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U4 : Koridwen
Yves Grevet
Nathan & Syros, Grand format, roman (France), thriller, 300 pages, aout 2015, 16,90€

Un virus fulgurant, le U4, décime les populations d’Europe. Seuls les ados semblent y échapper. Le 1er novembre, 10 jours après le début de l’épidémie, l’électricité vacille. Dans la ferme parentale en Bretagne, Koridwen hésite à mettre fin à ses jours. Mais trop de choses pèsent encore sur ses épaules : les bêtes, sa copine Cindy, son cousin Max, un peu attardé et placé en institut. Mais surtout, il y a la lettre de sa grand-mère, Mamm-gozh, une authentique sorcière bretonne qui lui révèle son destin : sauver le monde. Tout cela résonne étrangement avec cet appel de Khronos, le maître du jeu en Ligne Warriors of Time, qui appelle les joueurs, dont Kori, à se réunir à Paris le 24 décembre pour, comme dans le jeu, remonter le temps.
Malgré tout son pragmatisme, Kori comemnce à y croire. D’abord pour l’espoir, ensuite parce que les signe, issus d’une comptine bretonne, se multiplient.



« U4 » est une histoire écrite à 4 : Yves Grevet, Florence Hinckel, Carole Trébor et Vincent Villeminot s’empare chacun d’un personnage pour nous raconter la catastrophe par ses yeux, avec ses mots. Les personnages se croisent, s’écartent. À nous de choisir dans quel ordre lire leurs récits.
J’ai commencé par « Jules », de Carole Trébor. Je vais essayer de parler de « Koridwen » sans trop y faire référence.

Ado un peu révoltée, Koridwen a les pieds sur terre. La catastrophe ne l’a pas totalement découragée, et le message posthume de sa grand-mère la pousse à avancer. Avec courage, elle va récupérer son cousin, n’hésite pas à tenir tête aux bandes de pillards et décide de prendre la route vers Paris, au volant du tracteur familial. Elle refuse d’être une proie, même si elle a peur. Mais elle refuse également d’être un prédateur. C’est ainsi qu’elle accueille en chemin Anna, une jeune fille de son âge, puis Marek, qui se révèle un trafiquant d’armes mais ne la laisse pas indifférente. Grâce à eux, elle apprend que l’armée, et ses soldats en tenue bactériologique, est en train de reprendre le contrôle des grandes villes, mettant les ados au pas, les puçant et les parquant comme des animaux. Anna s’est sauvée, Marek évite de se faire prendre. A Paris, la situation est pire, question d’échelle. On parle de bientôt bombarder les nids de « résistance », comme cela s’est fait à Lyon.

Poussée par les signes, rencontrant de vieux amis de sa grand-mère qui lui renouvellent sa confiance, Koridwen s’installe à Gentilly, en banlieue. Elle rencontre deux frères, Youss et Ibra, des amis de Marek, qui font la loi dans le quartier. En se rendant dans un camp de l’armée pour trouver de quoi soigner la morsure de chien qu’a subi Max, elle s’oppose à Attila, un chef de gang qui jure de se venger.
Au fil de ses incursions dans Paris, Koridwen ne démord pas de sa ligne de conduite : protéger les faible,s et non pas les abandonner, et ne pas se laisser faire par les forts. Quitte à les abattre. Son premier mort la secoue, modérément : très vite, dans ce monde impitoyable, elle sait qu’elle n’hésitera pas s’il fallait à nouveau prendre la vie d’un jeune de son âge qui voudrait abuser des plus faibles. Lorsqu’elle rencontre Jules, en sauvant la petite Alicia d’un fou qui voulait l’immoler, elle est amère, mais accepte finalement son invitation à rencontrer sa communauté, car Max a besoin de soin. C’est un nouveau pincement pour elle lorsque le grand garçon la délaisse pour Alicia, mais aussi un soulagement, une responsabilité en moins, un sentiment qu’elle elle s’en veut aussitôt d’éprouver.

Très vite cependant, elle réalise que la confiance qu’elle place en certaines personnes est dangereuse : deux ados sont tués pour l’avoir prévenue de la visite prochaine d’un gang, une autre la trahit en renseignant l’armée à son sujet. Jules débarque avec Stéphane et Yannis, et après quelques moments un peu tedus, les quatre ados s’unissent et Stéphane, grâce à des documents volés à l’armée, fait éclater la vérité sur Warriors of Time. C’est la déconvenue générale.
Lorsque les choses deviennent invivables à Gentilly, elle rejoint la communauté de Jules, à quelques jours du rendez-vous de Khronos, où elle apprend pourquoi les ados sont immunisés au virus U4. Les signes se sont tous révélés, elle ne doute pas que quelque chose l’attend, elle, probablement elle seule, le 24 décembre au sous-sol de la tour de l’horloge, qu’elle va retourner dans le passé, avec ces informations vitales, pour l’empêcher cet avenir de se réaliser...

