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Intrus (Les)
Lauren Oliver
Le Livre de Poche, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique, 380 pages, octobre 2015, 19€

Après la série des « Délirium », trois romans destinés à la jeunesse et traitant d’un monde utopique où les libertés sont quelque peu malmenées, Lauren Oliver écrit avec « Les Intrus » son premier roman pour adultes. Changement de public, donc, mais aussi changement de thématique puisqu’il ne s’agit plus de décrire un futur possible mais de s’inscrire cette fois dans le présent. Le présent des vivants et des morts, mais aussi leurs passés respectifs.



« Quelle langue parlons-nous ? Celle des craquements et des murmures, des grognements et des frémissements. Mais vous le savez. Vous nous avez entendus. Simplement, vous n’avez pas su interpréter ces sons. »

Richard Walker vient de mourir. Dans la vaste demeure familiale, où il vivait seul depuis des lustres, viennent se retrouver les membres de sa famille : son épouse, Caroline, alcoolique dans le déni, sa fille Minna, vingt-sept ans, aux tendances nymphomanes, Amy, la fille de cette dernière, et enfin Trenton, jeune frère de Minna, adolescent perpétuellement en état de mal-être, ruminant sans cesse des envies suicidaires et obsédé par la notion d’intégrité. Mais ils ne sont pas seuls. En effet, dans cette maison où les personnages n’ont pas mis les pieds depuis des lustres, Alice et Sandra, deux fantômes, murmurent et racontent.

« La mémoire a la consistance de la boue. Elle monte, vous submerge. Elle vous aspire vers le bas et vous fige sur place. »

Alice, Sandra, Caroline, Trenton, Minna : dans cette demeure, chacun se souvient, chacun plonge dans le passé. Suivant une technique de narration alternée – chorale pour les fantômes, narrateur omniscient pour les vivants – le passé remonte, se mêle au présent, et peu à peu l’éclaire. Lauren Oliver a assimilé la théorie voulant que pour être crédible, le fantastique doit venir s’immiscer dans un monde réaliste. Elle accumule à loisir les détails matériels, prosaïques, les histoires de couple et de famille, parfois de manière très terre à terre. Les spectres n’échappent pas à la règle : si l’on ne sait pas grand-chose de leur vie fantomatique, on en apprend beaucoup sur leur passé, comme s’ils étaient de simples personnages réels. Bons moments mais aussi bassesses et petitesses, médiocrités et déceptions, aspirations et désespoirs, ces fantômes apparaissent très humains.

« Elle était peut-être assise dans la baignoire, ou peut-être pas assise. Difficile à dire, tant les contours de sa silhouette manquaient de précision. Elle n’était qu’une ombre sur le carreau, modulée par le soleil. »

Les détails s’accumulent, les mystères aussi. Qui sont donc ces deux fantômes, dont l’un a écrit « L’héliotrope de jais », ouvrage étonnant, qui a fait les délices des enfants de la maison et qu’un universitaire a attribué, à tort, à un auteur du dix-neuvième siècle ? Pourquoi sont-ils présents dans cette maison, comment sont-ils morts, pourquoi ont-ils accédé à cette existence posthume ? Et quel est donc ce troisième fantôme dont les deux spectres féminins perçoivent la présence ? Elles redoutaient voir apparaître celui de Walker, mais les fausses pistes s’accumulent, aussi bien dans le réel que dans le monde de l’au-delà.

« Elle était là, et en même temps elle était absente. Une chose, une présence indiscutable. Il savait que c’était une fille, ou une femme, à sa façon de se mouvoir dans le soleil, en l’observant à l’abri d’une chevelure d’ombre. »

On pourra, au sujet des « Intrus », ressentir une légère pointe de regret. Si le roman suit en effet le topos scindé en autant de parties que la maison possède de pièces (ainsi se succèdent « La Cuisine », « Le Bureau », « La Cave », « La Serre », « Les Chambres », « Le Grenier », « La Salle de bains », « Le Salon », le « Couloir », « La Salle à manger », et, pour finir et boucler la boucle, une onzième partie, « la Cuisine », qui fait écho à la première), la demeure, qui devrait être un personnage à part entière, est insuffisamment décrite, ne possède pas assez de présence pour être réellement sentie ou visualisée par le lecteur.

La primeur est accordée aux personnages et à leur vécu, point sur lequel Lauren Oliver apparaît plus à l’aise. En effet, l’accumulation dans les premiers chapitres de détails prosaïques donne corps et poids aux personnages, fantômes compris. Si le caractère particulièrement terre à terre de ces détails et le recours à de nombreux clichés psychologiques positionnent le premier tiers du roman à l’exact opposé de la finesse d’un Henry James, les éléments qui se dessinent en filigrane finissent par orienter le récit, dans sa trame tout du moins, vers une ghost story classique. Un roman estimable, donc, et l’on notera pour finir que si l’on excepte le jeune Trenton et quelques personnages d’arrière-plan, le fait que les protagonistes soient exclusivement féminins semble destiner ce récit à un lectorat lui aussi majoritairement féminin.


Titre : Les Intrus (Rooms, 2014)
Auteur : Lauren Oliver
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Alice Delarbre
Couverture : Studio LGF
Éditeur : Le Livre de Poche
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 380
Format (en cm) : 13,5 x 21,5 x 3,2
Dépôt légal : octobre 2015
ISBN : 9782253191193
Prix : 19 €



Lauren Oliver sur la Yozone :
- « Delirum » tome 1
- « Delirum » tome 2


Hilaire Alrune
3 janvier 2016


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