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Ours est un Ecrivain comme les Autres (L’)
William Kotzwinkle
Cambourakis, roman (USA), critique sociale du monde littéraire, 301 pages, octobre 2014, 22€

Arthur Bramhall, professeur d’université, écrit un mauvais bouquin, qui disparait dans l’incendie de sa maison. Il en écrit un second, bien meilleur, dans un chalet. Échaudé, il laisse son tapuscrit dans une mallette, sous un arbre, tandis qu’il va s’acheter de quoi fêter son futur succès. Passe un ours, familier des hommes, qui trouve le texte, trouve le début intéressant, et l’emporte.
Ce sera sa porte d’entrée dans le monde des hommes, où il sait qu’il dénichera profusion de miel et autres confitures dont il est friand. Il s’invente un nom d’homme -Dan Flakes, comme les corn flakes-, enfile quelques vêtements et part pour New York.
Arthur, terrassé par cette seconde perte, déprime. Son voisin, un vieux bûcheron, entreprend de lui faire faire le tour du coin pour collecter de savoureuses anecdotes à même de lui fournir matière à un nouveau roman.
Tandis qu’au contact des hommes, agent, attachée de presse, producteur, présentateurs, l’ours s’humanise, Arthur régresse vers l’animal.



Publié en 1996, mais traduit seulement l’an dernier en français, « L’Ours est un Écrivain comme les Autres » est proprement hilarant, et se lit d’une traite. Critique acerbe du monde de l’édition américaine (je ne me risquerai pas à élargir au-delà, quoique), où le livre est un produit comme un autre, qu’un seul a lu, que tous encensent, où on balade l’auteur de plateaux en salons dans une campagne presque électorale pour occuper le terrain de la communication.

Mais voilà, quand votre écrivain est un ours (mais que vous ne vous en êtes pas rendu compte, lui préférant de flatteuses comparaisons à Hemingway), qui parle peu, et pas de son livre, seulement par monosyllabes où l’interprétation est de mise, on ne peut que crier au génie devant tant de retenue, de refus de jouer bêtement le jeu de la promotion, de garder son talent et son être intact.
Et pour nous lecteurs, qui partageons les pensées de l’ours, sa réflexion toujours concentrée sur le présent, et lisons les interprétations philosophiques de ses interlocuteurs, c’est le sourire assuré. Quand l’agent chargée de négocier avec lui les droits d’adaptation de son roman lui parle acteurs, il répond « pop-corn ». Lui proposant mieux qu’un acteur à la mode, il réplique « pop-corn et beurre ». Prenant cela pour une négociation âpre sur sa part des bénéfices, elle propose un intéressement. « De la glace tous les jours », répond-il. Tergiversant sur les caprices quotidiens des stars, elle temporise. Et lui de rajouter : « Avec des éclats de noisettes ». Elle cède, un peu. Quand, apparemment satisfait, il déclare « Je pourrais tremper mon biscuit », son interlocutrice y voit, bien évidemment, un comportement typiquement masculin rapportant toute domination au sexe.
Pire que des dialogues de sourds, c’est cette capacité très humaine, très américaine et très « communicante » à faire ses propres réponses, à projeter sur l’Autre beaucoup de soi. L’ours n’est qu’un miroir.
Mais si sa parole est rare et précieuse, c’est son comportement qui déchaîne le plus de réaction. Parfois incapable de brider son instinct, il se laisse aller à des gestes, eh bien, d’ours, comme se gratter le dos sur le sol ou filer truffe au vent chercher de la nourriture (un sujet important, comme l’extrait rapporté ci-dessus l’a laissé entendre). C’est alors, là encore, une validation quasi unanime des hommes, qui voient en lui un être qui a su se libérer des carcans de la société pour retrouver l’état de nature. Une aspiration de nombreux contemporains, et des personnages de ce roman, coincés dans les cadres étroits des apparences nécessaires au théâtre du quotidien, cadres encore plus étroits dans la société du paraître qu’est le bouillonnant monde culturel (ou pseudo-) dans lequel ils gravitent.

Pendant ce temps, après un réjouissant panorama d’anecdotes campagnardes, Arthur se change lentement en ours. Moralement, puis physiquement, au point qu’à la fin, les rôles sont inversés, et c’est lui qu’on traitera d’ours. Encore une fois, chacun voit avec des œillères, ce qu’il veut bien voir.

Des dialogues truculents, les situations farfelues qui en découlent, et finalement beaucoup de choses sur la nature humaine. Il est peut-être plus facile d’être un ours, même à New York. En plus, tout finit bien, pour tout le monde. Enfin, je crois.


Titre : L’Ours est un Écrivain comme les Autres
Auteur : William Kotzwinkle
Traduction de l’anglais (USA) : Nathalie Bru
Couverture : Jean Lecointre
Éditeur : Cambourakis
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 301
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 2,5
Dépôt légal : octobre 2014
ISBN : 9782366241105
Prix : 22 €



Nicolas Soffray
23 septembre 2015


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