leur beauté, et leur garantissent un avenir confortable. Quitte à ce qu’il soit bien plus âgé, laid, un peu violent ou sans intérêt... Beau modèle de prince charmant ! Hina/Yayoi, en plus douée de quelques talents - lire, écrire, et jouer du luth - peut envisager d’être rachetée à Dame Fuji par un très beau parti. La veuve de Takaakira, pour obtenir les faveurs et l’aide militaire de Shikanoko, n’hésite pas à s’offrir à lui, en plus de lui garantir un confort matériel. Seule Bara échappe désormais à ce schéma, mais l’ancienne servante ne vit désormais que pour la vengeance, s’habille en homme et manie le sabre, autant dire que dans cette société, elle n’est plus femme.

Je ne reviens que rapidement dessus, comme dans le tome précédent, là encore la profusion de noms, de surnoms, de diminutifs, de fausses identités, tous dans les mêmes consonances, fait qu’on se perd un peu dans les 100 premières pages entre qui est qui, et en fait le fils de qui, fidèle ou traître à qui... (voir résumé ci-dessus :-) ) et la liste des personnages principaux en fin d’ouvrage mériterait d’être plus exhaustive (signalons-y au passage qu’Asagao est une femme et non un homme !). N’hésitez pas à prendre des notes, faire un arbre généalogique, en attendant la parution en fin d’année de « l’Héritier de l’arc-en-ciel », 4e et dernier volume de cette histoire, qui promet d’être plus épique maintenant que les différents protagonistes se rassemblent pour faire éclater la vérité et rétablir le véritable empereur.

Terminons sur la couverture, encore une fois magnifique, avec soleil doré en prime, qui font de ces tomes de très beaux objets. En l’absence de destin exceptionnel, ils ne prennent pas vie comme le luth d’Hina, mais comme le manuscrit enchanté, ils nous font vivre et découvrir des merveilles.


Titre : L’Empereur Invisible (, 2016)
Série : Shikanoko, tome 3/4
Auteur : Lian Hearn
Traduction de l’anglais (Australie) : Philippe Giraudon
Couverture : Alex Merto / Yuko Shimizu
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Collection : Grand format littérature
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 290
Format (en cm) : 21 x 14 x 2,8
Dépôt légal : août 2017
ISBN : 9782075076487
Prix : 14,90 €


Shikanoko :
L’Enfant du Cerf
La Princesse de l’Automne
L’Empereur Invisible
L’Héritier de l’Arc-en-Ciel


Nicolas Soffray
26 octobre 2017


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