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Mort en été
Benjamin Black
10-18, Grand Détectives, n° 4877, traduit de l’anglais (Irlande), policier, 354 pages, janvier 2015, 8,10€

C’est sous le nom de Benjamin Black que l’écrivain irlandais John Banville (lauréat du Booker Prize pour « La Mer » mais aussi auteur d’autres romans comme « Le Livre des aveux » ou « Lumière des étoiles mortes », ainsi que de pièces de théâtre et de nouvelles) écrit des romans policiers. Après « Les Disparus de Dublin », « La Double vie de Laura Swan » et « La Disparition d’April Latimer », « Mort en été » constitue le quatrième volet des enquêtes du médecin légiste Quirke dans le Dublin des années cinquante.



«  Ces scènes de violence sanglante représentaient un moment où le temps s’était arrêté, une lamelle prélevée sur le flux normal des choses et mise en attente, tel un échantillon placé entre les deux plaques de verre d’un microscope . »

S’est-il réellement fait sauter la cervelle ? Richard Jewell, patron du Daily Clarion, est retrouvé en piteux état au bureau de son domicile, son fusil de chasse favori entre les mains. Sur les lieux, l’inspecteur Haskell et le médecin légiste Quirke ont des doutes. Des doutes bientôt partagés par David Sinclair, jeune assistant de Quirke, ainsi que par d’autres personnes.

«  Et, avec ces plats de carcasses pâles et froides qui s’étaient succédé sans relâche, cet horrible restaurant lui avait vraiment rappelé la salle de dissection . »

Quelques références cinématographiques (les héros ont déjà une certaine ironie vis-à-vis d’eux-mêmes et des films noirs dont ils pourraient passer pour une lointaine émanation) ou picturales (Jacques Louis David et Paul Henry), une pincée d’humour noir, un taedium vitae assaillant plus d’un personnage, des fascinations réciproques, des amours qui n’en sont pas ou si peut-être, des secrets dissimulés dans les profondeurs de l’Histoire ou dans des demeures un peu trop riches, des apparences qui demandent à êtres traversées : c’est avec un sens accompli des dialogues et une mise en scène soigneuse des interactions entre personnages, tout comme de belles peintures d’ambiances, que Benjamin Black développe, nourrit et densifie son récit.

«  Il réfléchit au sinistre fait que sa présence en ces lieux était due à une mort violente et qu’il évoluait là, un peu grisé par le champagne du défunt et en proie à une attirance outrancière pour la veuve enchanteresse et dangereuse du même homme . »

Car si la situation n’est pas tout à fait claire, elle ne tarde en effet guère à se compliquer dangereusement. En effet, si François d’Aubigny, l’encore fraîche et fraîchement veuve de Jewell n’est pas tout à fait une femme fatale, sa classe ne tarde pas à faire glisser Quirke sur une pente dangereuse. Un Quirke qui, sur un coup de tête, a présenté sa fille Phoebe à Sinclair, lequel Sinclair ne tarde pas à présenter à Phoebe Danny Jewell, la jeune sœur de la victime. Une Danny Jewell pas très stable psychologiquement, dont le frère a péri en France en tant que résistant durant la seconde guerre mondiale, et qui, elle, connaît assez bien Teddy Summer, fils de Carlton Summer, lui-même autrefois ami et plus récemment concurrent du macchabe. Tout le monde a donc l’air de se connaître dans le milieu – il se trouve également que Quirke, quelques années auparavant, avait conté fleurette à celle qui devait devenir l’épouse de Summer. Il se trouve également que Quirke avait eu affaire à Maguire, un employé du défunt – par conséquent suspect – déjà condamné pour meurtre involontaire quelques années auparavant. Eu affaire, également, à un infâme individu du nom de Costigan qui manifeste une tendance fâcheuse à revenir sur le devant de la scène. Et que Quirke et Maguire ont fréquenté le même orphelinat, un orphelinat où Summer et Jewell apparaissent comme de riches donateurs.

«  L’amour dont les gens parlaient tant ressemblait à un nuage saturé de miasmes, une sorte d’éther grouillant de bacilles (…)  »

Reste que dès que la notion d’orphelinat apparaît, dès que l’on entend parler de prêtres et d’œuvres de charité, on sait très bien à quoi s’en tenir, et l’on comprend qu’il n’y aura guère de surprise. Quand certaines thématiques deviennent trop à la mode, des pans entiers des littératures voient une partie de leur intérêt s’éroder, tout du moins sur le plan de l’intrigue. C’est donc sans réelle surprise, mais avec ce qu’il faut de fausses pistes et complexité, que le récit se dirige – comment aurait-on pu en douter – vers des secrets de famille qui remontent à bien des années auparavant.

Ce n’est donc pas dans l’intrigue policière, habile mais classique, que l’on ira chercher les qualités principales de « Mort en été » mais dans la peinture d’un Dublin baignant encore dans les ténèbres de l’après-guerre, encore écrasé par le poids de la religion, de l’antisémitisme et des discriminations diverses, et dont les habitants noyés dans leurs propres ombres cherchent vainement à entrevoir la lumière. Des individus tributaires du passé et des inégalités sociales, des individus en proie à des questionnements intérieurs qui se débattent tant bien que mal dans le maquis de leurs propres existences. « Mort en été » apparaît donc en définitive comme un très honnête polar, aux ambiances lourdes, pourvu de qualités d’écriture au-dessus du lot, qui donnera envie à ceux qui n’ont pas encore lu les aventures du docteur Quirke, le médecin légiste irlandais, de découvrir les premiers volumes traduits dans la collection « Grands détectives ».


Titre : Mort en été (A Death in Summer, 2011)
Auteur : Benjamin Black (John Banville)
Traduction de l’anglais (Irlande) : Michèle Albaret Maatsch
Couverture : Mélanie Wintersdorff / Condé Nast Archive / Corbis
Éditeur : 10-18 (édition originale : Nil, 2014)
Collection : Grands détectives
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 354
Format (en cm) : 10 x 18
Dépôt légal : janvier 2015
ISBN : 9782264065483
Prix : 8,10 €


La collection Grands Détectives sur la Yozone :

- « Le Serpent de feu » de Fabrice Bourland
- « Le Fantôme de Baker Street » de Fabrice Bourland
- « Les Portes du sommeil » de Fabrice Bourland
- « Les Gondoles de verre » de Nicolas Remin
- « Le Mystère de la chambre obscure » de Guillaume Prévost
- « Le Dernier rêve de la colombe diamant » d’Adrian Hyland


Hilaire Alrune
7 février 2015


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