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Nuit des chats Bottés (La)
Frédéric H. Fajardie
La Table Ronde, La Petite Vermillon, roman (France), polar, 228 pages, septembre 2016, 7,10€

Des centaines de nouvelles, des dizaines de romans : on ne présente plus Frédéric Fajardie, personnage entier, parfois jusqu’à l’extrême. Avec « La Nuit des chats bottés », c’est un de ses textes les plus emblématiques que les éditions de la Table Ronde rééditent sous une nouvelle couverture et dans une « Petite Vermillon » entièrement relookée.



Au départ, c’est juste une jeune fille un peu triste au pied d’un HLM. C’est un jeune homme qui a fait des études de physique, est devenu expert en explosifs dans l’armée, puis a été plus ou moins mercenaire. Il s’éprend de la jeune fille, il écoute son discours. La mort de son père qui s’est tué à la tâche, sa vie modeste, parfois misérable. Cette jeune fille sera à la fois sa muse et le symbole de son injustice sociale. Sur le fil de sa vie, symbolisé par la bande magnétique sur lequel il a enregistré la vie de la jeune fille, étape par étape, il va tout faire péter. Son meilleur ami, lui aussi ex-commando et ex-mercenaire, ne demande qu’à l’aider.

« Elle observa le décor. Des caisses de cartouches s’entassaient près d’autres caisses marquées, au pochoir, du mot « explosif », ou, selon sa variante étrangère, « explosives ». Des chapelets de bandes de mitrailleuses traînaient çà et là, près des grenades quadrillées.  »

C’est donc parti pour des explosions en chaîne, suivant un fil conducteur que la police n’est pas près de trouver. Dynamiter le PMU du coin, ce n’est déjà pas banal, mais faire péter les Buttes-Chaumont, le Sacré-Cœur et les usines Renault, cela signe tout de même une certaine ambition. Nos deux aventuriers deviendront passablement populaires, déquilleront du barbouze, trouveront des alliés inattendus, et n’auront pas besoin d’en trop stimuler d’autres pour qu’ils fassent diversion – des autres qui n’hésiteront pas à pousser le bouchon jusqu’au bout. Attaquer le Ministère des finances avec un char AMX 30, qui n’en a jamais rêvé ?

Fajardie s’amuse, ses héros s’amusent, le lecteur, malgré un brin de violence, leur emboîte le pas. Mais ce délire d’artificier idéaliste (difficile de ne pas penser à « Il était une fois la révolution » de Sergio Léone), qui découle d’un constat social on ne peut plus sérieux, devient lui aussi une affaire sérieuse, les anciens militaires finissent par en convenir. Le soupçon de révolte qu’ils ont instillé a fini par dépasser la simple plaisanterie. Un peu comme si, après ça, on n’entendait plus jamais des phrases comme : “il n’y a rien à faire, c’est comme ça depuis toujours, faut accepter son sort” , explique l’un d’eux. “Au début on ne pensait pas à ça, maintenant ça nous dépasse.”

« Tout ça veut dire qu’une vie, ça coûte cher. Ça, ça recule les limites du possible. Après notre histoire, d’autres gens se diront : le monde est fou, vraiment, tout est possible, tout peut arriver. »

Si Fajardie mentionne Clifford Simak au début de son récit, ce n’est sans doute pas seulement parce que ce roman a été écrit dans les années où, en France, cet auteur était encore beaucoup lu, mais parce que ce qui caractérise avant tout Simak, bien plus que les thématiques science-fictionnesques abordées d’un bout à l’autre de sa carrière, c’est une profonde humanité. Et si, beaucoup plus loin, Fajardie mentionne Malaparte, c’est parce que cet autre auteur à la personnalité complexe, un moment attiré par le fascisme, a fini par combattre dans les rangs révolutionnaires.

Humanité et révolte, tels sont donc les deux moteurs de toute cette histoire. Farce tragique et fable révolutionnaire, « La nuit des chats bottés » est l’expression du ressentiment trouble, et sans doute éternel, de ceux qui, le plus souvent à raison, se sentent lésés. Le ressentiment d’une humanité en laquelle croit encore Frédéric Fajardie, avec des conceptions comme l’amour et l’honneur qui semblent, peu à peu, avoir disparu. Un petit goût de Robin des bois et de conte de fées ragaillardi à l’explosif – on trouve aussi au chapitre sept, tout à fait digne d’être mentionné et particulièrement inattendu, un joli conte de fées réaliste qui mérite le détour et qui est comme une autre fable enchâssée dans le roman, la dynamite en moins. Sur à peine plus de deux cents pages, en une succession de mouvements rapides, Frédéric Fajardie, d’un bout à l’autre de cette odyssée de dynamiteurs surréalistes, oscille entre la jubilation revancharde et le manifeste contre un monde qui ne tourne pas tout à fait rond.

On devrait être dans le roman noir, on n’y est pas vraiment. Si le constat social est sans appel, ce roman qui selon les règles du genre devrait mal finir, contre toute attente, ne se termine pas dans un bain de sang. Flics et barbouzes échouent, la bande d’amis s’en sort sous d’autres cieux. On le devine : il y a dans «  La Nuit des chats bottés » un soupçon d’idéal et de simplicité que l’on ne pourrait sans doute plus faire passer de nos jours. Fable de revanche sociale des années soixante-dix, conte de fées revu à la nitroglycérine, polar-spaghetti décomplexé, «  La Nuit des chats bottés » a le goût particulier des rêves enfuis.


Titre : La Nuit des chats bottés (1993)
Auteur : Frédéric H. Fajardie
Couverture : Aline Zalko / Cheeri
Éditeur : La Table Ronde (édition originale : La Table Ronde, 1993)
Collection : La Petite Vermillon
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 5
Pages : 202
Format (en cm) : 10,7 x 17,8
Dépôt légal : septembre 2016
ISBN : 9782710380863
Prix : 7,10€



Hilaire Alrune
7 novembre 2016


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