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Fossoyeur (Le)
Adam Sternbergh
Denoël, Lunes d’Encre, traduit de l’anglais (États-Unis), Polar/SF, 263 pages, avril 2015, 19,90€

Un éboueur devenu tueur, un monde futur où sont développés les univers virtuels, une ville américaine frappée par des attentats à la bombe sale. Un monde très noir, un contrat de plus. Verdict ci-dessous.



« La quantité d’ordures que vous trouverez sur cette terre excédera largement toutes les bonnes choses que vous y aurez accomplies. »

Un privé désabusé ? Mieux encore : un éboueur désabusé, revenu de tout, devenu assassin par hasard et tueur professionnel par ennui, et qui compte tenu de son métier d’origine se trouve mieux placé que quiconque pour faire disparaître définitivement ses victimes. Un tueur qui dans un futur proche où les riches passent leur vie dans les caissons d’immersion d’univers virtuels, et dans un Manhattan en perdition, qui par endroits en garde les séquelles radioactives d’attentats à la bombe sale, a pour tâche de liquider une jeune fille. Un contrat banal qu’il s’apprête à exécuter sans le moindre état d’âme, jusqu’à ce qu’il se rende compte que sa cible est enceinte. Il ne tue pas les mineurs, c’est la règle. Il cherche donc à résilier son contrat.

« De toute façon, entre les décharges et les cimetières, il n’y a jamais eu qu’une ombre de différence. »

Son commanditaire, on s’en doute, ne l’entend pas de cette oreille. Mais lorsqu’il apprend à son tour que la jeune femme est enceinte, il charge le Fossoyeur non plus de l’occire, mais de la lui rapporter. Persuadé qu’une fois retrouvée la jeune femme sera liquidée d’une manière ou d’une autre, le Fossoyeur, pas tout à fait d’accord, décide au contraire de protéger sa cible. Dès lors, tout se complique. Il se trouve que le commanditaire est un télévangéliste renommé à la fortune colossale, créateurs d’univers virtuels qui ne seraient rien d’autre que ce paradis qu’il promet à ses ouailles, un individu richissime qui a les moyens de contraindre le Fossoyeur à aller jusqu’au bout. Et l’on pourrait penser que, selon un schéma classique, le tueur, en ayant laissé la morale remplacer la logique froide du contrat, a signé sa propre perte. Mais, fort heureusement, Adam Sternbergh refuse de verser dans cette ornière classique. Il n’y a pas de jeune fille éplorée, pas de blanche colombe. Le prédicateur, ses employés, la fille, tous mentent. Tous sont infâmes. Tout sont pourris et vérolés jusqu’à l’âme. On ne sait plus qui tuer et qui laisser vivre.

« Je n’ai aucune raison de lui faire confiance, mais ce qu’il m’a révélé me paraît trop énorme pour n’être qu’un mensonge. »

« Le Fossoyeur » avait beaucoup pour séduire, mais achoppe hélas sur des écueils bien trop visibles pour un lecteur un tant soit peu attentif. À commencer par le fondement même de l’intrigue qui – comme souvent dans ces « blockbusters » cinématographiques qui se prétendent diaboliques mais ne résistent pas une seconde à l’examen – ne tient absolument pas debout : le télévangéliste, à la tête d’un véritable empire financier et qui dispose d’un service de sécurité et de moyens d’investigation sans limites, s’obstine à vouloir faire rechercher sa fille par un vulgaire tueur à gages qui ne dispose d’aucun moyen pour ce faire, et surtout n’a ni talent ( « je ne suis pas doué pour remonter une piste de miettes de pain  », avoue-t-il) ni compétence ni expérience dans ce domaine. Si ledit télévangéliste utilisait le dixième des moyens qu’il emploie pour tout savoir sur le tueur, son passé, ses déplacements et le faire filer en permanence, il retrouverait la fille dès la fin du premier chapitre. Fort malheureusement, cette incohérence de base s’accompagne de facilités regrettables et d’artifices narratifs si peu soignés qu’ils confinent parfois au grotesque : ainsi, par exemple, le coup du briquet du troisième chapitre n’est absolument pas crédible, le fait que la fille revienne chez le tueur et qu’ils fassent tranquillement la fête chez lui comme si de rien n’était (alors qu’ils devraient bien se douter que le télévangéliste fait surveiller ce dernier) est tout juste consternant, le fait qu’une lame de gros cutter ne soit pas repérée par une fouille en règle au prétexte qu’elle est fine est une insulte au bon sens, et la facilité avec laquelle le Fossoyeur parvient à la fin, sous un prétexte bien faible, à s’approcher du prédicateur, puis à s’enfuir, évoque, une fois encore, ces « blockbusters » qui affichent un mépris quasi absolu à la fois de leurs spectateurs et de ce que peut être une véritable histoire.

