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Comme un conte
Graham Joyce
Bragelonne, L’Autre, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), fantastique, 442 pages, février 2015, 20€

À l’âge de quinze ans, la jeune Tara Martin disparaît lors d’une promenade dans le bois d’Outwood. Recherche, battues, enquête ne mènent à rien. En l’absence de suspect, les soupçons convergent rapidement vers son petit ami, Ritchie, qui se retrouve dans une bien mauvaise passe. Il s’est disputé avec elle quelques jours auparavant, et l’enquête montre qu’elle était enceinte. Sur la bicyclette de Tara, retrouvée dans les Outwoods, ses empreintes digitales à lui – ce qu’il n’a pas grande peine à expliquer. Tout de même, cela fait beaucoup, d’autant plus que la police le prend à fumer du cannabis. Mais pas de corps, pas de preuve. La famille de Tara – ses parents, mais aussi son frère, Peter, le meilleur ami de Ritchie – n’ont jamais cessé de la soupçonner. Mais, vingt ans plus tard, Tara réapparaît.



« Nos vies quotidiennes ne sont qu’un rêve fugace de ce que signifie être pleinement conscient. »

« Comme un conte » est donc l’histoire d’un retour qui a tout du miracle. Du miracle, car non seulement Tara est vivante, mais en sus elle donne l’impression de n’avoir absolument pas vieilli. Et, de fait, l’explication qu’elle donne à son absence de vingt ans n’est absolument pas crédible : elle aurait été emportée dans un étrange endroit dont il n’était pas possible de revenir avant six mois. Six mois seulement, à l’issue desquels, stupéfaite, elle aurait découvert à l’occasion de son retour qu’une durée bien supérieure s’était écoulée.

Soulagement, joie, mais aussi incrédulité absolue : qui donc irait croire à de telles fables ? D’autant plus que Tara, dont l’identité est absolument indiscutable, semble avoir subtilement changé. Ses parents, son frère Peter, sa belle-sœur Geneviève, son neveu Jack essayent en vain de la comprendre. Elle les inquiète un peu. Elle dit savoir charmer les souris. Elle apprend à Ritchie, devenue musicien professionnel, des accords impossibles. Mais ces éléments ne sont ni probants ni suffisants : tous sont persuadés du fait qu’après avoir été victime d’un traumatisme elle souffre d’une amnésie occultant près de vingt ans de son existence.

L’histoire de ce retour impossible se décline donc par étapes à travers les fragments du récit de Tara, les confidences qu’elle fait aux uns et aux autres, les rencontres et retrouvailles avec ceux et celles qui ont fait partie de sa vie. En mettant tous ces personnages en scène avec une finesse certaine, Graham Joyce parvient à faire exister le petit groupe qui était celui de Tara et qui, vingt ans après, malgré des trajectoires heureuses ou malheureuses, l’est toujours. Et qui même se reconstitue, les soupçons envers Ritchie étant définitivement levés.

« Ces gens entretiennent un pouvoir presque superstitieux avec les mots, comme si nommer Rumpelstilzchen leur permettait aussitôt de le contrôler. »

Cette citation extraite des notes du Dr Underwood, que Tara accepte de consulter, en dit long sur l’estime qu’il accorde à ses confrères psychologues. Mais le lecteur réalise au fil des chapitres que ce vieux psychiatre bourru, excentrique, érudit, et que tout rend sympathique, se trouve bientôt empêtré dans les mêmes filets. Son obstination à tout expliquer ou enfermer avec des concepts ou des mots n’a de même que son entêtement à nier l’impossible évidence – l’âge biologique de Tara – et apparaît elle aussi, malgré la pleine et entière bienveillance du personnage, profondément réductrice. Un constat plutôt qu’une charge, et qui montrera le psychiatre, vieilli, désemparé, sur le point de décrocher définitivement après avoir été confronté à des mystères qu’il est incapable de réduire.

« D’un côté, on nous anéantit avec des sortilèges, et d’un autre on nous anéantit avec des médicaments et des électrochocs. »

Mais il semblerait bien que Tara ne soit pas la seule à avoir séjourné dans l’étrange monde situé au-delà des Outwoods. Une vieille dame dont Jack, le fils de Peter, a tué le chat par inadvertance, pourrait bien avoir vécu une aventure similaire. À moins qu’il ne s’agisse tout bonnement d’une folle, qui, à l’époque, avait aussi été suivie par le Dr Underwood. Dès lors, les choses se compliquent : un sort funeste menacerait les proches de celles qui reviennent de l’autre monde. Et plus les chapitres défilent, et plus les éléments s’accumulent en faveur de l’existence du pays des fées. Mais également à l’appui de la thèse contraire.

« Si vous voulez que vos enfants soient intelligents, lisez-leur des contes de fées. Si vous voulez qu’ils soient encore plus intelligents, lisez-leur encore plus de contes de fées. » (Albert Einstein)

En exergue de chacun des quarante-trois chapitres, une citation bienvenue : Albert Einstein, William Shakespeare, Gilbert Keith Chesterton, Bruno Bettelheim, Charles Lamb, W.B. Yeats et bien d’autres sont ainsi invités à donner sur la question des contes de fées un avis dont la brièveté n’entame en rien la pertinence. Une citation également de William Heaney, qui n’est autre qu’un des avatars de l’auteur lui-même, le pseudonyme sous lequel il a écrit « Le Testament d’un maître faussaire. » Car, ne nous y trompons pas, si « Comme un conte » peut être lu comme un roman, il est possible également de le considérer comme l’illustration romanesque d’un essai sur le conte et des limites des interprétations que l’on peut leur donner. Et les incrédulités des protagonistes du récit ne sont rien d’autre que le refus de foi et de crédit que les uns et les autres accordent, dans le monde réel, aux fonctions multiples de l’imaginaire et du merveilleux.

À ce titre, « Comme un conte  » peut être considéré à la fois comme un roman de genre et un roman sur le genre, comme une fable sociologique, comme un de ces « romans sur le roman » qui reviennent au jour de façon récurrente. Pourtant, la finesse avec laquelle Graham Joyce pousse ses pions ne lui donne jamais l’aspect didactique d’une démonstration formelle. Bien au contraire, « Comme un conte » apparaît comme un roman particulièrement fluide, qui, sans recherche particulière d’effets, parvient à happer le lecteur, à le pousser à s’intéresser aux personnages, à tourner les pages les unes après les autres en se demandant l’auteur pourrait terminer son récit autrement que par un drame. Mais pas tout à fait : nous sommes en effet sur l’impalpable frontière entre le réel et le conte. Une frontière où domine la magie, une magie singulière qui n’est, in fine, rien d’autre que celle du talent peu commun de Graham Joyce.


Titre : Comme un conte (Some Kind of Fairy Tale, 2012)
Auteur : Graham Joyce
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Louise Malagoli
Couverture : Fabrice Borio / Shutterstock
Éditeur : Bragelonne
Collection : L’Autre
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 442
Format (en cm) : 14,3 x 21
Dépôt légal : février 2015
ISBN : 9782352948254
Prix : 20 €



Graham Joyce sur la Yozone :

- « La Fée des dents »
- « Les limites de l’enchantement »
- « Lignes de vie »
- « Requiem »


Hilaire Alrune
23 avril 2015


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