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Perséides (Les)
Robert Charles Wilson
Gallimard, Folio SF, n°583, traduit de l’anglais (Canada), science-fiction, 375 pages, août 2017, 8,20 €


Émigré au Canada au début des années 1900, un jeune homme donne des cours et joue aux échecs pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa sœur, en train de basculer dans la folie. Le vieux bouquiniste de la librairie Finders lui apprend de nouvelles variantes dimensionnelles du jeu d’échecs, et dès lors le garçon devient capable de passer la porte pour trouver un monde autre, un monde futur. Il revient mais ne peut plus avoir accès, au-delà de la librairie, au monde réel : il est devenu le libraire lui-même. Récit circulaire à la Julio Cortazar ou à la Jorge Luis Borges, «  Les Champs d’Abraham » donne d’emblée le ton des « Perséides » : un mélange de science-fiction et de fantastique, la rencontre insidieuse avec l’inquiétant et l’incompréhensible, le tout servi par une multitude de thématiques réalistes – la misère, la maladie, les bassesses humaines, l’altérité, la maladie mentale, les limites de nos perceptions – et avec pour toile de fond notre impuissance à maîtriser fatalité et destin.

La librairie Finders de Toronto servira donc de point de départ et de fil directeur aux neuf nouvelles des « Perséides ». Dans la nouvelle éponyme, au même endroit mais à une autre époque, un autre narrateur, qui lui aussi vivote, mais passionné d’astronomie, achète un télescope et se lie avec la jeune fille qui lui a vendu. Elle connaît très bien le domaine mais n’a elle-même jamais regardé à travers les optiques, car pour elle regarder, c’est être regardé. Paradoxe de Fermi, recherche dans la « gnososphère » de preuves de l’irruption d’autres espèces dans la sphère des pensées humaines, intuition des barrières infranchissables du temps et de l’espace, sauf par la lumière porteuse d’information, donc potentiellement vectrice d’entités étrangères, « Les Perséides », tout en finesse et en mi-teinte, instille avec subtilité inquiétude et terreur. Finesse aussi avec « La ville dans la ville », du côté du fantastique classique, où le narrateur à force d’errance noctambule trouve une autre ville, grise, presque abandonnée, nichée au cœur de Toronto, dans laquelle il se perd définitivement sans jamais retrouver le chemin de son monde. L’épouvante ici aussi est subtile, rehaussée par l’intervention d’un personnage tiers, malfaisant, qui aurait conduit le narrateur par des voies très détournées – avec, ici encore distillée par petites touches, la possibilité de la folie en arrière-fond. Une frontière entre folie et réalité qui est un ressort fréquent du genre, magnifiquement employé dans « L’Observatrice », sur l’étroite crête entre hallucinations et « alien-abduction », qui, abordée de manière atypique à travers le personnages d’une jeune fille passionnée d’astronomie, est avant tout une très belle nouvelle par son caractère fondamentalement poétique et humain. Folie encore, frontière encore avec « Protocoles d’usage » dont le narrateur, suivi en psychiatrie, emmène le lecteur vers un final particulièrement inquiétant.

« Ulysse voit la fenêtre par la porte de sa chambre » est peut-être moins convaincant, mais pas forcément moins angoissant. Avec son hypothèse centrale – une intelligence supérieure ne serait sans doute pas visible ou perceptible comme telle –ce récit s’inscrit dans l’esprit global des « Perséides » qui est celui de l’occulte, non pas au sens mystique, mais plutôt au sens général du terme : tout ce qui nous est caché, tous ce que nous peinons à percevoir, tout ce qui compose des schémas que nous ne savons pas lire. « Le Miroir de Platon  », artefact scientifique ou magique, en reflétant ce dont nous n’avons pas idée, en précisant l’essence de toutes choses, ou tout du moins d’une partie d’entre elles, pourrait bien nous aider à voir ce que nous ne savons pas voir, à découvrir ce qui malgré nos efforts nous échappe. « Divisé par l’infini  », à travers le thème des univers parallèles et de l’exploration des faibles probabilités, permet également de convaincre son personnage principal que le monde est bien plus riche que ce qu’il était jusqu’alors capable de voir.

Si l’on excepte la dernière nouvelle, « Bébé perle  », peu convaincante, très en deçà des autres textes (l’auteur explique qu’il l’a rendue au tout dernier moment – peut-être aurait-il mieux valu ne pas l’intégrer au recueil), « Les Perséides » font plus que tenir leurs promesses. Riche, intelligent, souvent fin, fondamentalement humain, reprenant avec originalité et talent des grandes interrogations non seulement du genre mais aussi de la métaphysique, « Les Perséides » apparaît comme un recueil d’exception. “J’essayais si fort de pincer la corde fondamentale de la science-fiction” , écrit Robert Charles Wilson dans la postface, “qu’elle a fini par vibrer un instant”. On ne saurait trouver meilleure formule. On ajoutera même que ce n’est pas la première fois que Wilson y parvient, et que cette corde fondamentale, entre ses mains, vibre souvent avec une clarté toute particulière.

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Titre : Les Perséides (The Perseids and Other Stories, 2000)
Auteur : Robert Charles Wilson
Traduction de l’anglais (Canada) : Gilles Goullet
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Gallimard (édition originale : Le Bélial’, 2014)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 583
Pages : 375
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : août 2017
ISBN : 9782070461684
Prix : 8,20€


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Hilaire Alrune
13 octobre 2017


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