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Belgique imaginaire (La)
Marc Bailly (anthologiste)
Academia, récits fantastiques, 288 pages, janvier 2016, 25€

Après les flamboyantes années Marabout, durant lesquelles, avec Jean Ray et consorts, la Belgique se taillait dans la littérature fantastique une place à part, ce pays semblait avoir peu à peu perdu de sa singularité. S’il n’est plus au tout premier plan, c’est sans doute aussi parce que le fantastique classique, littéraire, le fantastique de nouvelles et d’ambiance a été balayé, en Belgique comme ailleurs, par la montée en force de littératures plus faciles, plus superficielles, comme la fantasy industrielle à rallonge ou les gros pavés fantastiques mode américaine déclinés à la chaîne qui méritent bien souvent aussi, hélas, le qualificatif de littérature industrielle. Mais ces déferlantes, si elles occultent les veines plus classiques, n’empêchent pas les auteurs de nouvelles de continuer à travailler, même si leur production reste au moins partiellement dans l’ombre. Premier volume d’une anthologie prévue en trois tomes, « La Belgique imaginaire » offre donc un premier tour d’horizon de ce qui se fait en Belgique dans ce domaine.



Ce sont donc tout juste vingt nouvelles que nous propose Marc Bailly, en un volume qui brasse styles, genres, et tonalités, pour donner un premier aperçu du dynamisme toujours présent des auteurs belges dans le domaine de l’imaginaire. Une anthologie dont, pour montrer le caractère éclectique, aussi bien en thématiques qu’en qualité, nous commencerons par commenter six nouvelles.

Une énième variante sur la « Bibliothèque de Babel  » de Jorge Luis Borges avec “Bibliopolis ” de Frank Roger, mais aussi une variante originale. L’auteur, en effet, imagine une librairie contenant non seulement tous les ouvrages déjà publiés, mais aussi tous ceux qui seront publiés un jour. Une déambulation dans un labyrinthe de livres, à la recherche, pour le narrateur, d’une ébauche de classification et de la trace que le futur conservera de son passé à lui. Une nouvelle plaisante, mais hélas rendue doublement imparfaite, à la fois par l’entame qui parle d’une librairie « qui aurait en stock tout ce qui n’a jamais été publié » (pour : « tout ce qui a jamais été publié » ; la nuance est de taille) et par une dernière phrase (« Je n’aurais pas l’âme en paix tant que je n’avais pas dévoilé la fin mystérieuse de ma vie. ») dont la grammaire douteuse gâche singulièrement l’effet.

Noirceur maîtrisée et chute brillante pour “Billet à gratter”, qui fustige à juste titre les impôts volontaires auxquels se soumettent les joueurs trop crédules. Un texte qui n’est pas sans faire songer lui aussi à Jorge Luis Borges, qui, avec sa fameuse « Loterie à Babylone », imaginait un monde entièrement régi par le hasard et où l’on pourrait perdre à la loterie bien plus que le prix du billet… sauf qu’avec Christophe Kauffman, les occurrences néfastes sont plus subtilement générées par le joueur lui-même.

Alternances ”, de Michel Rozenberg, laisse passablement perplexe. Malgré une belle entame, la nouvelle part rapidement à vau-l’eau, à la fois sur le plan du récit, qui ne convainc jamais, et de l’écriture, qui au fil des pages ne fait que décliner. Des erreurs lexicales (compteur pour conteur, granularité pour granulosité), des coquilles (« Mieux vaut qu’il ne l’apprenne jamais » au singulier au lieu du pluriel), mais pas seulement. On notera, par exemple, une conception assez curieuse de l’anatomie « Oncle Bob était un géant de deux mètres dix qui s’étiraient au-dessus d’une masse de cent vingt kilos » (être humain ou horreur lovecraftienne ?) ou « sa veine temporale qui pulsait » (un cliché alors que non, les veines ne pulsent pas), jusqu’à un « il se tapit sous la chaise » (un adulte, même de petite taille, peut difficilement se tapir sous une chaise ) et même « accroupi sous une planche de bois et 4 pieds en métal » (sous les pieds également ? ne serait-ce pas entre ? Et l’auteur ignore-t-il que le bois faisant partie de la définition de la planche, une « planche de bois » n’est autre que pléonastique ?) Dès lors, presque tout est à l’avenant, entre phrases mal bâties ou incompréhensibles (« Une rampe de bois construire en bordure d’étage longeait le couloir ») et défauts grossiers de cohérence interne (ainsi l’inspecteur est-il incapable d’appeler son collègue à la rescousse parce que la liste de contacts de son téléphone a disparu, mais quelques pages plus loin c’est parce que ledit collègue ne répond pas !) On voit à ces exemples que ce texte souffrant de défauts incompréhensibles semble n’avoir jamais été relu, y compris par l’auteur lui-même. “Alternances ” montre les limites des anthologies conçues, comme l’explique Marc Bailly, en demandant aux auteurs « un texte inédit ». Un texte qui n’aurait assurément pas dû être publié en l’état, et qui démontre qu’un travail d’anthologiste doit être aussi un travail éditorial.

Un bien meilleur texte avec“ Hiii ! J’ai épousé une fée ” de Mythic, dont le titre suivi au pied de la lettre résume l’existence d’un individu voué à de singuliers déboires. Une nouvelle maîtrisée, à la noirceur et à l’humour soigneusement dosés, sur un format court parfaitement adapté. Seule ombre au tableau, et comme pour “Bibliopolis ” de Frank Roger, une dernière phrase peu fluide et grammaticalement douteuse qui vient gâcher le plaisir de la chute.

