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Miroir de Peter (Le)
John Ethan Py
Les Éditions de l’Homme sans Nom, fantastique, 317 pages, juin 2016, 19,90€

Un bilan très positif pour « Le Miroir de Peter » qui, sous une couverture à la fois sobre et sombre de Simon Goinard, et avec un format bien calibré de trois cents pages vient s’inscrire à la fois dans la lignée mastertonienne et dans le thriller classique, où l’horreur ancienne trouve son équivalent, et sa juste continuation, dans les pires manipulations contemporaines.



Satiajit Wilcox, psychiatre de son état, est contacté par un de ses confrères pour effectuer la psychanalyse d’un patient à la fois renommé et difficile : George Mothershield, célèbre auteur de romans d’épouvante américain, qui aurait déjà mis en échec plus d’un thérapeute. Pour Wilcox, impossible de refuser : le défi est de taille, le personnage est une star, les émoluments sont inespérés. Il accepte donc d’abandonner son travail habituel et de séjourner dans la demeure de Mothershield, durant une longue période au cours de laquelle l’écrivain sera son seul et unique patient.

Un personnage central qui apparaît comme un avatar de Stephen King, un roman qui prend très vite des allures mastertoniennes : les dés apparaissent jetés d’emblée. Quant aux clés évidentes du roman, comme cet enfant qui joue devant un miroir avec des miniatures dans un couloir, difficile de ne pas penser au fameux hôtel Overlook de Kubrick, à ses symétries imparfaites, à ses topographies impossibles. Ces clefs, le chroniqueur les notera à mesure, pour, au final, pester légèrement contre l’auteur qui lui coupera l’herbe sous le pied en les révélant à peu près toutes dans sa postface. Toutes ? Pas absolument, car l’auteur est un peu plus malin que cela.

Nous avons donc affaire à un jeune psychiatre sans doute compétent mais qui apparaît parfois un peu naïf au regard de sa profession, et qui passe une sorte de pacte avec un écrivain diabolique : à lui l’argent, mais pour cela il doit abandonner sa jeune femme, enceinte, qui reste auprès de ses beaux-parents. Histoire de couple très américaine qui signe là aussi les influences d’outre-Atlantique. Mothershield, très vite, apparaît ambivalent, tour à tout affable, mystérieux, inquiétant, et parfaitement manipulateur. L’épouse de Mothershield, mélange de femme bienveillante préoccupée par la santé de son mari et de femme fatale, apparaît elle aussi passablement ambivalente. Et son aspect femme fatale n’est pas sans rappeler cette obsession pour le cinéma qui est celle de son époux, mais également celle de Satiajit Wilcox. Les deux hommes ont là un terrain de références communes, et un vrai sujet de discussions. Et lorsqu’ils se demandent quel est l’élément le plus terrifiant de l’univers cinématographique, c’est le monolithe de Stanley Kubrick qui émerge. Un parallélépipède, qui, comme dupliqué par un miroir, prendra toute son importance dans la révélation finale. Et où l’on comprendra que John Ethan Py est parvenu à jouer sur les deux tableaux : celui de récit d’épouvante et celui de la théorie du complot.

Obsession pour le cinéma – Kubrick, mais aussi Greenaway, Lynch et bien d’autres – et même plus encore. Mothershield, convaincu du poids sans équivalent des images, est persuadé que l’industrie hollywoodienne s’acharne depuis des années à trouver une image, une seule, qui suffirait à bouleverser, à manipuler et asservir les foules. Théorie de complot ? Une semi-démence au sujet de laquelle il reste mystérieux, et dont Satiajit Wilcox ne parvient pas à démêler les fils. Mais il arrive aussi que les fous ou les prophètes aient raison.

