Photographier l’horreur pour mieux la combattre.
Soutenu par le National Child Labor Commitee, Owen Brady traque l’innommable, l’horreur qui s’impose à des gosses de six à quatorze ans. Le relayer par la photographie semble être le bon moyen pour faire ployer les politiques et les pousser enfin à agir contre les intérêts qui consument, blessent, martyrisent l’enfance.
Au travers de ce personnage, Malès dépasse le cadre des enfants travailleurs pour traiter de la difficulté de se construire lorsqu’on a vécu une enfance de maltraitance. Car Owen Brady, derrière son combat, cache une blessure qui l’empêche de stabiliser sa vie. Sur les routes américaines, dans sa traque de portraits d’enfants enchaînés trop tôt à d’épuisants travaux d’usine, toute l’ambiguïté de sa personnalité s’exprime dans ses excès alcooliques, sexuels et une violence effroyable qu’il ne peut contenir. Chaque moment d’injustice sociale qui le heurte se transforme en une scène d’une incroyable violence, dont il est le plus virulent des acteurs. L’amour lui semble impossible, celui d’une femme, celui d’une sœur, tant ses cauchemars intimes le guident vers de chaotiques extrémités.
Marc Malès cherche à démontrer que « sa grande capacité d’empathie pour ces enfants prenait naissance autant dans ses déchirures que dans ses démons intérieurs. Cet homme devait absolument être regardé comme un tout, bons et mauvais côtés confondus. »
Sur les routes d’une Amérique rude et rugueuse
Et il y arrive remarquablement avec ce récit rude, poignant, rugueux, réalisé dans un format assez inhabituel, à l’italienne, pour donner un effet « cinémascope » à ce long road-moovie qui ne peut trouver de but qu’en un retour vers l’enfance.
Une enfance heureuse, simple, apaisée et emplie de partages (symbolique des dernières pages). Dans son style longiligne si singulier, Malès profite de ce format pour étirer, agrandir ses cases, livrant de spectaculaires paysages d’une Amérique en pleine industrialisation. La mise en couleurs directe selon la méthode de « l’huile à l’eau » utilise des variations qui renvoient à une dominante sépia. L’album s’ancre dans la terre, celle des vastes territoires visités, des ambiances sombres des bordels et des bars, des tons salis d’un gris-bleu pour les villes qui s’industrialisent...
“Mettez des mots sur votre colère” est un livre réussi, à la lecture prenante, sur la somme de souffrance qu’il faut dépasser pour commencer à être heureux. Et pouvoir peut-être, enfin, s’envoler vers un ciel plus lumineux !
C’est en tout cas du grand Marc Malès, en auteur complet, qui joue une partition fort accomplie, mêlant l’idée de reportage et de fiction dans un album qui marquera ses lecteurs.
Un de mes grands coups de cœur de cette année 2015.
Mettez des mots sur votre colère
Scénario, dessin et couleurs : Marc Malès
Éditeur : Glénat
Collection : Hors Collection
Format : 29,5 x 24 cm
Pagination : 144 pages couleur
Dépôt légal : 18 mars 2015
Numéro ISBN : 9782723494335
Prix public : 22,50 €
À lire sur la Yozone :
Mille Visages (T3) L’échoppe du Démon
Illustrations © Marc Malès et Éditions Glénat (2015)