Jean Doisy est incontournable de cette période en multipliant les casquettes et les idées pour faire vivre le “Journal de Spirou”, publié par Dupuis alors considéré comme un imprimeur.
En 1941, dans le numéro de “Spirou 40/41” apparaît pour la première fois Jean Valhardi, un enquêteur en assurances que Jean Doisy imagine d’une certaine façon, mais que le dessinateur Jijé (Joseph Gillain) voit d’une autre, se l’appropriant suivant les standards de l’époque : grand et blond, et le façonnant aussi à son image. Il est d’ailleurs étonnant de découvrir que les deux hommes ne s’entendaient pas. Jean Doisy n’appréciait guère les libertés prises par Jijé par rapport au scénario. Mais comme il s’agissait surtout d’un littéraire, il n’avait pas la même approche de la bande dessinée, un art alors à ses débuts en Europe.
Le dossier nous permet d’apprendre une multitude de choses sur cette période : comment le rationnement de papier menaçait la parution de “Spirou”, comment Dupuis rivalisait d’ingéniosité pour le publier malgré la censure allemande et son rôle fédérateur et formateur envers la jeunesse, le développement de la maison Dupuis...
Jean Valhardi a tout de suite emporté tous les suffrages, dépassant même dans le cœur des lecteurs le personnage de Spirou, ce qui montre bien la sympathie dégagée par cet homme à la poignée de main franche et dévastatrice. D’ailleurs, son arrivée a clairement permis de gonfler les rangs des A.d.S., car il faisait rêver la jeunesse qui ne souhaitait qu’une chose, devenir son ami, son compagnon d’aventure, comme l’est Jacquot dans la BD.
Il y a beaucoup à dire sur ce dossier qui constitue une véritable mine d’informations, surtout qu’il est richement illustré de documents de l’époque. On y trouve notamment la lettre rédigée par Jean Doisy pour demander la libération de Jijé emprisonné après la guerre, car soupçonné à tort de collaboration.
Cette introduction conséquente à “Valhardi, l’intégrale” est un modèle du genre, elle s’avère passionnante, tout en restant tout du long instructive.
Les premières aventures de Jean Valhardi nous sont présentées fidèles à leur parution initiale dans le Journal de Spirou. Un gros travail a été nécessaire pour le permettre. Notons qu’elles sont censées différer de celles des “Intégrale Jijé 1942-1945” et “1945-1947” qui provenaient d’une première reprise en album où, pour un souci de place, des pages contenant initialement 4 bandes avaient été recomposées en cinq bandes. Cette remarque prend tout son sens lorsque certaines pages affichent une large bande blanche en haut, ce qui n’est aucunement un reproche. La fidélité a un prix que l’on ne peut qu’accepter.
Dans les quatre aventures au sommaire, l’évolution du dessin est notable quant au physique de Jean Valhardi. Son visage se durcit au fil des années, affiche des traits nettement moins poupins qu’à ses débuts. On peut également remarquer que dans une même aventure, il peut y avoir une disparité dans son physique ; en effet, il est arrivé à Jijé de réaliser trois planches par journée, afin d’en avoir d’avance et ainsi d’assurer la publication du “Journal de Spirou” pendant la seconde guerre mondiale. Il lui a aussi été reproché une certaine ressemblance avec Tintin dans l’accoutrement de son héros, portant également des culottes de golf. Chose qui a évolué avec les années.
“Jean Valhardi”, c’est la grande aventure ! Il se passe toujours quelque chose, le personnage a une tendance naturelle à attirer le danger et frôle la mort à plus d’une reprise. Il le doit aussi bien à une part de chance qu’à son physique. Sa poignée de main est légendaire et tous s’en souviennent. Il a le coup de poing facile et dur pour qui le mérite. De plus, il est secondé par un garçon qu’il a protégé de villageois en colère, voyant en lui un incendiaire. Jacquot devient un compagnon inséparable, lui vouant une amitié sans faille. Bien sûr, il ne peut que s’attirer la sympathie des lecteurs, s’identifiant à ce jeune homme de leur âge vivant de grandes choses.
Le succès de Jean Valhardi prônant de vraies valeurs n’est guère étonnant dans le contexte de sa parution. Il y avait besoin de tels personnages forts, toujours prêts à défendre le faible et à s’élever contre les injustices.
Le graphisme a bien sûr pris un coup de vieux, la colorisation que l’on peut imaginer conforme à la parution originale, rappelons-le réalisée sur un papier de faible qualité à cause de la pénurie, fait datée. Si l’on compare aux standards d’aujourd’hui, les planches accusent leur âge. Et alors ?
Le plaisir de lecture est intact, la magie Jean Valhardi fonctionne toujours. Le lecteur s’immerge dans la bande dessinée, voyage aux côtés de Valhardi et Jacquot, vibre à leurs nombreux exploits, tremble devant tous les risques encourus... bref, vit le récit.
Cette “Intégrale Valhardi” est une très bonne idée, elle nous ramène dans un passé où les personnages de BD n’étaient pas de simples figures sur papier, mais jouaient à l’occasion un rôle formateur envers la jeunesse.
La grande aventure a un nom : Jean Valhardi !
Une série à suivre avec attention, d’autant qu’elle a vu défiler plusieurs dessinateurs et scénaristes et que les dossiers y sont d’une grande intelligence.
(T1) 1941-1946
Série : Valhardi
Scénario : Jean Doisy
Dessin : Jijé
Éditeur : Dupuis
Collection : Patrimoine
Dépôt légal : 27 février 2015
Pagination : 264 pages
Format (en cm) : 29,9 x 21,8
ISBN : 978-2-8001-5727-6
Prix public : 35 €
Illustrations © Jijé et Dupuis