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Dracula cha cha cha
Kim Newman
Le Livre de Poche, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique / steampunk, 729 pages, juin 2016, 8,90€

Nous sommes en 1958. Depuis le mariage de Dracula avec la reine Victoria (voir « Anno Dracula ») en 1886, sa destitution et 1897 et sa perte de tout pouvoir en Allemagne après la défaite du Kaiser (voir « Le Baron rouge sang »), les choses ont bien changé. Vivant dans une retraite discrète près de Rome, Dracula amorce son retour sur la scène politique internationale. Pour ce faire, un joli coup médiatique : l’annonce de ses fiançailles avec la princesse Asa Vajda ne manque pas d’attirer l’attention. Les journalistes, les stars, les chefs d’état, tout ce qui compte, tout ce qui veut compter, tout ce qui croit compter se précipite à Rome. Les choses, on s’en doute, ne se dérouleront pas exactement comme prévu.



Initialement publié sous le titre « Le Jugement des larmes » (Judgment of tears, 1998) chez J’ai Lu en 2000, repris en 2015 chez Bragelonne sous le titre original (et préféré par l’auteur) de « Dracula cha cha cha  », ce roman vient donc clôturer une trilogie ouverte sur une tonalité noire, sanglante, crépusculaire. Mais, en s’appuyant cette fois-ci sur un univers plus cinématographique que littéraire, plus théâtral que fondamentalement historique, l’univers mis en place par Kim Newman bascule dans l’opéra, la bouffonnerie, et très ouvertement le série « B », sinon le « Z ».

Que l’on ne se rassure pas trop vite pour autant : dans cette Italie où les vampires ne sont pas aussi ouvertement tolérés que dans d’autres pays d’Europe, le sang ne manque pas de couler à flots, dans un sens comme dans l’autre. Si les vampires saignent leurs familiers consentants, ils ne sont pas pour autant à la fête. En effet, un personnage de série Z, le Bourreau Écarlate – il Boia Scarlatto – sorte d’Hercule Bouffon, y massacre et décapite, en explosions de violence, la fine fleur des vampires, à savoir ces Ainés que l’on considérait comme quasiment invincibles.

C’est sur ce fond de mystère que l’on suit les aventures et investigations de la journaliste vampire Kate Reed, venue couvrir le mariage de Dracula, et qui, un instant soupçonnée, voit dans cette affaire l’occasion d’un reportage de tout premier plan. Autre personnage clef du roman, que connaissent déjà bien les lecteurs de Kim Newman, Charles Beauregard, à présent âgé d’une centaine d’années, à l’agonie, et refusant jusqu’à son dernier souffle d’être vampirisé à son tour.

Un mystère policier, mais aussi un cadre historique puisque l’on est sur fond de luttes d’influence et de guerre froide et que l’on voit s’agiter des agents soviétiques, pas tous absolument humains, et un certain agent secret britannique du nom de Bond – Hicham Bond. On a donc dans « Dracula cha cha cha  » une alternance de scènes d’allure classique, par exemple les dialogues entre un Beauregard mourant et ses amies vampires et de parodies parfois bienvenues comme cette scène où un Bond, lui aussi légèrement vampire, batifole dans un hôtel de luxe avec une vampire plus âgée que lui de plusieurs générations qui s’est glissée sous sa porte sous forme de brouillard en abandonnant derrière elle vêtements et boucles d’oreilles de luxe. Un univers composite, donc, où l’on trouve de tout, y compris un Arthur C Clarke ayant publié dans le Time Magazine un article suggérant que les vampires sont les candidats idéaux pour la conquête spatiale.

Si la trilogie « Anno Dracula  » accompagne on le voit, l’évolution historique, elle en fait de même pour les métamorphoses de la fiction. Il était normal que le premier volume, dont l’intrigue se déroule, fasse appel au vampire en tant que référence essentiellement littéraire. Avec « Dracula cha cha cha  », qui se déroule en 1959, la donne a changé : le personnage existe encore en tant que fiction littéraire, mais la bascule a eu lieu : il est devenu essentiellement cinématographique. D’où le changement de paradigme, tant au niveau des références, qui font dans leur majorité appel aux longs métrages, qu’au niveau de l’approche globale de l’intrigue. Des scènes très visuelles, mais aussi un aspect plus bouffon, plus théâtral : s’il est toujours effrayant, le vampire devient aussi une figure galvaudée, pas toujours très sérieuse, souvent déclinée par des artistes de bas étage

