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Dimension Sidération
Noe Gaillard (dir.)
Black coat press, Rivière Blanche, Fusée, n°43, science-fiction, 221 pages, janvier 2016, 17€

« Vous avez, un jour, été complètement stupéfié par quelque chose auquel vous n’aviez absolument pas pensé, que rien, jusque-là, ne vous avait préparé à admettre, à envisager…. » Telle est la feuille de route de cette anthologie « Dimension sidération », qui se veut aussi un hommage à « La Sidération », recueil de Serge Lehman paru aux éditions Encrage en 1996.



Le recueil s’ouvre avec deux récits de SF à l’ancienne, proches du space opera et de la découverte planétaire, avec “Âge sans visage” de Bernard Henninger et “Les Tubercules de Trivia” de Jean-François Thomas. Deux nouvelles auxquelles on pourra trouver quelques longueurs, la première dépassant les quarante pages, et qui sentent bon la vieille science-fiction de l’âge d’or.

« Et la volonté du Seigneur s’exprima si fortement chez les deux protagonistes que Béatrice ne se rappela même plus à quel moment le Père Laurent avait arraché la grille du confessionnal pour l’étreindre avec passion. »

On reste sur terre avec “Les Bienheureux des Pieux”. Cette fable truculente et rabelaisienne de Pierre Bameul met en scène les conséquences inattendues des dérives d’un simple prêtre, qui transforme sans le vouloir sa petite église en lieu de culte national et sa bourgade en attraction touristique, lieu de pèlerinage d’un genre assez inattendu. C’est par un bien étrange hiatus que “Les Bienheureux des Pieux” se raccroche à la thématique titre du volume – mais on sait que les voies divines sont impénétrables et que l’on n’est jamais à l’abri d’un véritable miracle.

« La bête est en rage. Je remarque tout de même qu’elle porte une chaînette en or autour du cou à laquelle pend une grosse médaille de Saint Christophe. »

Humour encore et beaucoup d’originalité avec le mémorable “Singulières présences” de Jan Thirion, ambiance polar surnaturel avec cette incompréhensible invasion de créatures terrestres et son singulier Centre de Régional de Détection d’Anomalies voué au recensement de phénomènes inexplicables. Un récit tendu, nerveux, distrayant, dont la chute donne un moment l’impression de changer de registre, jusqu’à ce qu’en relisant les dialogues l’on comprenne qu’elle a été soigneusement amenée.

« Oui, le vieux libraire était mort en refaisant une fois de plus ses calculs, un doigt posé sur le numéro 43 de la rue 42 »

Avec “Hommages !”, Pierre-Noël Druillard livre un texte basé sur une idée intéressante, avec un développement bien mené, mais l’hétérogénéité du style vient desservir le propos : ici une phrase de facture classique, plus loin des répétitions ou des formules purement verbales telles que « des tas d’autres que je ne connaissais pas. » Et l’on regrette les deux dernières lignes, incontestables fautes de goût, inutiles de surcroît (si le lecteur n’a pas, dès les premiers paragraphes, saisi de qui il s’agit, c’est qu’il n’a jamais entendu parler de cet auteur et il n’en comprendra pas plus en prenant connaissance de son prénom.) Une nouvelle pourtant estimable, même si ce genre d’hommage à un célèbre auteur argentin a déjà été maintes fois rendu, et une intéressante réécriture d’une de ses plus fameuses nouvelles.

« L’auteur, entravé dans sa propre fiction, cherche à s’évader d’une prison de papier. »

Hommage encore, à Ray Bradbury et à quelques autres, avec “Strange Fruits” de Michel Lamart. Un texte en apparence décousu et qui souffre de quelques longueurs, mais auquel on reconnaîtra après coup un propos cohérent, servi par le riche sens de l’image qui est propre à l’auteur.

« Et quant à moi, j’avais peut-être surestimé ma résistance à ce fiel écarlate qui m’embuait le regard et dissociait le décor en une série de fragments éblouissants, parmi lesquels le regard fixe de la gorgone, ses lèvres poisseuses de liqueur et le bouquet de fins serpents dressés sur sa tête, dont certains faisaient mine de se tendre vers moi, pour mieux me cracher leur venin en pleine face. »

« Lunik Plus », le « Majestic Bar » : on reconnaît à ces simples mots le mélange de futurisme et de fin-de-siècle propre à Alain Dartevelle, monde interlope et souvent nocturne décliné dans d’autres univers (on pense à la Collégiale Exelsior, au Globo Emporium et au Majestic de « Dans la ville infinie », au Ferrovia de « La Chasse au spectre », au Geomantic et au Panoptic de« Narconews » ). C’est dans ce texte resserré en moins de dix pages, dans un établissement hybride entre le bouge à la Northwest Smith de Catherine Moore et le casino galactique façon « Deathworld » de Harry Harrison que le narrateur, flambeur bas de gamme, fauché et à la dérive, perdu entre ridicule et grandeur, entre emphase et bagout, se met en tête de se refaire au jeu en y affrontant une gorgone extra-terrestre. Un très beau texte qui joue sur la stupeur au sens à la fois mental et physique et apparaît comme une variante et une continuation de grands classiques tels que “La Vénus d’Ile” de Prosper Mérimée ou « Le Masque » de Robert Chambers.