Science-fiction réussie pour “La Clef du bonheur” d’Adriana Lorusso, une nouvelle dont tous les ingrédients sont savamment dosés, même si les lecteurs chevronnés peuvent à juste titre en anticiper non pas exactement la fin, mais plutôt le type de dénouement. Un récit que l’on pourra comparer à d’autres œuvres de thématiques voisines, comme, dans le recueil « Manhattan à l’envers », “Le Chaton éternel” de Peter F. Hamilton.

Une nouvelle intéressante avec “Brouillage ” de Christo Dasto (orthographié Datso en quatrième de couverture). L’auteur présente un texte basé sur la célèbre entame de William Gibson : « Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors-service. » Une nouvelle qui, à partir d’un événement explicable, se mue peu à peu en aventure onirique, à la frontière du cauchemar, pour se diriger vers une fin très classique. De la part d’un auteur n’ayant publié à ce jour que quelques nouvelles, un écriture qui se situe bien au-dessus de celles d’autres auteurs de cette anthologie ayant déjà plusieurs volumes à leur actif.

Que trouve-t-on d’autre dans cette anthologie ? Un petit texte surréaliste et très oubliable de Nicolas Ancion, un récit mysticopoétique de Serge Delsemme, une fable orientale d’Ambre Dubois, une variante sur le récit classique des trois souhaits par Pierre Efratas, une nouvelle de Jean-Baptiste Baronian dont l’ambiance n’est pas sans rappeler celle des textes et de l’époque des éditions Marabout, un amusant pastiche folklorique de Christophe Collins, une intéressante déclinaison sur le thème, décidément inusable, du tableau maudit par Frédéric Lyvins (dont la prose, encore perfectible, manque grandement de liant, avec notamment une répétition mécanique des « il » qui heurte à la lecture), et du fantastique égyptien encore pour Gudule, comme dans une précédente anthologie de Marc Bailly, « Légendes d’Afrique »

Dans cette « Belgique de l’imaginaire  », la science-fiction n’est pas en reste. Outre “La clef du bonheur ” citée plus haut, on trouvera “ Paysage de grève avec chute d’un homme ” de Dominic Warfa (qui fleure bon l’âge d’or du genre, mais les dix premières pages consacrées aux goûts personnels et aux considérations sociétales du personnage, à l’évidence autobiographiques, sont bien peu utiles et déséquilibrent considérablement le récit), mais aussi avec “Une vie nouvelle” , un récit particulièrement humain de Véronique Biefnot, le très noir “Comment gagner plus qu’un réparateur de dômes” d’Oury Wesoly, et enfin “Le Cercueil ” de Marc Van Buggenhout, qui ne donne pas non plus une image particulièrement flatteuse du genre humain.

On le voit : cette anthologie apparaît particulièrement hétérogène, et peut-être, sans préjuger du contenu des deux tomes suivants, aurait-il été intéressant de procéder à des regroupements thématiques. Un souci de cohérence que soulève à lui seul “Ginette de Gembloux” de Nadine Monfils. On connaît depuis longtemps la verve et la truculence de l’auteur, mais on ne peut pas dire que ce texte raconte quelque chose… et surtout, quel rapport avec les genres abordés ? Si cette anthologie a pour ambition de balayer largement les littératures de l’imaginaire, ces pages ne semblent vraiment pas y avoir leur place. Autre reproche, nous l’avons déjà signalé plus haut, des soucis ici et là de relecture. Il n’est pas sûr que les puristes apprécieront de voir mal orthographiés les noms des « Grands Anciens » : ainsi peut-on trouver Franck Herbert (Frank), Ray Bradburry (Bradbury), Graham Masterson (Masterton), ou encore Philippe K. Dick (Philip).

Mais ne jetons pas la pierre : ce sont là des défauts mineurs, et l’on peut espérer qu’un travail éditorial plus soutenu sera consenti sur les deux volumes à venir. En attendant, ce premier tome de « La Belgique imaginaire  » montre que les littératures de genre, loin s’en faut, ne sont pas mortes ni même mourantes dans la patrie de Michel de Ghelderode, Thomas Owen et autres Jean Ray. Un état de choses que l’on avait peut-être tendance à oublier, ce qui souligne l’intérêt d’une telle anthologie, qui, là encore, n’est pas sans rappeler la glorieuse période des années Marabout, avec notamment « La Belgique fantastique », dirigée en 1975 par Jean-Baptiste Baronian. Passé, présent : le petit essai deBenoit Peteers « La Belgique imaginée », en fin de volume, présente en quelques pages un intéressant panorama de l’imaginaire aussi bien passé que contemporain en Belgique.


Titre : La Belgique imaginaire
Anthologiste : Marc Bailly
Couverture : Thinkstock / Jalka Studio
Éditeur : Academia
Collection :
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 288
Format (en cm) : 15,5 x 23
Dépôt légal : janvier 2016
ISBN : 978206102584
Prix : 25 €


Une autre anthologie d’imaginaire belge sur la Yozone :

- « La Belgique de l’étrange », récits rassemblés par Eric Lysoe

Une autre anthologie de Marc Bailly sur la Yozone :

- « Légendes d’Afrique »


Hilaire Alrune
17 mai 2016


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