La psychanalyse, le cinéma, les images – le miroir n’est jamais très loin. Là se trouve la part plus classique, plus littéraire, du roman. Car Mothershield, dans son grenier, se livre à d’étranges séances. Devant un antique miroir il hurle, souffre, vomit une bile épaisse, d’une noirceur insensée. Scènes à la David Cronenberg. Est-ce dans ce miroir qu’il trouve l’inspiration de ces romans d’horreur ? Il se pourrait, en effet, que ce miroir soit bien plus qu’une simple surface. Qu’il permette de passer non pas seulement dans un autre côté trouble et maléfique, comme le découvre bientôt le psychiatre, mais de glisser dans toute une série d’“autre-côtés”, les univers, littéraires et cinématographiques, dans lesquels il figure. L’occasion d’un chapitre particulièrement réussi, lorsque Wilcox passe dans le monde d’Alice de Lewis Carroll, un chapitre effrayant où le trouble s’efface devant la terreur, à la manière de ces séquences les plus réussies du cinéma d’épouvante où, sans effets spéciaux, le simple jeu des ambiances suscite un malaise sans cesse croissant.

Un des bons points du « Miroir de Peter » est le progrès constaté depuis le dernier roman de l’auteur. Dans notre chronique de « Chesstomb », nous avions souligné les limites d’une écriture souvent insuffisante, négligée, parfois puérile au sens étymologique du terme. D’autres que nous (voir sur Welcome to Nebalia) avaient formulé le même reproche en termes plus durs. Si l’on retrouve dans « Le Miroir de Peter » bien des phrases pas forcément grammaticalement incorrectes mais manquant de fluidité (et ceci sans aller plus loin que la quatrième de couverture « Le romancier se montre insaisissable et paranoïaque, hanté par une sombre machination que monterait Hollywood par ses films et visant à créer une image aux reflets dévastateurs »), les progrès – travail personnel de l’auteur ou meilleur direction éditoriale, nous l’ignorons – sont évidents. On trouve encore dans « Le Miroir de Peter » des phrases qui heurtent à la lecture et des paragraphes dont on se dit qu’ils méritaient d’être élagués ou même réécrits, mais cette amélioration globale de la lisibilité méritait d’être soulignée.

Le seul point véritablement faible du récit, peut-être, est l’une des révélations, de type familial, dans la mesure où elle nous semble un peu trop brutalement amenée, et trop facilement acceptée par les protagonistes. Elle n’est pas absolument essentielle à l’intrigue, et la rapidité avec laquelle elle survient, se trouve intégrée par les personnages, puis au récit, ne convainc pas tout à fait. On comprend sa place dans un roman dont la psychanalyse apparaît comme l’un des ressorts essentiels, et l’on reconnaît les origines classiques, antiques, d’une telle révélation, mais force est d’avouer que depuis une réplique prétendument « culte » tirée de la filmographie d’un certain George Lucas, de telles révélations peuvent prêter à se fendre d’un sourire pas forcément charitable.

Plus surprenante, très joliment amenée, et véritablement inattendue est la surprise finale, non pas une « chute » au sens classique du terme, mais une astuce brillante, une « trouvaille » que même les plus perspicaces n’auront sans doute pas vue venir. Et si l’on peut dans un premier temps considérer qu’elle n’est pas absolument essentielle au roman, on pourra, en revenant sur bien des épisodes, comme dans certains métrages de M. Night Shyamalan, comprendre à quel point elle permet d’en reconsidérer des passages avec un œil différent. Théorie du complot : on se souvient de celle qui veut que la conquête de la lune soit une simple légende, que ses images aient été tournés en studio par Kubrick. En miroir : une image non pas trafiquée mais reflet d’un réel soigneusement conçu pour frapper, pour manipuler, pour asservir. Une fin qui permet au lecteur de refermer le volume en reconnaissant l’astuce de l’auteur qui, sur ce point-là, l’aura sans qu’il s’en rende compte mené en bateau pendant plus de trois cents pages.


Titre : Le Miroir de Peter
Auteur : John Ethan Py
Couverture : Simon Goinard
Éditeur : Les Éditions de l’Homme sans Nom
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 317
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : juin 2016
ISBN : 9782918541240
Prix : 19,90€



John Ethan Py sur la Yozone :
- « Chesstomb »


Hilaire Alrune
11 août 2016


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