Il s’agit d’une suite de péripéties pour Valhardi et Jacquot qui découvrent une peuplade recluse dans la jungle cambodgienne et exploitée par quelques hommes avides d’or. Yvan Delporte, avec l’esprit potache qui l’animait, ne fait pas vraiment dans la dentelle. Le nom de la tribu est un jeu de mots en wallon qui en a interloqué plus d’un, sans que d’aucun trouve la clé du mystère qui aurait valu les foudres au scénariste. Les dialogues ne sont pas non plus du meilleur esprit avec des dénominations alors tolérées mais aujourd’hui prohibées. Le fil directeur de l’album n’est pas très clair, traduisant le fait que Yvan Delporte n’était pas scénariste à la base et que “Jean Valhardi et les êtres de la forêt” n’était pas envisagé comme un album à part entière, mais une suite de livraisons hebdomadaires sans contrainte de durée.

“Le château maudit” signe clairement une rupture, signifiant un nouveau départ pour la série. Rien que la couverture, illustrant cette intégrale, s’avère très marquante. De plus, exit Jacquot qui retrouve la place qu’il n’aurait jamais dû quitter, c’est à dire sur les bancs de l’école. En effet, Eddy Paape ne voulait plus de ce personnage qui pour lui n’avait pas sa place dans la vie dangereuse de Valhardi. Il est remplacé par Arsène, un journaliste gaffeur, apportant une touche d’humour avec ses nombreux déboires.
Pourquoi un tel changement ? Fatigué et miné par les reproches incessants de Charles Dupuis, Eddy Paape a quitté la maison d’édition, rejoignant l’équipe de Georges Troisfontaines qui a créé World’s Presse. Dorénavant il travaille pour cette agence qui traite avec Dupuis, car elle fournit une grande partie du contenu du “Journal de Spirou”. L’esprit apaisé, le dessinateur peut enfin œuvrer sereinement, d’autant qu’il lui est adjoint Jean-Michel Charlier, qui peut être qualifié de premier scénariste professionnel. Ce dernier a déjà collaboré avec Hubinon sur les premiers “Buck Danny”. Autant dire que la série “Jean Valhardi” connaît un nouveau départ.
Hélas, la collaboration des deux hommes ne durera que le temps de trois albums, peut-être, pour ne pas dire sûrement, les meilleurs de la série. Si je devais citer les trois meilleurs “Valhardi” ce serait ces trois-là.
Pensés au départ pour une parution en album de 46 pages, ils obéissent à un vrai fil directeur et chaque numéro du “Journal de Spirou” laissait les lecteurs dans l’expectative, dans l’attente de connaître la suite des aventures se finissant souvent sur un clifhanger.

“Le rayon super-gamma” et “La machine à conquérir le monde” forment un diptyque. À l’époque de leur publication en magazine, ces volumes ont connu la censure pour une sortie française. Des armes ont été escamotées comme le montre une planche originale dans le dossier, la fin de “La machine à conquérir le monde” a été modifiée. Fort à propos, le scénario original succède aux dernières planches de l’album, afin de saisir les changements opérés par Jean-Michel Charlier.
Les trois albums scénarisés par ce dernier s’avèrent passionnants, le lecteur ne subit plus une suite de péripéties sans direction vraiment précise. Là, les histoires obéissent à une logique. Pour autant, ils ne recèlent pas moins une part de naïveté, comme dans le déguisement de Valhardi qui ne tromperait personne dans la réalité. Alors que son portrait est placardé partout et que toutes les forces de police et de l’armée sont à sa recherche, juste s’épaissir les sourcils et foncer la couleur de ses cheveux suffisent à pénétrer dans l’endroit le plus gardé du pays.
Qu’importe, le souffle de l’aventure et leur intérêt retiennent l’attention. Il faut aussi s’estimer chanceux, car dès “Le rayon super-gamma” achevé, on peut enchaîner avec sa suite. Rien à voir avec sa première publication hebdomadaire ! Les lecteurs devaient être rongés par l’attente, minés par un suspense sans cesse renouvelé dans le cadre de ces trois albums.

Dans cette troisième intégrale, la transition dans l’évolution du personnage apparaît très bien. “Le château maudit”, une bande dessinée mythique des années 1950, illustre ce changement en profondeur. De même, le dessin d’Eddy Paape ne cesse de s’affirmer, ses encrages sont des modèles du genre avec des ombres portées du meilleur effet. Pourtant, chez Dupuis, il n’a jamais fait taire les critiques, sûrement alimentées par Jijé le créateur du personnage, qui s’était dessaisi de la série avant de la reprendre, éjectant ainsi Eddy Paape. Peut-on parler de jalousie ? Car Eddy Paape a su faire évoluer le personnage pour l’adapter à un nouveau lectorat.
Cette “Intégrale Valhardi 3” constitue peut-être bien le sommet dans la série “Jean Valhardi”. Il compile les trois aventures les plus marquantes du héros, admirablement servies par Eddy Paape au dessin et Jean-Michel Charlier au scénario. Hélas, ce sont les trois seules !

En plus des quatre bandes dessinées au sommaire, l’important dossier met toute la lumière sur les coulisses de la série. À force photos et illustrations, il retrace très bien cette période. D’un intérêt évident, il n’en rend la lecture des BD que plus intéressante.
“L’intégrale Valhardi” allie à merveille informations et plaisir de lecture, ce qui en fait un modèle du genre.
(T3) 1950-1954
Série : Valhardi, l’intégrale
Scénario : Yvan Delporte et Jean-Michel Charlier
Dessin : Eddy Paape
Éditeur : Dupuis
Collection : Patrimoine
Dépôt légal : 9 juin 2017
Pagination : 312 pages couleurs
Format (en cm) : 29,9 x 21,8
ISBN : 978-2-8001-7028-2
Prix public : 35 €
À lire sur la Yozone :
Valhardi, l’intégrale 1 : 1941-1946
Valhardi, l’intégrale 2 : 1946-1950
Illustrations © Dupuis, 2017 pour la présente intégrale