Je vous laisse bien entendu découvrir la fin, ce qui se passe le 24 décembre à minuit pour Koridwen. Certains l’auront deviné dès le début, à un détail que l’auteur ne cache pas.

« Koridwen » est prenant, plus que je ne m’y attendais après la lecture de « Jules ». Les informations sur l’état du pays arrivent à un autre rythme, et une fois quittée sa Bretagne, la jeune sorcière découvre parfois brutalement, par les témoignages des jeunes rencontrés, que la folie s’est emparée du pays. Folie des ados livrés à eux-mêmes, et n’hésitant pas à piller, battre, asservir, mais aussi folie des adultes, dont la réponse paraît souvent disproportionnée, le traitement qu’ils infligent aux jeunes outrepassant largement les droits de l’homme. Ce n’est plus qu’une épidémie, c’est une guerre civile qui fait rage dans le pays. Entre l’armée et les bandes armées (pour leur défense ou d’autres raisons), pas de place pour les innocents. Indépendante (son côté breton ?) et déterminée à suivre la voie tracée par sa grand-mère, Kori refuse de se laisser faire. Mais ce choix la place d’office dans le camp des opposants, des traqués.
A la violence qui se déchaine autour d’elle, Kori n’hésite pas à répondre, par les armes ou les atouts magiques légués par son aïeule, manuel de potions au premier rang. S’il contient certains remèdes dont elle fait bon usage, et un répulsif animal qui lui sera bien utile, elle mijotera quelques poisons quand le besoin s’en fera sentir, comme pour sauver Marek.

La maturité de Koridwen s’exprime aussi dans son corps. Dans ce monde apocalyptique, et à l’adolescence, la question de la sexualité se pose. Si la situation relègue les hormones à l’arrière-plan, le beau Marek ne laisse pas Kori indifférente. Et, passez-moi l’expression, elle n’a que lui sous la main pour prendre sa virginité avant de mourir. Ce ne sera hélas qu’une histoire sans lendemain, purement physique, comme elle s’en rendra compte avant d’éprouver une véritable attirance sentimentale pour Yannis. Mais de le quitter lui aussi, avec tristesse mais là encore pragmatisme, à la veille de ce voyage dans le passé qui l’attend, elle en est persuadée.

Comparée à Jules, le garçon-pas-si-mollasson, Koridwen a une plus forte personnalité. Si elle a peur, elle ne peut que constater, signe après signe, que sa grand-mère et les forces magiques de la Bretagne veillent sur elle. Elle ne sombre pas dans le mysticisme, mais chaque signe vient renforcer sa résolution, comme chaque mort, ami ou ennemi, la pousse à avancer. Yves Grevet fait très bien sentir toute l’ambivalence de ce double état de fait chez son héroïne, et toute la force de caractère dont elle fait preuve à chaque instant. Les larmes sont nombreuses, les remords aussi, mais jamais elle ne baisse les bras, elle se l’interdit, pour sa grand-mère, par respect pour ceux qui sont morts pour elle, et pour ceux qu’elle pourra protéger si elle accomplit sa mission.

Après la lecture de deux des quatre romans de la série, on ressent bien les trous de l’un bouchés par l’autre. Néanmoins, comme « Jules », « Koridwen » souffre parfois de sa narration au cordeau, l’héroïne pouvant faire l’impasse sur de longs moments d’accalmie ou balayer certaines scènes d’un regard superficiel et peu intéressé. C’est un effet voulu en partie, pour la complémentarité des ouvrages, et également du fait de l’univers, de l’immédiateté de la narration, du tri instantané entre le vital et le superflu fait par les jeunes narrateurs. Mais cela tranche parfois douloureusement avec les moments d’introspection de la jeune fille.

Un bon roman, dans lequel Yves Grevet met encore une fois une jeune fille au premier plan, comme dans « Celle qui sentait venir l’orage ». En termes de courage, de détermination et de choix, ses héroïnes n’ont rien à envier aux garçons de « Méto » et « Nox ».


Titre : Koridwen
Série : U4
Auteur : Yves Grevet
Couverture :
Éditeur : coédition Nathan et Syros
Site Internet : page roman Nathan & Syros (site éditeur)
Pages : 300
Format (en cm) : 22,5 x 15,5 x 2,5
Dépôt légal : aout 2015
ISBN : 9782748516586
Prix : 16,90 € / 12,99 € en numérique


U4 c’est « Jules », de Carole Trébor ; « Koridwen » d’Yves Grevet, « Stéphane » de Vincent Villeminot et « Yannis » de Florence Hinckel. Et un point de vue final sur la série.


Nicolas Soffray
28 août 2015


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