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Légendes Abyssales
Thomas Riquet (dir.)
Mythologica, anthologie (France), anthologie, 200 pages, février 2016, 15€

Les profondeurs marines recèlent des mystères, de folles espérances de trésors engloutis... et la cruelle réalité de créatures parfois peu ragoutantes et pas forcément amicales.
Cette anthologie, partenaire du Salon Fantastique 2016, explore une large gamme de visions de ces abysses et de ce qui y vit... ou pourrait y vivre. L’excellent côtoie le bizarre et l’ordinaire, comme nous allons le voir.



Sous la magnifique couverture de Mathieu Coudray et après l’érudite préface de Christophe Thill (de Malpertuis), l’anthologie s’ouvre sur “Je t’appartiens” de Céline Guillaume. Un jeune paysan mal dans sa vie et sa peau va se jeter à la mer, lorsque une créature marine lui révèle qu’en fait c’est qu’il est le prince de sous la mer. Sans être mauvaise, la nouvelle n’a rien d’original ni dans le fond ni dans la forme et s’oublie rapidement.

Avec “Un radeau sur le Styx”, Régis Goddyn (« Le sang des 7 rois », à l’Atalante) joue dans une autre cour, dans la veine de son étrange nouvelle parue dans « Bardes et Sirènes » : dans une cité-bulle, un père raconte un conte fantastico-initiatique à son enfant, le temps que maman rentre. Récit enchâssé, plutôt étrange, sur la nature de leur monde sous-marin, le choc des cultures, l’amour, le voyage initiatique. Le propos est quasi biblique dans sa forme, avec des échelles de temps improbables, et une notion du sacrifice salvateur bien martelée. Pas déplaisant du tout, mais étrange.

Barbara Cordier, avec ses “naufragés du Calypso”, signe un texte de pur fantastique, avec une plongée dans une fosse marine d’où personne n’est remonté. La psychologie des personnages est poussée, avec une héroïne à la recherche de son père disparu, et la découverte là-dessous est assez bien trouvée et malgré l’horreur, non dénuée de poésie.

Bénédicte Taffin (qui vient de sortir « L’héritier de Clamoria ») nous propose une vision moins sombre des profondeurs. Dans “L’étreinte de la médulaire”, un poivrot, ouvrier en profondeur, fait le récit d’un événement étrange qui a glacé les os d’un vieux routard comme lui. Le ton bourru est bien maitrisé, en contraste avec la poésie qui là encore se cache derrière la brutalité des faits.

Une robe couleur d’océan” a reçu le prix Imaginales de la nouvelle. Estelle Faye nous rejoue, du moins le croit-on, « La petite sirène », mais à l’envers : un marin, tombé par-dessus bord aux mains des sirènes, a droit à un vœu. Il se réveille sur la plage, devenu fille, muette, dans l’espoir de séduire ce prince dont il est éperdument amoureux. Tout à l’air presque simple, mais entre les pressions politiques et quelques mystérieux secrets, cela tournera au drame. Proprement magnifique, touchant, l’introduction de l’homosexualité dynamite le conte et pourtant jamais l’histoire ne sombre dans le sordide, et rayonne jusqu’à la dernière ligne.

Notre Règne” d’Anthony Boulanger, invité d’honneur du Salon Fantastique, nous place dans la tête d’un grand poulpe, qui prend conscience du monde, du temps, de l’évolution. C’est magnifiquement écrit et immersif.

Avec “Délivrance”, Jean-Luc Marcastel signe un petit texte cruel et sans prétentions sur une rencontre entre un homme en plein chagrin d’amour et une sirène, ça finira mal.

J’ai eu beaucoup de mal avec “Selanka”, de Patrick McSpare, une histoire de jeune fille internée qui serait la réincarnation d’une divinité maléfique ayant conduit à la chute d’Ys l’engloutie. Une construction chargée, des références celtiques à foison. Peut-être n’étais-je pas dans le bon état d’esprit, mais j’ai fini la lecture en diagonale sans y prendre goût.

Et ce n’est pas “le Whi N’Gho Waa” de John Ethan Py (deux romans chez L’Homme sans Nom, « Chesstomb » et « Le miroir de Peter ») qui corrigera le tir. Mal écrite, souffrant en sus d’une relecture très approximative, cette histoire de Wendigo et de dieu maléfique indien n’a rien à voir avec les Abysses. De la pure horreur américaine avec de grosses ficelles de best-seller de supermarché, l’affaire locale prenant des dimensions planétaires, avec menace d’Apocalypse et tout, dont l’auteur ne se fatigue même pas à donner une fin digne de ce nom.

Il faut toute l’imagination de Fabien Clavel et son “Quitter Charybde” pour remonter en flèche l’intérêt. Une histoire de fuite des abysses, racontée en ping-pong par les personnages au fur et à mesure que nous les croisons. Impeccable sur le fond et la forme.

David Bry nous plonge en plein post-apo avec “Les ruines du monde, la quête de l’Arche”, une bonne anticipation sur fond de réchauffement climatique, teintée de drame personnel et de vengeance des petits face aux puissants. Pas désagréable du tout.

Quelques grammes de chair” de Patrick Eris est un excellent conte des mille et une nuits, mais son raccrochage au thème est un peu léger (le djinn sort des eaux, il pourrait autant sortir du désert).

Les Abysses sont métaphoriques (mais pas que) dans “La Plongée” de Nathalie Dau, qui clôt magnifiquement le recueil, son personnage nageant entre deux eaux, l’autrice se plaisant à noyer le poisson.

Une bonne impression finale, donc. Quelques grains de sable ne dégoûtent pas de ces fruits de mer, dont une bonne moitié sont plus que savoureux.


Titre : Légendes Abyssales
Direction de l’anthologie : Thomas Riquet
Auteurs et nouvelles :
- Céline Guillaume : Je t’appartiens
- Régis Goddyn : Un radeau sur le Styx
- Barbara Cordier : Les naufragés du Calypso
- Benedict Taffin : L’étreinte de la médulaire
- Estelle Faye : Une robe couleur d’océan
- Anthony Boulanger : Notre règne
- Jean-Luc Marcastel : Délivrance
- Patrick Mc Spare : Selanka
- Sébastien Péguin / John Ethan Py : Le Whi N’Gho Waa
- Fabien Clavel : Quitter Charybde
- David Bry : Les ruines du monde, la quête de l’Arche
- Patrick Eris : Quelques grammes de chair
- Nathalie Dau : La plongée
Couverture : Mathieu Coudray
Éditeur : Mythologica
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 200
Format (en cm) : 23,5 x 17 x 2
Dépôt légal : février 2016
ISBN :
Prix : 15 €



Nicolas Soffray
19 septembre 2016


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