Des artistes de bas étage : ce roman devait, inévitablement, s’en trouver contaminé. Car, des défauts, le roman en a quelques-uns. L’écriture est parfois peu soignée, et certaines phrases explicatives en fin de paragraphe sont elles aussi si « décalées », si appuyées, que l’on a, à certains moments, l’impression de lire un ouvrage pour enfants. Bien des allusions sont si grossières qu’elles heurtent véritablement à la lecture, et bien des références sont amenées avec un manque de finesse hélas criant. De surcroit, ces références sont en quantité telle qu’elles ne viennent pas nourrir l’histoire mais bien plutôt la parasiter – à tel point que l’on a l’impression que l’histoire en elle-même, peu développée, n’est plus rien d’autre qu’un prétexte, un semblant de liant à ce gruau d’œuvres et de personnages historiques ou de fiction tous azimuts, sans réel souci d’homogénéité et de cohérence. Orson Wells, Errol Flynn, le général de Gaulle, Herbert West, la Castafiore, la famille Addams, Edgar Poe et Dino de Laurentiis côte à côte, ou encore « John Huston, Cagliostro, Elvis Presley, Samuel Beckett..  » c’est ce que l’on appelle très exactement du fourre-tout et du grand n’importe-quoi. Et Kim Newman de continuer à accumuler mécaniquement et sans âme les personnages, en s’autoparodiant jusqu’à l’absurde, comme cette page deux-cent-quatre-vingt-sept qui n’est rien d’autre qu’une longue litanie de noms propres.

On voit très bien, dans « Dracula cha cha cha », l’usure d’un système qui, s’il est plaisant, commence à tourner à vide, à la manière d’un certain cinéma populaire américain autoréférentiel qui finit par devenir incapable de faire autre chose que se citer lui-même, sans plus se donner la peine de composer un semblant d’histoire. Dracula usé par les variantes, les déclinaisons, les réécritures, les parodies, les « resucées » pourrait-on dire au risque du jeu de mots – un mythe exploité jusqu’à l’anémie, la cachexie, l’exsangue. C’est sans doute ce que l’auteur a fini par comprendre : dans ce roman qui arrive au bout d’une thématique usée jusqu’à la corde, il fallait en finir. Tuer Dracula. Que la figure fondatrice meure enfin, meure d’une vraie mort pour, cette fois-ci, ne plus jamais revenir.

Le monstre est mort, mais – heureusement ou hélas – il a laissé derrière lui plus d’un héritier. Après d’intéressantes « Annotations » consacrées aux sources d’inspiration, majoritairement cinématographiques (et aussi, hélas, parfois postérieures à 1968), un roman d’un peu moins de deux cents pages, « Anno Dracula 1968, l’ère du Verseau », – sans Dracula mais toujours avec Kate Reed – propose au lecteur un nouveau tour de piste dans l’univers vampirique, un peu moins de dix ans après la mort du monstre des Carpates. Si la source de ce « bonus » n’est mentionnée nulle part dans le volume, il s’agit de la traduction d’une novella absente de l’édition originale chez Avon Books, qui a fait son apparition sous le titre « Aquarius  » dans l’édition Titan Books (2012). Dans ce nouvel opus, on retrouve, en pire, les défauts de « Dracula cha cha cha » : des références toutes les quelques lignes, amenées n’importe comment, avec un manque de finesse qui consterne, et un parti-pris – assez peu compréhensible – de transformation des noms réels en noms proches, comme si l’auteur cherchait à fabriquer des devinettes simplistes : James B. Graham pour James Graham Ballard, Timothy Lear pour Leary, etc. Là encore, des fantaisies chronologiques trop criantes – par exemple, placer en 1968 le navire « Riverdream » de George R. R. Martin, qui n’écrira un tel roman qu’en 1983 – prêtent à discussion, comme si à l’époque il n’y avait pas eu, déjà, suffisamment de références pour nourrir une telle novella. On est donc là devant un récit amusant, mais qui ne va guère, dans son principe, au-delà du simple divertissement de potache.

Un gros roman en cinq parties, un chapitre d’annotations, un second roman, des remerciements : le contenu de ce « Dracula cha cha cha  » aurait pu et dû être mis en valeur par une table des matières qui fait inexplicablement défaut. Mais ne terminons pas sur un note négative : ce gros volume, malgré ses limites, reste un honnête divertissement, qui prouve une fois de plus qu’à chaque fois que le rideau se referme, qu’à chaque fois que l’on croit en avoir fini avec les vampires, c’est en fait un nouvel acte qui se prépare.

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Titre : Dracula cha cha cha (Judgment of tears, 1998)
Série : Anno Dracula (Anno Dracula ), tome III
Auteur : Kim Newman
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Thierry Arson (Dracula, cha cha cha) Leslie Danant-Jeandel (Bonus)
Couverture : Noémie Chevalier
Éditeur : Livre de Poche (édition originale : J’ai Lu, 2000) et Bragelonne, 2015 ) (pour la version accompagnée de « Anno Dracula 1968)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 34213
Pages : 729
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : juin 2016
ISBN : 9782253133070
Prix : 8,90 €


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Hilaire Alrune
23 août 2016


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