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Manuel de Survie à l’Usage des Incapables
Thomas Gunzig
Au Diable Vauvert, roman (Belgique), anticipation hallucinante, 406 pages, juillet 2013, 18€

Futur très proche. Tout est soumis à copyright, y compris le vivant ; on dope le code génétique de sa progéniture avec des gènes animaux ; on ne vit plus que pour consommer, dans une routine métro-boulot-dodo. La population vit dans des clapiers allant de misérables à luxueux, selon le salaire. Tous vivent dans la hantise de la dégringolade sociale, sous le couperet de la baisse de productivité.
Agent de sécurité d’un grand magasin, Jean-Jean est chargé de trouver des preuves à charge pour faire virer une Cap-Verdienne quinquagénaire qui ne bippe pas les articles assez vite. Quiconque écorne le règlement pour que la direction la pousse à la démission ou la licencie pour faute grave.
Rouage d’une machine sociale à broyer les gens, Jean-Jean n’aime pas ce qu’il fait, mais cette fois les événements vont dérailler... Un bête accident dans un mouvement de colère bien compréhensible, et la dame décède sur la moquette.
Mais voilà, ses quatre fils, croisés avec des gènes de loup, sont les terreurs de la cité, et bien décidés à venger leur maman...



Voilà bien maladroitement résumé le fond et le début de ce « Manuel de Survie à l’Usage des Incapables ». Thomas Gunzig signe, derrière une allure de thriller fantastique, un violent pamphlet contre la société actuelle, qui n’est que capitalisme, consommation, chiffres, chiffres, chiffres, toujours plus gros, et où l’humain n’est qu’une variable d’ajustement, voire un handicap. Citant des théoriciens de la grande distribution élevés au rang de prophètes, il nous décrit une société orwellienne d’autant plus terrifiante qu’elle est à un cheveu de la réalité. Car code génétique modifié mis à part (et la première étape n’est pas loin, revisionnez « Bienvenue à Gattaca », d’Andrew Niccol), le décor est le nôtre : des banlieues de petits vieux isolés, qui meurent à petit feu loin des yeux, des cités HLM, cités-dortoirs misérables ou au contraire de grand standing et sécurisées (mais clapiers quand même).

Les gens se partagent en deux camps, les chasseurs et les proies. Les quatre loups (Blanc, Gris, Brun et Noir) viennent de réussir un formidable braquage de fourgon. Marianne, la compagne de Jean-Jean croisée avec un serpent, est un pur produit de la société de consommation, chef d’un projet visant à installer des points cuisson de pain dans les hypers pour doper les ventes grâce à l’odeur, et elle ne vit que pour sa carrière. Elle est perpétuellement présentée en prédateur, jusqu’à trouver plus fort, plus Alpha qu’elle.
Il y en a bien quelques-uns qui surnagent, mais avec peine : Martine, la Cap-Verdienne, fait de la résistance passive. Jacques Chirac, à l’ascension sociale flamboyante, refuse de céder au système, et en sort par la violence physique lorsque la violence morale de son environnement dépasse son seuil de tolérance. Enfin, Blanche, la « conciliatrice » envoyée par les grands patrons pour limiter la casse, est un pendant intéressant, puisqu’elle utilise le système, aussi mauvais soit-elle, pour réduire les tensions. Présentée comme l’ange immaculé de cette histoire, séduisant immédiatement un Jean-Jean menacé de mort, elle est la part active du couple central de cette histoire.

La fratrie loup, dominée par sa part animale, est régie par la loi de la meute. Thomas Gunzig décortique très rapidement les rapports de pouvoir pour nous laisser ensuite le plaisir et la crainte de les voir voler en éclats, sous les forces internes et externes qui la mettent à rude épreuve. Pour ces quatre garçons qui ne connaissaient pas leur mère, sa mort va remettre en question la structure interne de la meute-fratrie, et chaque décision, en les faisant sortir de leur zone de contrôle et de confort, augmente encore le péril.

Nul ne sort indemne ni grandi de cette histoire. L’humour et la tension sont permanents, nous laissant dans un entre-deux inconfortable si on le prenait au sérieux et délectable pour peu qu’on se laisse emporter par cette truculente lecture.

A défaut de changer le monde tel qu’il s’annonce, inéluctable, ce roman provoque de nombreux frissons d’origines diverses, soulevant de nombreux questions sociétales sous le couvert d’une histoire tragi-comique à l’humour noir ravageur.


Titre : Manuel de Survie à l’Usage des Incapables
Auteur : Thomas Gunzig
Couverture : Didier Fontvieille
Éditeur : Au Diable Vauvert
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 406
Format (en cm) : 20 x 13 x 3
Dépôt légal : juillet 2013
ISBN : 9782846264143
Prix : 18 €


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Nicolas Soffray
31 août 2015


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