Si l’ouvrage est sec, dépouillé, concis, si l’auteur est amateur de phrases courtes et va facilement à la ligne, si en effet il parvient à dresser un tableau convainquant de son univers et de ses personnages sans sombrer dans l’écueil du roman-fleuve ou du pavé, il reste tout de même assez loin, dans la sobriété, malgré un ton souvent convaincant, d’une réussite comme avait pu l’être, dans un genre voisin, « Un privé à Babylone » de Richard Brautigan. Ce qui fait que « Le Fossoyeur », ici et là parfaitement efficace, ressemble ailleurs beaucoup plus à un synopsis qu’à un roman.

Mélange de cyberpunk et de thriller, « Le Fossoyeur  » pourrait passer pour l’héritier, très exactement trente ans après, du fameux « Neuromancien » de William Gibson. Moins dense, moins inventif, moins cohérent, il apparaît par moments beaucoup plus, avec ses clichés et ses scènes d’action rituelles, comme la version papier d’un de ces thrillers à effets spéciaux qui fleurissent depuis une ou deux décennies. Que les droits du « Fossoyeur » aient été achetés par l’industrie hollywoodienne n’étonnera donc personne.

On reste donc au final assez réservé sur ce roman qui mêle qualités et travers du genre. Reconnaissons-lui tout de même un boisseau de mérites, à commencer par la brièveté et la concision – moins de trois cents pages – d’une histoire que la plupart des auteurs auraient étirée en un énorme volume. Le personnage de l’éboueur devenu tueur, passablement atypique, justifie le détour, et les univers, aussi bien réel que virtuel, des télévangélistes dépravés, avec leur jeu de références bibliques, y compris dans les noms des protagonistes, mérite la visite. Et l’on trouvera dans « Le Fossoyeur » très exactement ce que promettaient à la fois le titre, l’illustration d’Aurélien Police et la quatrième de couverture : un récit tendu et saignant, une vision sombre et pessimiste du monde, une galerie de personnages dont aucun ne recèle assez de lumière pour racheter son prochain, un futur proche qui fait frémir. Vous avez dit roman noir ? Aucun doute là dessus, « Le Fossoyeur » est un des ces petits noirs âpres et serrés dont on savoure l’amertume.


Titre : Le Fossoyeur (Shovel Ready, 2014)
Auteur : Adam Sternberg
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Florence Dolisi
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Denoël
Collection : Lunes d’Encre
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 263
Format (en cm) : 13,7 x 20,4
Dépôt légal : avril 2015
ISBN : 9782207124130
Prix : 19,90 €


Lunes d’Encre sur la Yozone :

- Le Paradoxe de Fermi
- « Morwenna » de Jo Walton
- « Le Dernier Loup-Garou » de Glen Duncan
- « Trois Oboles pour Charon » par Frank Ferric
- « Sandman slim » par Richard Kadrey
- « Retour sur l’horizon » (anthologie)
- « A travers temps » de Robert Charles Wilson
- « Les Derniers jours du paradis » de de Robert Charles Wilson


Hilaire Alrune
5 juin 2015


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