« Dès que la liaison fut rétablie, la Terre put découvrir en direct l’incroyable spectacle qui s’offrait à ceux que désignait désormais l’expression « nos héroïques explorateurs. »

Retour à la science-fiction façon âge d’or et un peu naïve avec “L’Etoile d’Ailleurs” de Christian Léourier. Sous des allures de première rencontre avec des entités extra-terrestres qui ne se montrent jamais, et sur un thème plus que classique, le positionnement à proximité de la terre d’une étoile artificielle qui est aussi une porte sur un éden entr’aperçu vers lequel transitent les candidats au départ.

« Pendant quelques siècles, on évita soigneusement cette statue qu’aucune rouille ne semblait pouvoir ronger. »

Trente pages pour “Sideratio” de Bruno Lecigne, un texte atypique et qui tient parfaitement la distance. Sous des allures de conte classique, avec nain, princesse et arme maudite, l’auteur s’intéresse de très près au thème. De la sidération au sens propre considérée au niveau de l’arme aspirant le fer, y compris celui qui est charrié par le sang de ses victimes, jusqu’à celle, à la fois physique et mentale, d’un des protagonistes du récit, qui perdurera depuis les temps immémoriaux jusqu’à Rome et au-delà, Bruno Lecigne propose une nouvelle riche et parfaitement équilibrée qui s’impose comme une des meilleures du volume.

« À vingt ans, je ne croyais pas aux fantômes. »

“À l’ouest de Karaburuni, il y a encore des Vaisseaux Fantômes”, écrit François Rahier. Ces fantômes, ce sont ceux du communisme qui s’effondre, ceux des dieux anciens et oubliés, ceux des individus qui sont morts ou vont mourir – sans compter un très classique vaisseau errant, qui semble brûler pour l’éternité. La sidération, c’est celle des habitants des pays communistes devant un effondrement qu’ils n’avaient pas vu venir, celle, comme un signe précurseur, des Mig d’origine soviétiques bloqués sur les tarmacs sans jamais voler, fers de lance en déréliction, figement de métal, et enfin celle des dieux anciens que l’on a cru statufiés dans les ruines et les ronces mais qui pourraient bien revenir.

« La sidération coïncide avec la fin de cette relation amoureuse qui fut longue à s’avouer vaincue. »

Sous un titre à rallonge passablement rétro qui, comme celui du récit de François Rahier, donne l’impression d’avoir été pensé il y a quarante ans, quand de tels intitulés pouvaient passer pour novateurs, Daniel Walther propose, avec “Puis la Sidération pénétra en lui comme l’aiguille d’une seringue de Pravaz”, d’accompagner le déclin d’un astronome frappé par la maladie. Long monologue théâtral, excessif, déclamatoire, opératique, au cours duquel le vieil homme, fasciné par une singularité zoologique – le pompile qui vainc la mygale en la paralysant pour pondre en elle ses œufs, et en laquelle il trouve une image de sa propre condition – met en scène non pas une sidération, non pas une pétrification, mais la bascule progressive d’une intelligence ouverte au cosmos dans les tréfonds du crépuscule mental. Ainsi le Dieu-Sphex ou dieu-pompile étend-il, avec l’inéluctable fatalité de l’attaque cérébrale et du déclin neurologique, son ombre très noire sur le face-à-face tragique entre l’éternité des étoiles et la fugacité de l’existence humaine.

On pourra regretter qu’en définitive peu d’auteurs se soient fondamentalement intéressés à la thématique. La plupart des récits mettent en scène l’étonnement, parfois la révélation au sens récit policier du terme, mais on reste bien loin de la véritable « sidération » telle qu’on l’attendait. De fait, on se demande si certains auteurs n’ont pas glissé là des textes qu’ils avaient sous la main et au sein desquels quelque surprise offrait prétexte à les raccrocher au thème – mais quel texte de fantastique ou de science-fiction n’est pas conçu pour étonner ? Autre reproche mineur : la plupart des textes (y compris l’amusant “Les Bienheureux des Pieux”) auraient gagné à être un peu dégraissés et resserrés : plus denses, ils n’en auraient été que meilleurs.

Anthologie éclectique « Dimension sidération » a le mérite d’offrir une vaste palette de genres. Du récit contemporain, de l’anticipation classique, du conte traditionnel revisité, du fantastique : un recueil intéressant, onze nouvelles pour tous les goûts d’où émergent tout particulièrement, et en toute subjectivité, “Sideratio” de Bruno Lecigne et “Siderator” d’Alain Dartevelle.


Titre : Dimension sidération
Anthologiste : Noé Gaillard
Auteurs : Pierre Bameul, Alain Dartevelle, Pierre-Noël Druillard, Bernard Henninger, Michel Lamart, Bruno Lecigne, Christian Léourier, François Rahier, Jan Thirion, Jean-François Thomas et Daniel Walther
Couverture : Jean-Pierre Normand
Collection : Rivière blanche Fusée
Éditeur : Black Coat Press
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 43
Pages : 221
Format (en cm) : x x
Dépôt légal : janvier 2016
ISBN : 978112274904
Prix : 17 €



Les anthologies Rivière blanche sur la Yozone :
- « Dimension Espagne »
- « Dimension Latino »
- « Dimension Brian Stableford »
- « Dimension de capes et d’esprit »


Hilaire Alrune
3 mars 2016


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